Qu’est-ce qui fait courir Henri Chaoul, numéro deux de Master Trend Capital, première société de gestion de portefeuille, à avoir lancé un fonds spéculatif de quelque 110 millions de dollars à Beyrouth ? Un mot revient comme une ritournelle dans ses propos : « Intelligence. » L’intelligence, dont il parle, c’est d’abord celle des hommes croisés au cours de ses 20 ans passés à conseiller des entreprises dans leur valorisation boursière. « J’ai vécu ma carrière dans le quotidien des entrepreneurs les plus influents de la planète. Les aider à construire l’avenir de leur entreprise a représenté une émulation incomparable. » On pourrait le croire pédant, un peu élitiste si un petit rien d’enfance ne brillait dans ses yeux : le plaisir de jouer dans « la cour des grands », de s’y trouver admis. Une jubilation qu’on retrouve lorsqu’il évoque son changement de cap en 2007 et sa décision de devenir, à son tour, un entrepreneur. Henri Chaoul a ouvert Master Trend Capital en association avec Michel Daher, fondateur, entre autres, de la marque libanaise de céréales Poppins et actionnaire majoritaire de la plate-forme américaine de courtage FXCM (Forex Capital Markets). « Son instinct des marchés m’a d’autant plus bluffé que Michel est à l’origine un industriel, pas un financier. C’est un homme de terrain dont le leadership s’appuie sur une connaissance réelle des entreprises ou des secteurs où il investit. Cela lui a permis de gérer le portefeuille familial avec un rendement annualisé de l’ordre de 79 % depuis 2003 ! » Leur système, Chaoul et Daher affirment le fonder sur deux piliers : la confiance et la différence. La confiance, ils pensent la gagner en jouant sur la transparence et un investissement personnel de 25 millions de dollars. La différence ? « Le modèle de banque universelle est mort avec Citigroup. Les métiers bancaires vont se réinventer. Les petites structures, dans lesquelles la relation avec les investisseurs est permanente, prouveront leur légitimité. » La méthode n’a rien de révolutionnaire. Certaines boutiques de gestion l’ont déjà bien rodée. Mais elle semble fonctionner suffisamment pour que le fonds affiche un retour sur investissement de l’ordre de 22,84 % sur ses cinq premiers mois d’existence (de août à décembre 2008), soit un taux annualisé de 69,93 %. Un score honorable quand Standard & Poor’s, lui, a dégringolé de plus de 40 % sur la même période. La revue hedgefund.net, qui passe au crible l’actualité financière, a même classé Master Trend Capital numéro un sur quelque 1 442 autres fonds à stratégie globale pour la performance réalisée en novembre 2008 (7,72 %).
Mais ce qui les distingue le plus, c’est encore de s’être installé à Beyrouth. « Ma vie personnelle m’a amené à sentir le besoin de retourner vers ma famille », dit-il pudique, évoquant à mots feutrés l’assassinat de son frère comme son propre divorce. « Que je sois à Londres, Genève ou Beyrouth, ne change rien. Ce qui importe, c’est la vitesse de réaction, la pertinence des analyses. » Comme beaucoup de fonds, l’organisation de Master Trend Capital repose sur une structure triangulaire : bureau à Beyrouth ; enregistrement légal aux îles Cayman ; contrepartiste (“prime broker”) suisse. Une organisation qui, au-delà des évidents avantages fiscaux, offre à tous les clients, quelle que soit leur nationalité (et donc les lois qui régissent leur lieu de résidence), une garantie d’investissement identique. « Je n’ai besoin que d’Internet et d’un téléphone. La sempiternelle question de l’instabilité du pays est une mauvaise excuse : un problème et je bascule à Chypre ou ailleurs en quelques heures. » Pas fou cependant, Henri Chaoul a construit une infrastructure technologique pour parer aux défaillances du système de communication libanais : ligne Internet dédiée avec les fournisseurs de trading en ligne, serveurs et service back-up hébergés à Londres, assurance antiterrorisme… Des mesures de sécurité, qui ne l’empêchent pas de pester contre la lenteur des connexions ou la saturation des lignes. Il enrage d’avoir été injoignable au téléphone pendant les fêtes de fin d’année au prétexte que le réseau était saturé par les SMS de vœux des expatriés.
La chance de Henri Chaoul, c’est la crise financière mondiale qui la lui a fournie. « Lorsque la City a vacillé, j’ai su que je tenais l’opportunité d’embaucher des Libanais qui autrement n’auraient jamais envisagé un retour à Beyrouth. » Il finalise le recrutement de deux ex-banquiers londoniens, affirmant avoir tenté au préalable de trouver au niveau local les futures têtes pensantes de Master Trend Capital sans succès. À terme, une dizaine de “traders” devraient les rejoindre dans les prochains mois. « Le Liban devient un avenir possible pour d’anciens expatriés. Une chance même : la crise financière peut se résorber. Mais nous mettrons bien plus de temps à nous relever de la récession économique. En 1929 ou en 1873, date de la “grande dépression”, les Bourses s’étaient assainies rapidement. Mais la récession, elle, s’était maintenue plusieurs années. Je crains d’autres événements à la manière des “émeutes de la faim” ou de la révolte d’Athènes en décembre dernier. » Il n’en démord pas, Henri Chaoul : la refondation des marchés financiers pourrait bien offrir à Beyrouth une chance “historique” de se différencier. « Une place alternative. Une place où l’intelligence et l’expérience représenteraient le moteur : gestion d’actifs, boutique de gestion… Encore faut-il s’y préparer, aider à sa naissance. Et là… » On sent chez Henri Chaoul comme une pointe d’amertume. « La crise financière révèle l’absence d’une pensée originale : la majorité des banquiers ont agi en moutons de panurge, sans jamais réfléchir, hantés par la performance immédiate. » Derrière pareil constat, le sentiment de ne pas donner sa pleine puissance. Crise oblige, lui qui aime envisager une cohérence sur le long terme se trouve contraint à une vision court termiste. « Aujourd’hui, personne n’a de visibilité. Nous sommes presque dans l’incapacité de prévoir à quelques jours tant l’émotionnel dirige les mouvements. Cela ne signifie pas qu’il faut, comme on l’entend partout, “rester liquide”. Même s’il faut se protéger, les crises sont toujours le moment d’investir. Beaucoup de valeurs étant sous-évaluées sans raison. »


Bio express

Henri Chaoul
• 42 ans, divorcé, deux enfants, nationalités canadienne et libanaise. Henri Chaoul s’est à nouveau installé à Beyrouth en 2007. Son père, Joseph, est un ancien ministre de la Justice durant le premier mandat d’Émile Lahoud et président honoraire du Conseil d’État. Sa famille est originaire de Deir el-Kamar.
• Notre-Dame de Jambour (1984), licence de l’Université américaine de Beyrouth (1988), doctorat de l’Université de Columbia (1994).
• Directeur du bureau européen de Buy-side Insights Group de Crédit suisse, Londres (2004-2007). Directeur de la branche conseil groupe KPMG, Paris (2002-2004). Directeur au sein du bureau d’A.T. Kearney, Chicago (1994-2000).
• Fondation en 2008 de Master Trend Capital.

Michel Daher
• 47 ans, marié, 4 enfants.
• Entre 1992 et 1999, il participe à la création de plusieurs entreprises industrielles au Moyen-Orient dont Delta Trading & Dafico, qui commercialise les chips Master Potato et les cornflakes Poppins.
• En 2003, il fonde Master Global Assets Limited, une société de gestion des actifs familiaux, avec un taux de retour annualisé de 79 % depuis ses débuts.
• En 2007, principal associé du fonds américain Long Ridge Equity Partners. Après la faillite de Refco, Long Ridge s’associe à Lehman Brothers et à l’Université de Yale pour racheter les parts de cet ancien courtier indépendant des marchés à terme dans Forex Capital Markets (FXCM), la plate-forme en ligne de trading en devise. Daher en est désormais l’actionnaire majoritaire (25 %).
Master Trend Global Opportunities en bref
• Fonds doté de 110 millions de dollars. 25 millions de fonds propres ont été injectés par les deux associés et bloqués pour une durée de deux ans. Le reste du capital provient principalement d’investisseurs régionaux et de boutiques de gestion.
• Ses prises de participation interviennent sur différentes classes d’actif, secteurs d’activité ou régions géographiques.
• Le fonds se rémunère en ponctionnant 2 % au titre de la gestion du capital confié et 20 % sur les profits générés. Cette dernière commission est intégralement réinvestie dans le fonds.
• Contrepartiste et auditeur indépendants.