Depuis le drame du 14 février – plus les autres explosions, l’instabilité et le gouvernement absent –, les secteurs de l’économie se demandent comment ils vont survivre. Pas l’immobilier. Qui affiche un dynamisme étonnant. Du moins dans la plupart de ses volets.
La mort tragique de l’ancien Premier
ministre Rafic Hariri a provoqué d’abord
un choc psychologique dans les milieux
de l’immobilier. Car l’homme est celui de la
reconstruction, le promoteur du centre-ville,
un entrepreneur hors-pair, un “collègue” en
quelque sorte. Avec en plus de grandes propriétés
foncières acquises par ses sociétés
en ville. Rafic Hariri incarnait donc un symbole
fort du marché. Mais finalement, les
scénarios, les plus catastrophiques, post-14
février, n’ont pas eu lieu.
«Nous sommes tous surpris
aujourd’hui que, malgré ce
drame, le pays a résisté», explique
Victor Najjarian, general manager
de CARE (Consultant Agency for
Real Estate). Même écho de Raja
Makarem, managing partner de
Ramco Real Estate Advisors :
«Contrairement à ce que nous
pensions au soir du 14 février, la
situation est relativement bonne.
Presque rien n’a changé au niveau
de l’intensité des demandes que
nous recevons. Évidemment, l’activité
de la construction reste
encore affectée. Ceux qui avaient
prévu de démarrer leur projet
remettent, pour la plupart, l’exécution
du contrat pour quelques
semaines afin de voir l’évolution
politique…».
Pour les nombreux spécialistes
que nous avons interrogés, la
relative bonne santé de l’immobilier
s’explique par plusieurs
facteurs :
les secteurs de l’immobilier n’ont pas évolué
d’une manière homogène. Les investissements
fonciers sont toujours soutenus et
le marché du résidentiel résiste bien, mais
c’est l’immobilier commercial qui traverse
une période creuse.
LE FONCIER :
INVESTISSEMENT SANS RISQUE
Concernant d’abord le marché foncier, des
terrains, le 14 février n’a donc pas
affecté la fréquence des transactions,
que ce soit à Beyrouth ou
dans le reste du pays. La meilleure
illustration de ce dynamisme est
l’état de santé de la société Solidere
qui s’est révélé un véritable test de
l’évolution du marché.
Pourtant, Rafic Hariri représentait,
entre autres choses, un acteur
incontournable de la reconstruction
du centre-ville de Beyrouth, et de la
société Solidere. Beaucoup de
monde attendait donc avec anxiété
de savoir comment Solidere allait
surmonter l’après-14 février.
Finalement, l’optimisme a rapidement
pris le dessus. Première
constatation : si le cours des actions
est passé de 9 à 6 $ en l’espace de
deux jours, rapidement les titres
sont repartis à la hausse pour
retrouver leur niveau d’avant le
drame. Dans le même temps, la
société annonçait des bénéfices nets
de 54 millions $ pour l’exercice
2004. Désormais, Solidere peut s’ap-
1) Le choc de l’assassinat de Rafic Hariri a
été en quelque sorte compensé par l’annonce
du retrait des troupes syriennes du
Liban, puis par la mise en place d’une
enquête internationale sur l’attentat.
2) La situation monétaire du pays est restée
stable.
3) Les manifestations populaires et pacifiques
ont donné un peu de confiance aux
investisseurs locaux et arabes.
Cependant, à y regarder de plus près, tous $. Prochainement, les appartements vont
dépasser les 5 000 $ le m2». Du côté de l’incidence
foncière, même tendance, parfois
avec une inflation des prix. Actuellement, les
parcelles sont à 1 300 $ le m2 bâti. Il y a 4-5
ans, les prix étaient de 950 $ le m2. Cela fait
une hausse de plus de 30 %.
PAS DE “SOLDERIE”
En dehors du périmètre de Solidere, les
investisseurs sont là aussi actifs. Que ce
soit à Achrafieh ou à Beyrouth-Ouest, les
bonnes parcelles à des prix raisonnables
se font de plus en plus rares malgré la
demande. «Des ventes ont été enregistrées
dans la région de Saïfi et de Ras
Beyrouth. Il y a même une pénurie d’offres
à Achrafieh ; il n’y a plus de stocks disponibles.
Nous sommes en train de livrer
bataille pour acheter les dernières parcelles
encore sur le marché», précise
Najjarian. Illustration de la dynamique du
marché, un terrain de presque 9 000 m2 a
été acheté à 28 millions $ à côté de l’ancien
Holiday Inn. Cet achat qui date d’avant
le 14 février s’inscrit dans la réalisation
d’un important projet résidentiel. À ce jour,
cet investissement n’a nullement été arrêté.
Autre exemple : début avril, une parcelle
de 3 000 m2 a été acquise à proximité de
l’hôtel Gabriel à Achrafieh. L’appétit des
investisseurs ne semble pas faiblir.
De plus, aucune “solderie” n’a été constatée.
«Certains espéraient une baisse des
prix. On se disait que les personnes qui
avaient besoin rapidement de cash étaient
disposées à vendre à un prix inférieur. Mais
cela ne s’est pas fait», explique Makarem.
«Des clients acheteurs nous ont bien
contactés pour essayer, en vain, d’obtenir
une baisse de 20 %, mais les propriétaires
ne sont pas dupes, ils ont refusé parce
qu’ils savent que l’offre est limitée», indique
Élie Zeeny, general manager de City Real
Estate. À Achrafieh, les meilleurs produits
se trouvent dans le carré Sodeco, Abdel
Wahab, rue du Liban et rue Trabaud. Les
bonnes parcelles n’y sont pas nombreuses.
Les prix des terrains peuvent atteindre en
moyenne 3 000 $ le m2, soit une incidence
foncière de 500 à 550 $ le m2 bâti.
«Dernièrement, nous avons reçu une offre
de 10 millions $ pour l’achat d’un terrain
dans une région estivale en montagne. Ces
investisseurs sont prêts à signer immédiatement,
raconte Raja Makarem. Nous
avons également eu des contacts de la part
de Saoudiens et d’Émiriens pour des
achats de terrains. Ils nous ont contactés
deux fois en quelques jours pour montrer
que leur demande était sérieuse».
LE RÉSIDENTIEL SE RARÉFIE
Est-ce que cette tendance a déteint sur le
résidentiel ? Il est incontestable que la situation
actuelle n’est pas idéale pour acquérir
un appartement. Comment peut-on casquer
500 000 $ pour un appartement de 300 m2 à
Achrafieh alors que le pays est encore dans
l’incertitude ? «Il y a certes une accalmie sur
le marché. Les clients scrutent l’évolution de
la crise politique et sécuritaire», explique
Raja Makarem. Ce marché a particulièrement
été touché par l’attitude attentiste de la
clientèle arabe et des Libanais expatriés, qui
ont donc préféré différer leur décision
d’acheter un pied-à-terre au Liban. «Ceci dit,
il y a bien eu des ventes. C’est encore minime
par rapport à la moyenne, vu cette période
de stagnation», observe Najjarian. «Le
marché ne s’est pas arrêté, nuance Zeeny.
En réalité, nous n’avons pas trop vu de différence.
Cela s’explique peut-être par le peu
d’appartements neufs encore disponibles».
En effet, les derniers événements sont
intervenus à une période spéciale pour le
marché du résidentiel, qui sort d’une année
2004 très faste. Ainsi, le stock d’appartements
neufs disponibles à Beyrouth est
?
Victor Najjarian : «Nous nous
attendons à une hausse des prix
dans la région de la marina de
Solidere. Auparavant, les ventes
résidentielles tournaient autour
de 3 000 à 4 000 $ le m2, aujourd’hui,
on atteint 4 000 à 5 000 $.
Prochainement, les appartements
vont dépasser les 5 000 $ le m2»
Raja Makarem : «Les gros projets
n’ont pas été remis en cause.
Les terrains sont déjà achetés
depuis longtemps. Les promoteurs
sont en train de finaliser
les dernières études avant
de démarrer les travaux»
puyer sur une bonne image de marque et
semble avoir atteint un point de non-retour.
«Si les événements du 14 février avaient eu
lieu, il y a quelques années, Solidere aurait
traversé une grave période d’instabilité.
Cependant, aujourd’hui, cette société foncière
est suffisamment engagée pour continuer
sur sa lancée», précise Makarem.
Signe que les affaires fonctionnent toujours,
des transactions foncières au centre-ville ont
été effectuées après le 14 février. Nous
avons eu l’écho de trois parcelles achetées
par des investisseurs locaux et arabes : place
des Martyrs pour un projet hôtelier, à Saïfi à
côté de la rue Georges Haddad et à Minet el-
Hosn en face de l’ex-hôtel Holiday Inn. «Cela
prouve que la confiance est toujours là, souligne
Najjarian. Si le pays retrouve aussi une
stabilité politique et sécuritaire, la demande
va encore augmenter». De plus, comme ceci
avait été annoncé fin 2004, la construction
des souks devrait reprendre prochainement.
La mise en place, début avril, de grues sur le
site annonce une reprise imminente.
À moyen terme, la pénurie de terrains va
même entraîner une hausse des prix. C’est
ce scénario qui incite les investisseurs à
acquérir dès aujourd’hui. «La confiance va
revenir très vite et plus fort que l’on croit,
prévoit Najjarian. Nous nous attendons à une
hausse des prix dans la région de la marina
de Solidere. Auparavant, les ventes résidentielles
tournaient autour de 3 000 à 4 000 $
le m2, aujourd’hui, on atteint 4 000 à 5 000 tellement limité que le ralentissement des
ventes n’a pas spécialement contrarié les
promoteurs immobiliers. Selon notre estimation,
la vingtaine de projets actuellement
en cours de réalisation à Achrafieh
avaient déjà un taux d’occupation de près
de 80 % avant le 14 février.
GARE À L’INFLATION
À court terme, la hausse des coûts de
construction, la pénurie de main-d’oeuvre
syrienne, qui oblige les promoteurs à
embaucher des employés locaux plus
chers, et la rareté des appartements encore
disponibles vont entraîner inévitablement
une hausse des prix. «Les prix vont
augmenter non pas à cause de la situation,
mais en fonction de l’offre qui est de plus
en plus rare», insiste Zeeny.
«Pour le projet Beirut Tower que nous suivons,
nous allons hausser les prix pour les
derniers appartements à vendre. On va
faire des hausses graduelles de 5 % d’ici
peu», précise Najjarian. Même si le
manque de main-d’oeuvre syrienne a perturbé
certains chantiers, aucun projet résidentiel
n’a été en fin de compte arrêté ces
deux derniers mois. Car des millions de
dollars sont en jeu, et déjà investis. Tous
les immeubles sur le front de mer à Minet
el-Hosn (Platinum Tower, Beirut Tower,
Marina Towers, Capital Gardens, 1444
Avenue Plaza et 1330 Park Avenue), à Wadi
Abou Jmil (The Courtyard et The Pavilions)
ou au nord de la rue Foch (Foch Residence
et Foch 94) sont lancés dans une course
contre la montre pour s’achever le plus
rapidement possible.
Même observation du côté des projets résidentiels
qui n’avaient pas encore commencé.
«Les gros projets n’ont pas été remis en
cause. Les terrains sont déjà achetés
depuis longtemps. Les promoteurs sont en
train de finaliser les dernières études avant
de démarrer les travaux», ajoute Makarem.
GRISE MINE DU COMMERCIAL
L’immobilier commercial, quant à lui, est le
secteur qui a été le plus sévèrement touché
par la situation post-14 février. Cette paralysie
du marché est bien sûr liée à la chute
considérable des chiffres d’affaires des
boutiques, des supermarchés et des restaurants.
On parle de 50 à 75 % de baisse
du chiffre d’affaires en février et en mars
au centre-ville et de 40 à 70 % à Hamra.
Dans ces conditions, les commerçants et
«Tout est redevenu normal»
Implanté au coeur du secteur Foch-
Allenby du centre-ville, Élie Harb, président
de l’agence immobilière internationale
Coldwell Banker au Liban,
confirme la résistance de la pierre.
Comment a évolué le marché ces dernières
semaines ?
Après le 14 février, tous les secteurs étaient
en stagnation. Pour l’immobilier, cela n’a
pas duré, et très vite tout est redevenu normal.
Pour preuve, Coldwell Banker a ouvert
un nouveau bureau à Kaslik début avril. De
plus, nous sommes en train de recruter une
dizaine de nouveaux représentants immobiliers
afin de mieux servir les demandes de
notre bureau à Beyrouth. Cela montre que le
marché est presque partout en progression.
Avez-vous constaté une fluctuation
des demandes et des transactions ?
Comme le montrent nos statistiques, les
demandes en janvier 2005 étaient en hausse
de 30 % par rapport à décembre 2004,
qui étaient déjà en augmentation de 20 %
par rapport à novembre 2004. En février,
nos demandes sont restées à un bon niveau,
malgré un fléchissement de 18 % seulement,
par rapport au bon chiffre de janvier.
Puis en mars, la croissance de nos
demandes a repris une courbe ascendante.
Comment ont réagi vos clients ?
On doit différencier deux types de clients en
fonction de leurs réactions. Alors que les
clients locaux, qui cherchaient à acheter un
appartement pour leur utilisation personnelle,
ont continué leurs recherches, les étrangers
ont pris leur temps, pour une courte durée,
afin d’évaluer la situation. La conclusion est
que le pressentiment d’une stabilité dans les
mois à venir a créé une atmosphère positive
en faveur de l’investissement.
Comment ont évolué les prix ?
Dans le secteur immobilier, les prix ne varient
pas en 2 mois, même suite à un événement
aussi tragique. Ceci contraste avec les fluctuations
rapides des marchés boursiers.
Y a-t-il eu des tentatives de certains
acheteurs potentiels de faire baisser
les prix ?
Oui. Cela correspond à un ancien mythe :
tout le monde pense que durant les crises
les prix baissent. Mais la vérité est claire
comme le dit un “proverbe financier” : «Les
investisseurs vendent sur la musique de guitare
et achètent sur le son des canons».
Comment se comporte spécifiquement
le marché du centre-ville ?
Le centre-ville a prouvé qu’il était le coeur vital
du pays avec des ramifications qui allaient
jusqu’aux pays du Moyen-Orient. Beyrouth
s’est révélée immunisée aux catastrophes.
Malgré les importantes mesures de sécurité
mises en place, les statistiques de Coldwell
Banker à Beyrouth montrent une activité
remarquable sur le plan résidentiel, commercial
et foncier.
Comment voyez-vous l’évolution du
marché dans les prochaines
semaines ?
Si nous n’étions pas sûrs de la prospérité
future du marché immobilier, nous n’aurions
pas ouvert 3 bureaux : à Aley, à Beyrouth,
dernièrement à Kaslik et prochainement dans
le Metn. La projection pour les prochains
mois montre une hausse continue des transactions,
due à la stabilité politique qui va
accompagner le retrait syrien, la formation
d’un nouveau gouvernement et les élections
parlementaires. les restaurateurs restent prudents dans
leur investissement. «Le marché commercial
au centre-ville est le plus affecté», précise
Najjarian. Car cette zone n’était plus
tout d’un coup un espace de loisirs et de
restauration. Et la population a commencé
à déserter la place de l’Étoile, et autres
Maarad. Du moins avant les festivités de la
relance, la semaine du 8-13 avril.
Au cours des dernières semaines (févriermars),
notre enquête sur le terrain a révélé
que 10 enseignes avaient fermé au centreville,
dont les pistaches Castania, les restaurants
L’Entrecôte, Bistrot de Beyrouth,
House of Salads et la boutique Versace. Ce
chiffre est supérieur à la moyenne des fermetures
mensuelles qui se situent habituellement
entre 4 et 5. Dans le même
temps, le centre-ville n’a accueilli, au cours
de cette même période, “que” 7 nouvelles
enseignes, comme les restaurants Maki et
Mozzarella, rue Uruguay et la franchise
Catimini, également rue Uruguay. C’est la
première fois depuis la réhabilitation du
centre-ville que le nombre de fermetures
est supérieur à celui des ouvertures.
Cependant, toutes les fermetures ne sont
pas liées à la situation actuelle. Beaucoup
avaient déjà des difficultés
avant le 14 février. «Cela
concerne surtout les petits
investisseurs qui ont des
budgets limités.
Aujourd’hui, ils sont en difficulté,
alors que les plus
solides peuvent supporter
plus longtemps ce type de
crise. Avant, dès la fermeture
d’un point de vente, il y
avait une liste d’attente pour
une reprise. Aujourd’hui, les
commerçants qui avaient
exprimé leur intérêt à ouvrir
au centre-ville, retardent
leur décision finale», raconte
Zeeny.
Le faible volume de transactions
immobilières sur les
commerces s’explique
également par la rareté de
bons emplacements.
«Désormais, il faut acheter
ou louer dans des projets
en cours de construction.
Les emplacements encore
disponibles aujourd’hui sont soit mal
placés, soit à des prix exorbitants»,
explique Najjarian. Le constat dans les
grands centres commerciaux est cependant
plus nuancé, car pour les malls
existants ou en cours de finalisation, la
majorité des boutiques a déjà été louée,
et dans certains de ces centres les seuls
emplacements encore vacants sont de
superficie très large, réservés à de
grandes enseignes.
Les rares ouvertures au centre-ville, à
Verdun, à Hamra ou à Achrafieh depuis
deux mois concernent uniquement les
commerçants qui s’étaient déjà engagés
avant le 14 février. Mais malgré cette situation
en crise, les prix demandés ne sont
nullement à la baisse. Les propriétaires
sont réconfortés par l’optimisme des professionnels.
«Prochainement, les choses
vont s’améliorer, tout cela n’est que temporaire
», conclut Makarem.
En affaires, ce qu’on appelle intuition
c’est avant tout de l’information
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Le centre-ville n’était plus tout d’un coup un espace de loisirs et de restauration.
Et la population a commencé à déserter la place de l’Étoile, et autres
Maarad. Du moins avant les festivités de la relance, la semaine du 8-13 avril.
Élie Zeeny, general manager
de City Real Estate : «Des clients
acheteurs nous ont contactés pour
essayer, en vain, d’obtenir
une baisse de 20 %,
mais les propriétaires
ne sont pas dupes, ils ont refusé
parce qu’ils savent que l’offre
est limitée»