Phénomène de société, le réseau téléphonique mobile libanais a conquis la première place mondiale en termes de durée d’utilisation mensuelle, atteignant 750 minutes par abonné. Même la stagnation économique n’a pu le détrôner.
Un entretien avec Sima Hafez, directeur marketing de Cellis, nous a permis de répondre aux principales questions concernant ce secteur. (Côté LibanCell, nous avons sollicité un entretien avec ses représentants sans obtenir de résultat).
Le GSM en 15 ans
En 1992, le gouvernement libanais lance un appel de préqualification d’opérateurs GSM. Un an plus tard, l’appel d’offres est lancé aux opérateurs sélectionnés et en août 1994, deux contrats BOT sont signés, l’un avec Cellis ayant pour actionnaire principal France Télécom Mobile International (67 %) et l’autre avec LibanCell.
Le 1er mai 1995 le réseau Cellis devient opérationnel. Un an plus tard, 95 % des zones peuplées sont couvertes par les services de cet opérateur en “Out Door” (hors des habitations) tel que stipulé par le contrat BOT.
Aujourd’hui, Cellis a acquis 53 % des parts du marché libanais avec ses 295 000 abonnés, a reçu en 1998 par France Télécom Mobile International le trophée de la meilleure gestion, a été certifiée ISO 9002 et se prépare à la certification TQM (Total Quality Management). En réalité, les deux compagnies cellulaires, qui ont essuyé beaucoup de critiques et de plaintes au début de leurs opérations, se sont largement rattrapées sur la qualité par la suite.
Le contrat BOT
Ce contrat a pour objet d’installer, mettre à jour, opérer et transférer au gouvernement libanais après 12 ans d’exploitation la totalité des installations existantes. Il est stipulé que les opérateurs auront à charge de suivre les besoins et investir en moyens nécessaires pour répondre à la demande du marché.
La structure tarifaire imposée a fixé les frais de connexion à 500 $, l’abonnement mensuel à 25 $ et le coût de la minute de communication à 0,05 $, considéré comme étant un des plus bas au monde. La rémunération du ministère est calculée en pourcentage des montants facturés : 20 % les 8 premières années, 40 % les deux années suivantes et 50 % les deux dernières années. Il faut noter que les revenus se rapportant aux communications internationales et à l’utilisation du réseau fixe sont intégralement reversés à nos services publics.
Instabilité réglementaire
En août 1997, les opérateurs acceptent de facturer à leurs abonnés une taxe de 0,02 $/minute, entièrement reversée à l’État mais demandent, en contrepartie, la libération de la bande 1 800 MHz. En 1998, les services publics limitent le nombre total de lignes exploitables par les deux opérateurs à 500 000 réparties à parts égales. En mai 1999, le gouvernement impose une nouvelle taxe de 0,04 $/minute. Au total, sur les 0,12 $ facturés par minute, 0,08 vont au gouvernement et 0,04 vont aux opérateurs (tenant compte des 20 % de rémunération).
Résultat, malgré l’instabilité réglementaire, l’augmentation de plus de 100 % du prix payé par minute provoquant une diminution de 10 % du trafic mensuel, la limitation du nombre de lignes engendrant un manque de croissance des activités, Cellis a investi 380 millions de dollars pour développer son réseau dont les performances dépassent les conventions contractuelles.
En effet, les investissements réalisés ont permis d’étendre la couverture du territoire en “Out Door” vers une couverture en “In Door” (dans les bâtiments) de 70 % et en “In Car” (en voiture) de 60 %. Par ailleurs, pour répondre aux habitudes de nos concitoyens, il a fallu faire face à la densité élevée du trafic. En effet, le faible coût par minute a affecté le comportement des utilisateurs les poussant à consommer plus de 750 minutes par abonné et par mois (parmi les plus hauts au monde) alors que la moyenne mondiale se situe à 110 minutes.
De plus, le développement du schéma de réutilisation multiple (Multiple Reuse Pattern) adopté pour l’implantation des sites de transmission (309 fin 1988) a permis une utilisation optimale des fréquences disponibles.
Grâce à une configuration offrant une redondance de plus de 20 %, il a été possible de rétablir dans les 48 heures le service de communication après le bombardement d’une sous-centrale de transmission (MSC) à Jieh, sa remise en état a coûté 20 millions de dollars. Par conséquent, pour assurer ce niveau de disponibilité, « la mise en exploitation d’une nouvelle ligne (un abonné) sur le réseau nous coûte 1 500 $ », nous précise Sima Hafez.
Ceci n’a pas empêché Cellis de verser au Trésor public 280 millions de dollars (et autant de LibanCell) durant la période d’exploitation écoulée, de générer plus de 3 000 emplois directs et indirects dans notre pays, de remplacer ses cadres étrangers par des Libanais qui ont pu bénéficier du transfert de compétences. Elle consacre ainsi plus de 13 % de ses revenus pour assurer une formation continue aux employés. Elle s’est lancée dans un processus de développement régional (Mobinil en Égypte) et a offert de nouveaux services à sa clientèle.
Les négociations ont démarré
Le secteur de la téléphonie mobile connaît une récession due au blocage du nombre de lignes exploitables et la chute du pouvoir d’achat des clients. En effet, le marché des téléphones mobiles, n’ayant plus la possibilité de se développer par de nouveaux abonnements, consacre actuellement le principal de ses activités à la vente des cartes prépayées et le renouvellement des appareils usagés.
C’est ainsi que les représentants du secteur ont constaté une nette diminution du taux de renouvellement des téléphones portables (de 25 % les dernières années à 10 % cette année).
Pourtant, ce marché reste porteur tant pour le secteur public que pour les opérateurs, et l’industrie qui en dépend. En effet, le taux de pénétration du téléphone portable n’a pas atteint un seuil de saturation. Les pouvoirs publics auront donc tout intérêt à opter pour une stratégie de développement de la téléphonie mobile, secteur à haute valeur ajoutée et générateur d’emplois.
De nombreux exemples viennent corroborer cette dernière hypothèse. L’Union européenne a évalué dans son Livre Blanc à 60 millions le nombre de personnes qui auraient un emploi dans les domaines des télécommunications et des technologies de l’information.
Aux États-Unis, le nombre d’emplois chez les opérateurs longue distance est passé de 140 000 en 1988 à 154 000 en 1992, témoignant des effets de la libéralisation entamée très tôt dans ce pays.
Enfin, une note optimiste pourrait débloquer la situation. À la demande du gouvernement libanais, le bureau de consultants international Booz Allen & Hamilton vient de terminer une étude de marché consacrée à notre secteur de téléphonie mobile. Les négociations actuelles entre les représentants du gouvernement et les opérateurs devraient mener à la révision du panorama contractuel.