Le 1er janvier prochain, une petite révolution aura lieu dans la région : c’est à cette date que le GAFTA (Great Arab Free Trade Agreement) entrera totalement en oeuvre. Mais que recoupent ces 5 petites lettres qui pourraient transformer les rapports économiques régionaux ?
Il s’agit d’un accord qui doit réunir les pays arabes en une vaste zone de libre-échange économique, un peu comme la CEE des années 80 avant l’Union.
«Le GAFTA est la matérialisation d’une idée née officiellement en 1981, rappelle Roy Badaro, président du Comité des accords internationaux au sein de la Fédération des Chambres de commerce et d’industrie du Liban. Et son exécution a effectivement débuté en novembre 1983, mais elle ne concernait
alors qu’une vingtaine de taux douaniers ; autant dire rien, quand on sait que le total est de 6 000 ou 7 000 “codes”.
Il faut dire qu’à l’époque, le concept, même au niveau mondial, était encore flou». Il fallut donc attendre 1995 pour que voit le jour un “programme exécutif” relatif au projet. En juin 1996, la Ligue a chargé son Conseil économique et social de superviser l’exécution. Ce qui a commencé à être fait, progressivement, à partir de 1997, avec un aboutissement du processus prévu pour 2008. Mais en février 2002, il a été décidé d’accélérer le rythme et d’avancer l’échéance à 2005 pour les produits agricoles et manufacturés. Le domaine des services, essentiel pour le Liban, est encore en négociation.
Le GAFTA repose en fait sur des principes simples. L’accord prévoit d’abord l’annulation de toutes les barrières “non tarifaires” ; ce terme incluant par exemple les quotas, les normes, les certificats de qualité. «En échange, poursuit Roy Badaro, il donne lui-même sa définition des certificats d’origine et des différentes normes à respecter, indispensables pour le bon fonctionnement du système». Ainsi, tous les pays sont supposés utiliser la même règle. Et aucune discrimination ne doit être faite entre produits locaux et produits importés. Tous les pays de la Ligue arabe sont concernés, sauf deux cas exceptionnels : Somalie et Palestine.
L’autre volet du GAFTA implique la suppression progressive des taxes douanières. «Les tarifs douaniers ont baissé de 10 % par an entre 1997 et 2002, puis de 20 % par an pendant les deux dernières années. De la sorte, ces taxes seront totalement supprimées en janvier 2005, excepté en Algérie, à Djibouti, en Somalie, aux Comores et en Mauritanie».
Hics et exceptions
Sur le papier, tout cela semble presque parfait, d’autant que l’accord prévoit des mesures possibles visant à protéger des secteurs sensibles, l’agriculture en particulier. «Des calendriers agricoles permettent, et permettront, de protéger des produits précis pendant des périodes déterminées de l’année», note Roy Badaro. Nos accords bilatéraux (avec la Syrie, la Jordanie et l’Égypte) peuvent continuer d’ailleurs de fonctionner sans changement. De même, des dispositions particulières doivent permettre de protéger momentanément des secteurs industriels en difficulté.
Mais qui décide de ce type d’exception, et qui fait l’arbitre entre deux pays en conflit ? «Le GAFTA est construit sur le modèle type d’un programme de l’OMC, constate Roy Badaro. Sauf qu’il n’a pas prévu la création d’un organisme pour le règlement des différends, ni des mécanismes de contrainte pour faire respecter les règles».
Et cela est bien le hic. Par exemple, certains pays continuent de pratiquer deux barrières douanières, celle définie par l’accord et puis une autre, locale et implicite. De plus, des “listes d’exception” sont vite apparues et l’application en gros est loin d’être rectiligne. «Sans organisme neutre de contrôle et de contrainte, cet accord peut devenir une arme économique puissante dans les mains de certains pays», estime Roy Badaro.
Un avertissement qui pèse d’autant plus lourd que le Liban n’est pas au mieux de sa forme pour affronter à découvert la concurrence de ses voisins. «Ce type d’accord est positif s’il s’accompagne d’une préparation intérieure, observe Badaro. Celle-ci ne s’est pas faite au Liban ; on ne s’est pas occupé par exemple à aider les secteurs qui risquent d’être le plus lésés, comme l’agriculture. En l’état, nous ne sommes pas compétitifs, mais nous ne pouvons demander un report d’exception, car tous les autres pays feraient alors de même et le système s’effondrerait. Nous ne pouvons pas non plus nous aliéner ces partenaires commerciaux, importants pour nos exportations. Mieux vaut donc une mauvaise application, provisoire, que pas d’accord du tout».
Reste à espérer que l’accord motivera les acteurs concernés à évoluer rapidement. Sinon, des “mesures de réciprocité et de rétorsion” risquent, si elles commencent à émerger, de miner tout l’édifice.