Depuis quelques années déjà, les informatiques françaises développent des entités de services à l’étranger, appelées sociétés offshore. Le Liban pourrait-il devenir un futur plateau d’accueil ? Oui, mais… «il faut qu’il fasse ses preuves».

La ville de Bangalore dans l’État central de l’Inde du
Sud a de
quoi faire
rêver le pôle technologique beyrouthin
Berytech : c’est ce qu’on appelle, entre
initiés, la Silicon Valley indienne.
L’ancienne cité-jardin des Anglais est
devenue la capitale des technologies de
l’information. Près de 1 500 entreprises
sont installées dans cette mégalopole
de 7 millions d’habitants. Chaque
semaine, 3 nouvelles firmes informatiques
étrangères débarquent, 300 000
personnes y travaillent et réalisent un
chiffre d’affaires de 4,2 milliards $
(dont 80 % à l’export). Résultat de cet
engouement mondial : les hôtels manquent,
les embouteillages sont à la
mode (on parle d’un afflux de 900 nouvelles
voitures par jour) et le taux de
pollution n’a jamais été aussi important.
Véritable plaque tournante du boom
indien de l’informatique, Bangalore
s’est même offert le luxe de devenir
sous-spécialisée en biochimie, aéronautique,
centres d’appels et en services
divers aux plus grandes multinationales
(Deutsche Bank, General
Electric, Microsoft, Intel, Philips…).
LA SILICON VALLEY INDIENNE
net d’étude qui développe des prestations de
conseils au bénéfice du domaine de l’informatique,
entre autres. Et même si les résultats
sur les chiffres d’affaires restent marginaux,
tout le monde s’y est mis. «Il y a encore
quelques mois, les clients voulaient absolument
de l’offshore. On nous a même imposé
des équipes déjà en place en Inde. Alors
qu’aujourd’hui, chez nous, nos activités offshore,
implantées au Maroc et au Liban,
représentent autour de 2 % de notre chiffre
d’affaires», explique Jean-Baptiste
Quelquejay, directeur Outsourcing chez
Unilog, une SSII française de 7 000 personnes
et 600 millions d’euros de chiffre d’affaires.
PAS ENCORE UNE DESTINATION
Le Liban, justement, n’est pas encore
Le sujet reste plus ou moins tabou en
France. Question de morale commerciale
sans doute. Mais le phénomène est bien
réel et s’effectue massivement dans une
euphorie à peine maîtrisée. Aujourd’hui, pour
être compétitif sur le marché, les Sociétés de
services et d’ingénierie informatique (SSII) doivent
se développer en offshore, c’est-à-dire de
confier à une équipe établie à l’étranger la réalisation
d’une application informatique. Aucun
texte n’interdit cette pratique développée parfois
à outrance et qui permet principalement
un abaissement des coûts de réalisation.
Ce sont les Américains qui ont été les premiers
à externaliser massivement certaines
applications. En Europe, on parle déjà de
30 000 emplois ainsi perdus. En France, où la
mode est à l’origine venue des directions
générales d’achat et non des directions informatiques,
on table sur un manque à
gagner de plusieurs milliers d’emplois.
Quand bien même le secteur
recrute énormément et constamment.
Les pays leaders d’accueil en
offshore restent l’Inde, l’Irlande, le
Canada et l’Europe de l’Est. Des
pays qui se sont spécialisés dans la
production de logiciels, les opérations
de saisie ou dans le développement
d’applications. Les sociétés
qui font le choix de l’offshore réalisent
ainsi de 30 à 60 % d’économie
dans les coûts induits de production.
«En France, l’offshore représente
encore moins de 1 % du développement
du logiciel, alors qu’il est beaucoup
plus fort aux États-Unis ou en
Grande-Bretagne», nuance cependant
Élisabeth Demaulde, de chez
Pierre Audoin Consultants, un cabi-te, l’Égypte, Chypre, Bahreïn – et le
marché français (pour des sous-traitances).
«Une trentaine de personnes
sont employées et dirigées par un
ancien d’Unilog France, Habib Maaz»,
explique Jean-Baptiste Quelquejay.
Après une filiale locale libanaise établie
dès 1996, c’est en mars 2004 qu’Unilog
a renforcé sa présence en ouvrant à
Berytech un nouveau centre de développement
offshore, à destination de la
clientèle européenne sous la forme d’un
centre de maintenance informatique à
distance.
LES DÉÇUS DE L’INDE
Ceci dit, pour le secteur informatique
français, on devient sélectif : la mode de
l’offshore à tout prix est terminée. Les
problèmes culturels et de langue ont eu
raison du procédé. Les déçus de l’offshore
indien reviennent, et regardent
moins loin, notamment vers les pays
francophones ou au Maghreb, comme le
Maroc et la Tunisie. Le Liban a donc une
carte à jouer, en s’appuyant sur ses
points forts qui sont la francophonie, le
faible décalage horaire et la proximité
culturelle avec la France.
Le phénomène ne s’essoufflera donc
pas, mais retrouvera sans doute un juste
milieu et une stratégie ciblée pour une
plus grande efficacité. «Il y a un recentrage
sur un coeur de métier, encore
plus compétitif, avec de vrais spécialistes
», analyse Alexandre Lemaire,
directeur associé de Scemi, une autre
société spécialisée dans
l’externalisation informatique
en offshore. Alors que
chaque pays affirme de plus
en plus sa spécialité (les
systèmes en Inde, les saisies
comptables pour
Madagascar, etc.), le Liban
reste porteur, dispose de
nombreux atouts, peut créer
une surprise de taille, et
devenir un repère régional,
au détriment d’Israël, par
exemple, qui concentre une
grosse part des services des
télécommunications. Il est
vrai qu’il y a actuellement
une place pour tout le monde,
mais on observe dans le
milieu que tous ne pourront
pas s’imposer à terme.
considéré comme un nouvel eldorado
informatique. Il n’est pas non plus
oublié : «Bien sûr, on regarde de près le
Liban pour le offshore, mais il faut que
le pays garantisse la formation d’informaticiens
et qu’il apporte la preuve de
son savoir-faire. C’est fondamental»,
précise Demaulde. Selon Nicolas
Goldstein, fondateur du portail Offshoredéveloppement,
«au Liban, tout reste à
démontrer aux yeux du marché mondial.
C’est un pays qui peut représenter une
très forte valeur ajoutée». Pour lui, le
Liban doit «insister sur la qualité des
ingénieurs et restructurer en interne les
fonctionnements». Ayant développé son
propre réseau au Liban via un intermédiaire
libanais, Goldstein reconnaît paradoxalement
que le pays est «pour le
moment marginal». Et pourtant, ce portail
est une référence pour les études et
conseils ciblés sur le thème de l’offshore
et du travail à distance.
Même si on ne distingue pas encore très
bien le Liban comme un point d’ancrage,
il reste très bien placé dans la prochaine
course de l’offshore. Toute le monde le
dit : «À terme, on développera davantage
du offshore francophone. La barrière
de la langue et du décalage horaire est
trop forte en Inde par exemple. Alors le
Liban a intérêt à prouver sa capacité à
faire de l’offshore et se présenter
comme compétitif», poursuit Demaulde.
Le groupe Unilog semble néanmoins
satisfait de son entité offshore libanaise.
C’est que l’entité basée au Liban a développé
ses activités vers l’Arabie saoudi-
PETIT LEXIQUE ET CHIFFRES
Le développement Offshore désigne le fait
de confier à une équipe à l’étranger la
réalisation d’une application informatique.
Mais on parle de développement
Nearshore quand la zone géographique
choisie reste sur le territoire national (en
province) ou alors à proximité (on va jusqu’à
parler des pays du Maghreb comme
des pôles de Nearshore). Le Onshore est
un autre type de développement qui voit
venir des informaticiens étrangers intégrer
temporairement des sociétés françaises
en France, pour mener une mission.
Le BPO, Business Process Outsourcing,
est encore une application offshore. Il
s’agit de confier un pan complet d’une
activité de l’entreprise à un prestataire
extérieur. Ainsi, il est courant de confier à
un spécialiste des centres d’appels le processus
total de support après-vente de
ses produits. Le BPO pèse en 2004 près
de 25 milliards d’euros en Europe et
devrait atteindre 33 milliards en 2007.
On estime que les SSII françaises ont
développé une centaine de sociétés offshore
dans le monde. Principalement en
Inde, en Europe de l’Est ou au Maroc.
L’Inde, qui lance sur le marché près de
450 000 nouveaux informaticiens diplômés,
absorbe encore aujourd’hui près de
80 % des contrats offshore, et 40 % des
entreprises américaines feraient appel à
cette technique. Même si la réduction des
coûts salariaux motive ce développement,
d’autres motivations sont évoquées, le
plus souvent à demi-mots : «Il se peut
que le développement en offshore couvre
aussi une politique d’abaissement des
charges et de défiscalisation, mais c’est
très léger. C’est sans doute un des critères
choisis parmi d’autres», souligne
Pierre Dellis, délégué général de Syntec
Informatique, la chambre professionnelle
C du secteur.