Situées à quelques blocs des imposants Patchi, Aïshti ou Virgin Megastore, avec leurs milliers de mètres carrés, de bizarres boutiques minuscules, dont la superficie ne dépasse pas 10 m2, résistent aux “normes”. Pour quelle rentabilité ?

Àl’heure où les milieux du commerce
ne parlent que de normalisation des
espaces marchands et d’internationalisation
des enseignes, de petites
échoppes dispersées ici et là dans le
centre-ville de Beyrouth témoignent
d’une autre époque. Les souks d’antan
regorgeaient de ces points de vente
miniatures où la marchandise et les étalages
débordaient sur le trottoir.
Aujourd’hui, ils sont déjà une dizaine à
être présents. Mais que font-ils là avec
leurs formes biscornues, parfois triangulaires
à l’angle d’une rue, parfois longitudinales
écrasés entre deux “vraies” boutiques
? En fait, peu savent que la majorité
de ces boutiquiers bénéficie d’angression
de 15 % chaque année, Cat’s
s’est bien imposée sur le marché. L’été,
70 % des ventes sont naturellement assurées
par la clientèle arabe. Prochainement,
la plupart des articles seront des créations
locales. «Cela doit donner un plus à notre
boutique. Et nous serons aussi plus
flexibles vis-à-vis des dernières tendances
», précise Wehbé, qui est également
décoratrice d’intérieur.
Il est vrai que les espaces réduits offrent de
nombreux avantages : «Nous pouvons
exposer les articles par terre. Cela donne
un effet de souk qui stimule les ventes. La
marchandise est à portée de main des
clientes qui peuvent toucher à loisir. Les
petites boutiques incitent à l’achat impulsif
et rapide, c’est idéal pour capter les gens
qui flânent en fin de journée dans le centreville.
De plus, notre emplacement offre une
superbe visibilité. C’est comme une publicité,
et cela crée un effet de vitrine», précise
Wehbé.
Cette notion de vitrine publicitaire a été
d’ailleurs reprise par l’horloger Wadih Mrad
qui occupe un minuscule coin autour de la
place de l’Étoile. Cet emplacement fermé
sert uniquement à présenter les produits de
luxe – que les clients peuvent acquérir à la
boutique Wadih Mrad à Achrafieh.
DES LOYERS DE 2 500 $ LE M2
Revers de la médaille, la petite surface a
également ses inconvénients : «Notre
boutique ne peut pas accueillir plus de
2-3 personnes à la fois. Nous n’avons
pas de place pour avoir une cabine d’essayage,
ni un espace de stockage, ce qui
implique un approvisionnement régulier
», ajoute Wehbé, qui vient cependant
ciens loyers qui permettent d’occuper
l’emplacement pour quelques centaines
de dollars le m2, alors que les autres doivent
s’acquitter de nouveaux loyers qui
peuvent atteindre 2 500 $ le m2.
“SMALL IS BEAUTIFUL”
«Au début, nous avons pensé que la taille
serait un gros handicap. Finalement, c’est
le contraire qui s’est produit. Notre force
est d’être tout petit. Si nous avions un
magasin plus grand, nous ne serions pas
sûrs de vendre plus», explique Sandra
Wehbé, copropriétaire de Cat’s, une boutique
de 7 m2. Cet emplacement fut dans
les années 1970 divisé en trois et comprenait,
entre autres, un vendeur
de boutons et de fils.
Inaugurée en 2001 à l’angle
des rues Toubia Aoun et Abou
Nasr au rez-de-chaussée de
l’immeuble des Finances,
Cat’s a été l’une des premières
boutiques d’accessoires
(colifichets, faux bijoux,
sacs…) du centre-ville. Sa
réussite a fait des émules.
«Les gens ont pensé que nous
marchions super bien. C’est
vrai que si deux clientes rentraient
dans la boutique, cela
donnait l’impression d’affluence
», rigole Wehbé.
Aujourd’hui, la concurrence
ne manque pas, puisqu’il y
en a plus de 25 boutiques de
ce type, de différentes
tailles, dont plusieurs
détaillants-grossistes. Avec
un chiffre d’affaires en pro-
«Notre force est d’être tout petit», explique Sandra Wehbé, copropriétaire de
Cat’s, 7 m2. Ouvert depuis juin 2001, 3ezz Café a trouvé
rapidement sa clientèle, grâce à sa
bonne exposition et ses prix défiant toute
concurrence. Ses clients sont les
employés des bureaux avoisinants, les
militaires et les vigiles qui sont de faction
dans le quartier. «Beaucoup de personnes
viennent prendre des cigarettes et une
boisson en passant en voiture ou avant
d’aller dans le jardin proche des thermes
romains. Avec un café à 500 LL ou un
Nescafé à 1 000 LL, nous sommes les
moins chers du centre-ville. Même le personnel
de l’ESCWA, qui a une cafétéria
interne, vient chez nous faire une pause, et
des économies», souligne Ezzat, qui est
ouvert 21h par jour, de 7h à 4h du matin.
Il n’empêche que les 2 m2 de ce café ne
peuvent contenir qu’une étagère pour les
cigarettes,
une machine
à moudre,
un frigo pour
les boissons
gazeuses et
les barres
chocolatées,
une machine
à café sous
laquelle se
trouve un
second frigo
pour les bouteilles
d’eau.
«Mon stock
est chez moi
à la maison, d’où j’apporte chaque jour
le nécessaire», explique Ezzat, qui se
permet d’empiéter sur le trottoir en
mettant un présentoir frigorifique
d’une boisson énergétique et une chaise
haute.
En vendant 250 tasses par jour, le
café assure une partie significative
du chiffre d’affaires de l’enseigne,
qui progresse de 10 % par an. Mais
avec un investissement de départ de
10 000 $, 3ezz Café commence à
être tout juste rentable. «Nos marges
sont réduites, et notre loyer reste un
peu cher pour la taille de l’emplacement
», confie Ezzat, qui vient pourtant
de renouveler le contrat de location
pour trois ans supplémentaires.
Selon nos informations, le loyer
annuel serait autour de 5 000 $. «S’il
y a des opportunités, nous cherchons
à ouvrir une seconde adresse. Nous
avons gagné une bonne réputation,
et nous pouvons sans doute en profiter
au centre-ville ou ailleurs», avoue Ezzat.
BAB IDRISS AUSSI
Ouvert en janvier 2004 à Bab Idriss, rue
Karamé, Aiki Argenti n’est pas encore
une affaire rentable. «Actuellement, nos
ventes remboursent juste nos frais d’exploitation
», indique Hovig Azadian, copartenaire
de cette boutique d’accessoires
d’argenterie de 4 m2. L’emplacement, qui
comportait dans les années 70 un bureau
de change doublé d’un horloger, aligne
aujourd’hui deux étroites vitrines d’exposition.
La décoration privilégie la transparence
et les effets de miroir pour réduire
la sensation d’exiguïté et rassurer les
claustrophobes.
Située dans une partie du centre-ville où
les piétons sont encore rares, Aiki
Argenti doit prendre son mal en patience.
L’ouverture récente du grand magasin italien
Conbipel, la prochaine ouverture du
mythique ABC et la construction de l’immeuble
de bureaux Semiramis devraient
redynamiser cette région. «Quand nous
avons repris cet emplacement en partenariat
avec l’ancien locataire, nous avons
misé sur le futur. Il faut nous laisser du
temps pour trouver notre clientèle.
Cependant le fait d’avoir un ancien loyer
limite les risques», insiste Azadian. Dont le
problème de manque d’affluence est commun
aux commerçants du quartier. Mais
ce n’est que provisoire... C
de renouveler son contrat de location
pour 6 années supplémentaires après
une hausse de 20 % par rapport au
loyer précédent.
«Les petits emplacements bien situés
du centre-ville peuvent se louer entre
15 000 et 20 000 $ par an, soit un
loyer de 2 000 à 2 500 $ le m2, indique
un agent immobilier de la place. Ce
qui veut dire que ce sont les points de
vente les plus chers du pays, et par
suite du centre-ville où les pics pour
les surfaces moyennes vont jusqu’à
“seulement” 1 250 $ le m2. Résultat :
si le commerçant ne réalise pas un
chiffre d’affaires annuel moyen de
6 000 à 10 000 $ au m2, son affaire
n’est plus rentable». Car, hormis le
loyer, il a une succession de frais :
taxe municipale, téléphone, électricité,
salaires des employés. Malgré ces
contraintes, il y a une forte demande
pour ce type d’espaces. Ainsi, les
anciens locataires sont constamment
sollicités pour céder leur emplacement».
UN CAFÉ DE 2 M2
Avec ses 2 m2, “3ezz Café” est sans
contestation le plus petit point de vente
du centre-ville. «Le hasard nous a
menés à cet emplacement qui était disponible.
Nous avons cherché quelles
étaient les possibilités pour l’exploiter. Il
n’y avait pas beaucoup de solutions.
Ouvrir un café était le plus logique»,
explique Majd Ezzat, partenaire du 3ezz
Café. Dont l’orthographe rappelle le
chatting sur Internet ou les SMS.
Situé au rez-de-chaussée de l’immeuble
Chaker et Oueini, ce microscopique café
fait partie du décor de la place Riad Solh.
Aiki Argenti n’est
pas encore une
affaire rentable.
«Nos ventes remboursent
juste
nos frais d’exploitation
», selon
Hovig Azadian,
copartenaire de
la boutique.
«Avec un café à 500 LL ou un Nescafé à 1 000 LL, nous sommes les
moins chers du centre-ville», explique Majd Ezzat.