Quelle idée saugrenue : créer un espace touristique dans les hauteurs du Hermel ! Et pourtant le projet al-Jord est là, depuis 3 ans. Avec un succès inespéré.

«Au début, on nous a pris pour des insensés.
Mais nous voulions
prouver que notre projet
n’est pas si irrationnel.
Cette région n’intéressait
personne, c’est vrai. Cela
a pris du temps pour que
notre initiative soit comprise…
d’abord de la
population locale. Les
rumeurs les plus loufoques
ont circulé à
notre sujet. On nous a
pris pour des chercheurs
d’or ou des
scientifiques qui allaient
cacher des fûts
toxiques. Puis, cela a
été difficile de convaincre les touristes que
la région était agréable et sûre. La plupart
d’entre eux n’avaient jamais été plus loin
que Baalbeck», raconte Clément Nadim
Zakhia, cofondateur du projet, avec Jean-
Pierre Zahar et d’autres jeunes, ainsi que
des propriétaires terriens de la région
comme Ali et Hussein Allaou.
Effectivement, il fallait oser voir dans
cette région perdue entre Hermel, Akkar
et Denniyé un site touristique capable
d’attirer des vacanciers en mal de dépaysement.
Ambitieux, le “projet al-Jord”
repose sur deux entités : Mada, une ONG
de développement et de protection de
l’environnement, et al-Jord SAL, une
société d’écotourisme. Ces 2 partenaires
ont donc lancé cette aventure d’“écotourisme
durable”, autrement dit développer
cette région tout en préservant ses
caractéristiques écologiques, culturelles
et sociales.
«Pour réussir un tel projet,
il était impératif de comprendre
d’abord les rapports
de force entre les
groupes sociaux. Ayant
saisi tout l’intérêt économique
qu’ils pouvaient
tirer, ils nous ont acceptés,
adoptés, puis commencé
à se fédérer autour
du projet. Désormais,
nous avons un comité
local de 13 membres qui
représentent les différentes
localités de la
région et qui élaborent les
budgets et les futurs projets
», précise Zakhia.
Face à ce tourisme vert,
sportif et éducatif, à 180
km de Beyrouth et dans un cadre inconnu, le
public a répondu présent. «Le bouche-àoreille
fonctionne parfaitement. Nos premiers
clients nous encouragent, nous font
de la pub, et parfois des remarques que
nous prenons au sérieux», explique Jean-
Pierre Zahar, cofondateur du projet.
Pratiquement, al-Jord propose des séjours
autour d’un camp de base aménagé et parfaitement
équipé (sanitaires, eau chaude,
LA TENTE ET LA “BAYMA”
La société al-Jord d’abord gère un site
propre de 400 000 m2 – situé à une altitude
moyenne de 2 100 m –, mais son périmètre
d’action et de mouvement s’étend sur 33
km2. Une zone de transhumance estivale qui
regroupe trois catégories sociales multiconfessionnelles
: tribus du Hermel, familles du
Akkar et Denniyé et bédouins de Denniyé.
touristiques (Cyclamen,
ALES et Club thermique) :
escapades pédagogiques,
initiation à la varappe et au
parapente. Dans certaines
formules, le transport, collectif,
est organisé par al-
Jord au départ de
Beyrouth. (Site :
www.aljord.org).
La pension complète (logement
et 3 repas) coûte 28 à
45 $ la nuitée. Al-Jord propose
aussi de multiples formules
avec des réductions
pour les enfants et pour les
séjours supérieurs à deux
jours, ainsi que des séjours
spécifiques en partenariat
avec d’autres structures
Tarifs en 2004 douches, éclairage, fosse septique). Des
équipements conçus à la base de façon à
respecter l’environnement : recyclage des
eaux usées, énergie solaire, compostage des
ordures organiques. Avec un investissement
de 340 000 $, deux types de logement ont
été aménagés : la tente bédouine, puis la
“bayma” (espace semi-muré couvert d’une
tente) inspirée de l’architecture locale et réalisée
avec des matériaux de la région dont le
coût de construction est près de 8 000 $.
À partir de ce campement, les touristes ont
la possibilité de faire de multiples activités :
randonnées, vélo, varappe (escalade), promenade
à dos d’âne, découverte du patrimoine
archéologique et de la biodiversité.
PLUS DE 1 000 TOURISTES
Al-Jord a démarré en 2002 timidement avec
près de 200 touristes, et une période d’essai
répartie sur 8 week-ends. En 2003, quelque
570 personnes ont été accueillies, générant
un chiffre d’affaires de 35 000 $ répartis sur
3 mois. Finalement, l’été 2004 a marqué un
tournant avec plus de 1 000 touristes, soit
presque 2 500 nuitées étalées de juin à
octobre. «Au début, les touristes restaient
principalement une nuitée de week-end.
Cette année, nous avons eu une nouvelle
demande pour des séjours durant la semaine
– et un excellent taux de remplissage.
Nous avions même des listes d’attente pour
certains week-ends», précise Zahar.
La clientèle est hétéroclite. Majoritairement,
les visiteurs sont libanais issus de la classe
moyenne, mais avec un intérêt de plus en
plus prononcé des étrangers et des expatriés
visitant le pays. À part la tendance “écolo” en
vogue, il y a aussi l’effet curiosité : «Les gens
veulent tester les “bayma” et découvrir une
nouvelle région chargée de traditions».
Avec une capacité d’accueil nocturne de
45 places, al-Jord n’est qu’à ses débuts.
Son ambition est d’accueillir plus de personnes,
développer de nouvelles activités.
«Ainsi, nous réfléchissons à étendre la saison
de mai à décembre. Nous allons
construire des espaces d’hébergement en
pierre inspirés des maisons paysannes de
la région. Cela nous permettra d’élargir
notre clientèle et viser les seniors. Nous
souhaiterions avoir 60 places dans des
maisons en dur et 70 places sous les
tentes», explique Zahar. De plus, la
construction d’une route reliant Tripoli à
Hermel, prévue pour 2006, donnera une
nouvelle visibilité à al-Jord, actuellement
quelque peu isolé.
POULETS BIOLOGIQUES
En attendant, 2005 sera une année charnière
avec la restructuration de la société à travers
l’ouverture de 30 % de son capital. Convaincu
de sa réussite, al-Jord propose un retour sur
investissement en 4 ans. Parallèlement, l’association
Mada qui possède 12 % des actions
de la SAL al-Jord veut également créer des
opportunités de développement économique
pour la population locale : agricole, culturel,
éducatif et touristique. En quelques mois,
Mada a déjà réussi des initiatives comme la
création d’une zone de 25 km2 interdite à la
chasse, la réintroduction d’espèces animales
(faisans) disparues, la reforestation
et la plantation d’arbres fruitiers, l’aménagement
de sources naturelles pour l’agriculture
et l’eau potable, la rénovation de
maisons traditionnelles, la création d’une
ferme de poulets biologiques et d’une unité
de production de “mouné”.
Pour le moment, le projet al-Jord fait travailler
directement 46 familles, dont 10 sont revenues
dans la région après 15 ans d’exode, et
indirectement beaucoup d’autres. Le système
fonctionne avec 3 types d’emplois directs :
pour la construction, la gestion du site (guides,
chauffeurs, cuisine, accueil, nettoyage, logistique),
et enfin les emplois liés aux projets de
développement entrepris par Mada.
Al-Jord peut-il “exporter” sa formule vers
d’autres régions du pays ? Selon Clément
Zakhia, «il y a peu de zones similaires dans le
pays. Notre réussite est liée au choix de la
région qui est gérée de manière spécifique.
Cependant, on peut imaginer des formules un
peu différentes ailleurs, dans le même esprit
de développement local et de tourisme
contrôlé et responsable. Il y a une vraie
demande pour ce type d’activités». C
340 000 euros de dons
Entre les soutiens financiers, logistiques et
techniques, le projet (qui regroupe la SAL
al-Jord et Mada) a suscité l’intérêt de multiples
partenaires locaux et étrangers. La
présence de ces donateurs a permis la
réalisation de plusieurs initiatives : production
artisanale de produits du terroir, développement
de sites forestiers, projets d’habitat
traditionnel, infrastructure aquatique,
campagne de promotion photographique,
bibliothèque dans le village de Hermel.
Les principaux partenaires sont : le
Mouvement social, le Comité catholique
contre la faim et pour le développement
(CCFD – ONG française), l’Agence de
l’environnement et de la maîtrise de l’énergie
(ADEME), la Fondation Heinrich Boll,
l’ambassade de France au Liban,
l’Agence suisse pour le développement et
la coopération, l’association SEAL et
l’Union européenne.