L’année 2003 n’était pas une exception. Le luxe déferle dans le pays, notamment au centre-ville, par vagues successives et soutenues. Rien à voir avec l’ambiance générale, baptisée morose. Les uns interloqués, d’autres indignés, et nous autres, les troisièmes, essayons de comprendre le pourquoi du comment.
L’arrivée de l’enseigne française Celine
reflète une nouvelle dimension du groupe
libanais dans ce milieu du luxe. «Les responsables
de Celine nous ont contactés
pour développer leurs ventes au Liban.
Nous avons accepté, car notre objectif
était de réunir au centre-ville, dans la
même rue, une marque française pour la
femme comme Celine, une enseigne italienne
comme Gucci, une marque de luxe
masculine comme Zegna. Chaque
enseigne peut ainsi attirer une clientèle
spécifique», concède Salamé, qui avoue
Une chose est sûre, Beyrouth ne peut
plus se passer du luxe, avec la dizaine
de nouvelles griffes internationales
qui arrivent chaque année sur le marché.
Rien qu’en 2003, les enseignes
Façonnable, Vertu, JM Weston, Frette,
Omega, Alain Manoukian, Tartine et
Chocolat sont venues s’ajouter à la liste des
boutiques haut de gamme du centre-ville.
Une floraison qui prouve, encore, que le
Libanais aime autant le raffinement, ou,
c’est selon, les dépenses ostentatoires.
Mais il ne faut pas négliger la clientèle
arabe, principalement du Golfe, qui fait de
Beyrouth une destination préférée pour ses
achats. Quoi qu’il en soit, le luxe se porte
bien. Tour d’horizon des plus belles implantations
à coups de millions de dollars.
LVMH et 3 millions $ à Gucci
Group. Nous faisons partie de
leurs plus gros clients au niveau
international», explique Tony
Salamé, PDG d’Aïshti, qui avoue
avoir d’excellentes relations avec
ces deux poids lourds du luxe mondial
(voir encadré plus loin). «En fin
de compte, ils visent la même
catégorie de clientèle. Et ils sont
ravis d’être les uns à côté des
autres, même s’ils peuvent se
détester», ajoute Salamé. Qui a
déjà investi près de 20 M $ au
centre-ville.
L’aventure avec Gucci a commencé
au milieu des années
1990. Le point de vente Aïshti,
alors au centre Sofil, donnait
déjà une grande place aux produits
Gucci dans un beau décor.
«Dans nos accords, il était conclu
d’ouvrir une boutique propre à Gucci au
centre-ville. Il s’agissait de donner plus de
notoriété à la marque. Désormais, nous
avons une grande surface d’exposition et
nos volumes de vente ont largement progressé
», affirme Salamé. Qui vend avec
succès la majorité des enseignes du groupe
Gucci comme Bottega Veneta, Stella
McCartney, Alexander McQueen, Sergio
Rossi et Balenciaga. Et Aïshti semble
avoir largement bénéficié de la
“Guccimania”, lancée par la griffe du styliste
texan Tom Ford.
Aïshti, le fédérateur
Les groupes Gucci et LVMH ont trouvé en
Tony Salamé un partenaire privilégié, qui
est devenu tout simplement le n° 1 du
luxe au Liban, avec près de 400
employés. Gucci en janvier 2002 (260 m2)
et Celine en juillet 2002 (130 m2) ont leur
propre point de vente au centre-ville, rue
Moutran ; et les produits Sergio Rossi,
Yves Saint-Laurent, Christian Dior et
Fendi, entre autres, sont disponibles dans
les différentes boutiques Aïshti. «Nous
achetons par an près de 3 millions $ à être quotidiennement sollicité par des
enseignes internationales pour travailler
avec lui. Et son chiffre d’affaires se rapproche
déjà de 50 M $ par an.
À la suite d’une forte politique promotionnelle
(à coups de défilés et de publicités),
la boutique Celine de la rue
Moutran est devenue ainsi l’une des plus
performantes dans le monde, selon son
promoteur. Ce qui a encouragé l’enseigne
à s’implanter à Koweit City et prochainement
à Dubaï avec des partenaires
du Golfe. «Dans le milieu de la mode et
du luxe, il faut rester agressif en innovant
et en offrant la meilleure exposition
aux marques», insiste Salamé. Qui vient
d’aménager un nouvel espace de vente,
Sea Side, de 6 000 m2 à Jal el-Dib «avec
un concept moderne» (et un investissement
de 14 M $) et qui inaugurera une
boutique Aïzone de 1 200 m2, début
décembre, dans le centre ABC à
Achrafieh, plutôt spécialisée dans les
vêtements jeunes et le sport chic. Plus
une franchise Giorgio Armani en 2004
rue Foch. En tout cas, la plupart de ces
boutiques, comme pour d’autres, sont
gérées par des accords de franchise,
selon un cahier des charges standard.
Séisme dans le milieu de la mode en
1999, Bernard Arnault, patron de
Kenzo séduit le Moyen-Orient
maisons du groupe LVMH.
«En huit mois, notre boutique est devenue
l’une des plus importantes du réseau Frette
dans le monde», avoue Karim Tabet, copropriétaire
de Tabet-Maison de Blanc, le partenaire
de Frette au Liban. Le point de vente de
la rue Allenby est venu s’ajouter aux cinq boutiques
dans le Golfe (Abou Dhabi, Dubaï,
Riyad, Koweit City et Doha). Numéro un mondial
du linge de maison haut de gamme, l’enseigne
Frette a été fondée à Grenoble en 1860
par Edmond Frette. En 1865, il part en Italie,
puis ouvre une boutique à Milan en 1878.
C’est le début du succès. Au cours du XXe
siècle, Frette devient l’enseigne préférée de la
bourgeoisie et l’aristocratie européennes. Des
palais princiers, Frette part à la conquête de
l’hôtellerie et équipe les plus prestigieux
palaces : George V et Ritz à Paris, Claridge et
Savoy à Londres, Cipriani à Venise, Mayfair et
Plaza Athénée à New York.
En 1997, Frette est racheté par Fin.Part, une
holding italo-luxembourgeoise spécialisée
dans le luxe (Cerruti 1881, Henry Cotton’s).
L’enseigne connaît alors un développement
important : boutiques à l’étranger, diversification
des collections, production d’articles
plus contemporains, création d’une
ligne de prêt-à-porter et d’une gamme pour
LVMH, remplace le plus parisien des
Japonais, Kenzo Takada, par le styliste Gilles
Rosier, aujourd’hui substitué par l’Italien
Antonio Marras. Une page est tournée dans
la belle aventure de l’enseigne Kenzo. Mais
aucune conséquence pour la boutique Kenzo
de Beyrouth, exclusivement destinée aux
femmes, qui garde l’esprit du fondateur,
avec ses articles multicolores.
Située rue Foch, la boutique Kenzo, inaugurée
en juillet 2002, s’étale sur 180 m2 et deux
étages. Les vitrines lumineuses affichent les
dernières tendances de la marque présente
dans près de 270 points de vente dans le
monde. «Depuis 17 mois, notre chiffre d’affaires
est en progression, avec une clientèle
fidèle à notre sélection d’articles», explique le
partenaire libanais de Kenzo femmes. La
ligne homme et les parfums appartiennent à
d’autres agents locaux.
La meilleure preuve de cette réussite est la
proportion de clientes en provenance du
Golfe. Malgré une implantation à Dubaï, à
Koweit City et en Arabie saoudite, la boutique
de Beyrouth est appréciée par ces touristes.
«Cela représente plus de la moitié de nos
clients. Nous cherchons à nous distinguer
des autres boutiques Kenzo à travers notre
choix des collections, notre présentation,
notre décor, nos conseils, notre “merchandising”
et notre service après-vente. Ceci peut
expliquer pourquoi la cliente du Golfe préfère
acheter Kenzo à Beyrouth plutôt que dans
son pays», ajoute l’agent local de l’une des
habiller les bateaux de luxe. Un succès qui
allie une finition irréprochable et les
meilleurs matériaux : cachemire de
Mongolie, satin de coton, lin et soie.
Avec un panier moyen par client supérieur
à 500 $, le premier bilan est audessus
des prévisions. «La grande majorité
de notre clientèle connaît déjà
Frette. Nous avons 60 % de clients
locaux et 40 % d’étrangers, Arabes du
Golfe et Libanais expatriés. Nous travaillons
également avec des décorateurs
», explique Tabet.
La collaboration entre Tabet-Maison de
Blanc et Frette est ancienne. Après une
interruption durant la guerre, la compagnie
libanaise est redevenue le partenaire
local de Frette à la fin des années
1990. «Cela correspondait à un retour
des touristes au Liban et également à
l’essor du centre-ville, un lieu idéal pour
l’enseigne», affirme Tabet. Ouvert
depuis le 13 février 2003, le point de
vente qui fait 220 m2 est la troisième
plus grande boutique Frette à l’international.
«Au-delà du linge de maison,
notre collection prêt-à-porter séduit de
plus en plus. Nous avons les mêmes
Sofil, boulevards Élias
Sarkis et Charles Malek,
Verdun, Kaslik, Foch,
Allenby et Riad Solh :
Beyrouth compte de
multiples adresses de
luxe. Toutefois, si l’on
met de côté la petite rue
Moutran occupée entièrement
par le groupe
Aïshti. Allenby tend à
devenir la rue la plus
prestigieuse, avec son
artère large bordée
d’immeubles des
années 1930.
Versace, Frette,
Façonnable, JM Weston,
Swarovski, Omega, Vertu :
Allenby collectionne
donc les boutiques
célèbres. À ces griffes
internationales, il faut
ajouter les enseignes libanaises
Au Gant Rouge et
Wardé. Et d’autres noms
prestigieux vont suivre
prochainement, dont
une célèbre enseigne
d’horlogerie.
«Entre Foch et Allenby,
notre préférence a été la
deuxième option qui nous
semble plus haut de
gamme», explique le partenaire
de Weston au
Liban. Toutefois, la rue
Foch n’a pas à rougir, avec
Tod’s, Kenzo et prochainement
Giorgio Armani.
C’est dire l’effet bénéfique
pour l’image d’une
enseigne ayant un voisinage
avec les plus grands
noms.
Située à l’une des entrées
dans le centre-ville,
accessible en voiture,
adjacente au souk des
bijoutiers qui constituera
une partie du complexe
des souks de Beyrouth et
à proximité d’un grand
parking souterrain, la rue
bénéficie de nombreux
atouts. «Il est même possible
de se garer en
double file, ce qui permet
d’embarquer facilement
ses achats», sourit Karim
Tabet. «La rue Allenby
correspond parfaitement
à ce que nous voulions
pour la boutique Vertu.
Cette rue n’est pas piétonne
et elle est éloignée
de la zone des restaurants.
Elle permet un
achat ciblé», ajoute
Karine Nohra.
Un cachet de luxe qui a
eu des répercussions sur
les prix de l’immobilier. Si
les premières enseignes
ont négocié des loyers
annuels qui se situaient
autour de 500 $ le m2, les
derniers emplacements
sont partis à des chiffres
variant entre 800 et
1 000 $ le m2.
?
Allenby, le faubourg Saint-Honoré beyrouthin
Frette, l’italien C
prix qu’à Paris et à Milan. Parfois, nous
sommes même moins cher que Londres
et les États-Unis», explique Tabet, qui ne
vend pas la collection Frette hôtellerie,
car il travaille déjà avec des fournisseurs
locaux dans ce domaine.
Des chaussures confortables et Made in
France, à 100 %. La référence de la chaussure
de luxe bleu-blanc-rouge, JM Weston,
a ouvert sa première boutique du Moyen-
Orient, à Beyrouth, rue Allenby. «Nous avons
constaté qu’il y avait un manque sur le marché
local de la chaussure masculine de
luxe», précise le gérant libanais. Les débuts
confirment ce potentiel, car la marque était
déjà connue : les fichiers clients des sept
points de vente parisiens ont en effet révélé
un bon nombre de Libanais pour cette
marque fondée au début du XXe siècle. Et
traditionnellement portée par la classe politique
française et autres énarques et polytechniciens.
Plus de nouveaux clients qui
découvrent la gamme de produits.
JM Weston est donc fabriquée en France,
selon des techniques traditionnelles, par des
artisans. JM Weston possède même sa
propre tannerie de cuir (Bastin et Frères) à
semelle à tannage végétal, acquise en 1981.
La boutique de Beyrouth correspond à la
nouvelle stratégie internationale du groupe :
décor élégant, présentoirs modernes où sont
exposés les modèles phares et les créations
du styliste Michel Perry, service attentif, et
les mêmes prix de vente qu’à Paris. Une
gamme de prix qui commence à 285 euros.
«Nous savons que Beyrouth représente un
marché privé constitué d’un nombre de
clients restreint. C’est à nous de les séduire
avec des produits et un service impeccables
», explique le gérant local de JM
Weston, qui ambitionne également d’attirer
mique polie ultrarésistante, tour du cadre
en cuir noble, sonorité haute définition,
coussins de rubis sous chaque touche pour
offrir une parfaite précision et durabilité.
Vertu joue manifestement dans la catégorie
du très grand luxe.
Inaugurée vers la fin 2003, le point de
vente de Beyrouth est situé rue Allenby.
«La boutique sera répartie sur deux
niveaux : un espace de vente au rez-dechaussée
et un salon privé équipé d’un
bar au premier étage pour la clientèle
qui désire plus de tranquillité», précise
Karine Nohra, Project Manager du partenaire
libanais Luxury Selections, qui
appartient au groupe Zoghzoghi, agent
Nokia et franchisé McDonald’s au Liban.
La compagnie vend également Vertu
dans une vingtaine de pays africains par
l’intermédiaire de vendeurs et de partenaires
locaux qui se rendent sur demande
chez le client.
À l’échelle internationale, Vertu est essentiellement
vendu par l’intermédiaire de
sociétés mandatées dans des “rayons” de
boutiques de luxe. Par exemple, à Cannes
dans les boutiques Ferret, à Londres chez
Harrod’s, à Koweit City dans la galerie marchande
Villa Moda.
À l’origine de Vertu, un designer italoaméricain,
Frank Nuovo, qui a voulu en
faire un appareil de précision au look
high-tech. Chaque appareil, constitué de
400 composants, est assemblé à la main
comme dans l’horlogerie fine. Avec un
prix de 5 000 à 24 000 euros, cela
s’adresse naturellement à une population
très spécifique. «Vertu est un accessoire
de télécommunications haut de
gamme comme il existe des marques de
montres, de stylos et de briquets de luxe
pour une clientèle élitiste. Nous misons
d’abord sur le marché local, puis l’élite
touristique arabe», insiste Nohra.
Vertu – filiale du finlandais Nokia – offre
une gamme de services novateurs.
Chaque appareil est muni d’une touche
spéciale qui le relie à “un concierge”. Il
s’agit d’un opérateur polyvalent qui
répond, 24h/7 jours, à l’usager, qu’il soit
à Beyrouth, à Hong Kong ou à Paris. Cet
opérateur peut vous réserver un billet
d’avion, des places de spectacles ou une
table dans un restaurant. Il est même
capable de vous envoyer un professionnel
pour dépanner votre voiture. Chaque
client peut en plus faire installer les dernières
nouveautés technologiques, lorsqu’elles
seront disponibles. Sorte de
mise à jour permanente au niveau de
l’unité interne.
Depuis juillet 2003, Luxury Selections a
installé deux vitrines d’exposition des
produits Vertu dans le lobby des hôtels
Phoenicia et Metropolitan. Et les ventes
se font sur rendez-vous.
La majorité des partenaires libanais des
grandes enseignes internationales
confirme que Beyrouth tend à renforcer
sa place à l’échelle régionale. C’est un
“trend setter” pour la mode, c’est-à-dire
que les collections sont d’abord présentées
à Beyrouth pour ensuite conquérir
les pays du Golfe.
On ressort alors l’image fétiche de
Suisse du Moyen-Orient, vu la multiplication
des investissements dans le
domaine du luxe. D’autres restent plus
modérés et préfèrent positionner
Beyrouth comme la capitale de la mode
pour le Levant, en attirant une forte proportion
de clients aisés syriens, jordaniens
et égyptiens. Mais aussi un important
créneau plutôt caché : les Libanais
aisés qui, selon les estimations, font la
moitié de leurs achats lors de leurs
déplacements à l’étranger.
Dubaï reste le pôle régional, mais l’écart
entre les deux villes ne cesse de se
réduire dans ce créneau. «Beyrouth
garde toute son originalité et sa spécificité
: bons prix, décors somptueux, services
impeccables… et autre ambiance
», conclut Salamé.
JM Weston, le français
Le Rolls Royce du portable
une clientèle arabe.
Il fallait y arriver un jour ou l’autre : le cellulaire
du luxe est là. Vertu, la première
marque de téléphone mobile de prestige,
n’en finit pas d’attirer tous les regards. Et il
y a de quoi : acier brossé inoxydable, parfois
or 18 carats ou platine, manteau en or
blanc, façade en cristal de saphir, céra