La variable au Liban
Il existe quatre systèmes de retraite au Liban. Le premier est destiné aux fonctionnaires civils, enseignants et militaires, il est géré par le ministère des Finances. Le deuxième est destiné aux salariés des entreprises privées et publiques ; il est régi par la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS). Le troisième concerne les membres de certains ordres professionnels. Et l’on peut regrouper dans un quatrième les prestations des sociétés d'assurance-vie privées pour lesquelles les adhésions sont volontaires sur base individuelle ou contractées par de grandes entreprises pour leurs employés sous forme de mécanismes complémentaires à la CNSS.
Les pensions des fonctionnaires
Les fonctionnaires bénéficient d'un système de retraite dont le financement provient de cotisations s’élevant à 6 % de leurs salaires, mais ces cotisations restent généralement très insuffisantes pour couvrir les dépenses de pension dont une large part incombe au budget de l'État. Aucun provisionnement n’existe et le coût du système est particulièrement lourd pour les finances publiques, surtout pour ce qui concerne les militaires dont la durée d'activité est courte, ce qui a pour effet d'alourdir la dette cachée de l'État et d'exercer une pression à la baisse sur les salaires dans la fonction publique.
De fait, après sa retraite, le fonctionnaire a droit à une pension qui représente 85 % du dernier salaire, sans plafond, en plus d’une indemnité ponctuelle, lors du départ à la retraite, qui est particulièrement importante pour les militaires. Cette pension est transmissible aux héritiers : l'épouse, les enfants mâles mineurs et les filles célibataires non actives jusqu’à 25 ans. Il concerne près de 120 000 cotisants (dont près de 60 % de militaires) et 60 000 pensionnés (dont plus de 75 % d’anciens militaires).
Techniquement parlant, le régime des pensions des fonctionnaires est déséquilibré. Les niveaux de cotisation, la durée d’activité, l’espérance de vie et le ratio de la pension au salaire sont des variables liées par une formule qui assure l’équilibre financier à long terme. Or tel n’est pas le cas. Les conditions théoriques d’équilibre imposeraient un taux de cotisation de 28 % pour les fonctionnaires civils et de plus de 100 % pour les militaires. En pratique, on se trouve en face d’un système hypocrite qui finance des pensions relativement généreuses par une baisse des salaires apparents, induisant de ce fait un mécanisme d’aggravation des déficits et donc une dette implicite qui s’accumule continuellement et qui dépasserait d’ores et déjà la moitié du PIB.
Les indemnités de fin de service de la Caisse nationale de Sécurité sociale
La CNSS a été constituée par la loi du 26 septembre 1963 et le décret 13955, parachevant en quelque sorte les réformes institutionnelles du mandat de Fouad Chéhab. Il s’agit d’une structure paritaire, censée être indépendante, dont le conseil d’administration est composé de représentants de l’État, des salariés et des employeurs.
Elle devait comprendre quatre branches : 1) l'assurance maladie et maternité ; 2) l'assurance des accidents du travail et des maladies professionnelles ; 3) le système des allocations familiales ; 4) les indemnités de fin de service (IFS).
Dans la réalité, l'assurance maladie n'a démarré qu'au début des années 1970, alors que la branche des accidents du travail et des maladies professionnelles n'est toujours pas vraiment fonctionnelle. Quant à la Caisse des allocations familiales, elle consiste pratiquement à opérer des transferts des assurés célibataires ou ayant peu d'enfants vers les assurés mariés dont la famille est nombreuse (jusqu’à cinq enfants).
Concernant le système des indemnités de fin de service, l'article 49 de la loi souligne explicitement son caractère provisoire, puisqu'il stipule que « ce système restera valide jusqu'à la mise en place d'un système de pension de retraite ». Un article de la loi a même prévu que le règlement de la Caisse devrait spécifier les modalités de transformation de l’IFS en pension. Encore un transitoire qui dure depuis 46 ans !
En apparence, le système des indemnités de fin de service est simple :
• l’employeur verse, au bénéfice de l’assuré, une cotisation obligatoire représentant un douzième de son salaire global effectif, incluant les avantages en nature et autres indemnités, soit 8,5 %, dont 0,5 % vont financer les frais de gestion ;
• l’assuré reçoit, à l'âge du départ à la retraite (60 ans pour les hommes et 55 ans pour les femmes au moins) ou après 20 ans d’activité ou un an après le mariage pour les femmes, ou encore en cas de décès ou d’invalidité, un montant forfaitaire équivalant à son dernier salaire mensuel multiplié par le nombre d'années de cotisation pour les vingt premières années d’activité plus un salaire mensuel et demi par année d’activité au-delà des vingt premières années.
La loi envisage, en théorie, deux modalités pour la gestion des fonds : les cotisations peuvent être accumulées sous forme de provisions auprès de l’employeur ou bien versées à la Caisse des indemnités de fin de service ; elle mentionne de plus, bien que d’une manière confuse, des incréments d’intérêts sur ces fonds. En pratique les fonds sont presque intégralement collectés par la caisse, même si la collecte accuse des retards considérables. La généralisation de la pratique de la collecte est venue en réponse aux besoins croissants de financement de la dette publique pour laquelle les fonds de la Caisse des IFS ont été largement mis à contribution, notamment depuis les périodes de forte inflation des années 80, aux dépens bien entendu des assurés mais aussi de leurs employeurs.
Pour collecter ses fonds, la CNSS dispose face aux entreprises récalcitrantes de deux armes redoutables : le quitus de la CNSS qui est exigé dans pratiquement toutes les formalités et le caractère privilégié de ses créances en cas de poursuites ou de faillite. Mais ces arguments restent sans effet auprès de l’État, des offices autonomes et des autres entreprises publiques qui accumulent les déficits. Après de longues tergiversations, les arriérés de l’État ont finalement été rééchelonnés sur 10 ans avec 5 % d’intérêt, alors que le projet initial prévoyait une durée de 20 ans sans intérêts, sans qu’ils ne soient pour autant comptabilisés comme dette publique, ni transformés en titres formels de dette.
La loi prévoit que les fonds non maintenus auprès des employeurs soient placés dans les titres de dette publique (qui n’existaient pas jusqu’aux années 80) ou prêtés aux assurés, ou encore utilisés pour des opérations à caractère social (dont il reste l’hôpital de Batroun), ou encore pour l’acquisition d’actifs réels. En pratique, depuis lors, les fonds ont été massivement collectés auprès des entreprises pour être systématiquement placés en bons du Trésor, avec souvent des taux d’intérêt inférieurs aux taux de marché, alors que les cotisations à la charge du Trésor se transformaient en dette forcée non rémunérée. Avec la montée des risques financiers, au début des années 2000, le conseil d’administration de la CNSS a pris la décision courageuse de placer une partie des fonds auprès des banques pour obtenir une meilleure rémunération.
La soutenabilité du système
L’équilibre du système repose donc sur un ensemble d’hypothèses, notamment : 1) que le salarié ne connaisse pas de chômage et qu’il ne change pas d’employeur durant toute sa vie active ; et 2) que le rendement réel du placement des fonds, après déduction de l’inflation, équilibre le rythme de progression du salaire nominal.
Aucune de ces deux hypothèses n’étant évidente, la loi a prévu deux dispositions sommaires qui, plutôt que d’en corriger les défaillances, bouleversent complètement la logique du système :
1) En cas de changement d’employeur, la règle de l’indemnité égale au salaire mensuel multiplié par le nombre d’années d’activité en relation au salaire (logique de contributions variables et de pensions définies) ne s’applique qu’au dernier employeur alors que les employeurs précédents sont requis d’arrêter les “comptes” de leurs salariés et de les verser à la CNSS qui leur applique un taux d’intérêt qu’elle fixe d’ailleurs assez arbitrairement (ce qui correspond à une logique de contributions définies et de pensions variables).
2) En cas d’écart entre les fonds que le dernier employeur aura accumulés pour le compte du salarié et le montant de la pension qui lui revient, l’employeur est redevable de cet écart que l’on appelle “montants de correction” pour toute la période passée d’activité de l’assuré chez lui.
On se retrouve donc en face d'un système à la fois grossier et complexe qui ne comporte aucun mécanisme de redistribution ou de solidarité, ni ne respecte les conditions normales des mécanismes de capitalisation puisque la notion de compte individuel n’existe pas et les rendements des placements sont opaques, l'assuré ne pouvant pas suivre l'évolution de son épargne.
Les défauts du système
Les défauts de ce système sont multiples :
• L’application du système est restreinte aux salariés permanents sans aucune couverture pour la majorité des actifs, qu'ils soient entrepreneurs individuels, travailleurs saisonniers ou autres.
• L'assuré perçoit son indemnité en une fois et ne dispose plus dès lors d'aucun revenu ; il perd en particulier toute couverture médicale durant ses vieux jours.
• Pour compliquer encore plus le système, l’employé est habilité à “liquider” ses indemnités après vingt ans de service, ce qui réduit pratiquement à néant le montant qui lui sera versé à l'âge de la retraite. Dans les faits, une forte proportion des assurés procèdent ainsi que ce soit pour répondre à des besoins urgents ou par crainte d'une dévaluation qui déprécierait leur indemnité finale, ou encore parce qu’ils se rendent compte que la défaillance introduite par disposition dans l’équilibre financier du système est à leur avantage.
• Enfin, l'indemnité étant fixée indépendamment des cotisations, pour ce qui concerne le dernier employeur, et sans possibilité de retracer les rendements des placements, pour les cotisations accumulées avec les employeurs précédents, le système s’avère excessivement instable et injuste avec des pertes qui peuvent être considérables pour l’assuré, et des surcharges qui peuvent être lourdes et injustifiées pour les “derniers employeurs”. C’est en particulier le cas si le rendement effectif des fonds faiblit ou devient lourdement négatif suite à une forte inflation (1) ou encore si le salaire de l'assuré subit des baisses dues au déclassement, à la perte d'emploi ou à la dévaluation du pouvoir d’achat de son salaire au moment de son départ à la retraite en l’absence de tout mécanisme d’indexation des pensions ou de correction des salaires.
Le plus grave est que la mobilité des salariés est découragée et surtout que les coûts et les incertitudes occasionnés par le système pour les employeurs, sans bénéfices équivalents pour les salariés, découragent l’embauche des salariés permanents, surtout Libanais avec les effets dévastateurs que l’on connaît sur l’emploi et la productivité.
La situation financière de la Caisse des IFS
La loi de 1963 prévoit que la Caisse des indemnités de fin de service soit totalement séparée des autres caisses d'assurance maladie et d'allocations familiales mais, en pratique, certains employeurs et notamment les entreprises publiques ne versent pas leurs cotisations, l’État ne règle par sa part de couverture de l'assurance maladie, sachant que celle-ci a été étendue à certaines catégories socioprofessionnelles (chauffeurs de taxi, moukhtars, etc.). Résultat, la caisse d'assurance maladie accuse un déficit chronique, ce qui a contraint la direction de la CNSS à puiser dans les réserves de la Caisse des indemnités de fin de service pour le compenser.
Pendant longtemps, et jusqu'à aujourd'hui, les comptes annuels de la CNSS sont présentés comme un compte de caisse, ignorant la nécessité de constituer des réserves pour les salariés cotisants. Dans cette lecture superficielle, la CNSS prise globalement apparaissait excédentaire, ce qui a poussé le gouvernement en 2001 de manière irréfléchie à décider de réduire les cotisations des caisses d’assurance maladie et des allocations familiales les amenant à une situation financière catastrophique.
Le sentiment de pouvoir recourir aux employeurs pour couvrir les écarts et la mainmise de fait de l’État sur les fonds sont deux facteurs qui ne poussent nullement à une gestion saine et transparente des fonds (ni de la CNSS dans son ensemble d’ailleurs). Il est ainsi très malaisé d’évaluer l’ampleur des déficits accumulés au niveau des réserves de la Caisse des IFS : les estimations varient de 2 500 à plus de 6 000 milliards de livres suivant la part des indemnités qui sera supportée par les “derniers employeurs” et celle qui puisera directement dans les fonds de réserve.
Les autres systèmes de retraite
Certaines associations professionnelles (ingénieurs, médecins, avocats) ont mis en place des caisses de retraite auxquelles leurs adhérents cotisent en versant un montant forfaitaire et reçoivent au moment de leur retraite une mensualité forfaitaire généralement calculée sur la base du rendement du placement des réserves. La Caisse de retraite des médecins a subi durant les dernières années des pertes qui ont poussé les médecins à demander leur adhésion à la CNSS.
(1) C'est ce qui s'est produit avec la dévaluation des années 1980, la valeur du stock des réserves ayant été réduite à néant, toute correction des salaires impliquait automatiquement l'obligation pour les employeurs de constituer de nouvelles provisions représentant la valeur de la correction du salaire multipliée par le nombre d'années d'ancienneté de l'employé.
Les comptes et l'informatisation de la CNSS
Vu le nombre considérable d'opérations traitées par la CNSS, que ce soit dans la branche maladie ou celle des indemnités de fin de service, la tenue de comptes fiables et l’informatisation s'imposent comme une évidence.
Dès le début des années 1970, la CNSS a effectivement démarré un programme d'informatisation et a reçu les ordinateurs à la veille de la guerre. Ils sont restés depuis dans leurs emballages.
Depuis 1990 la question de l'informatisation de la CNSS, nécessaire pour retracer les cotisations individuelles des salariés, est devenue une arlésienne. C'est seulement en 2008 qu'un don de la Banque mondiale a été accepté pour lancer le processus. Les résistances à l'informatisation ne peuvent être comprises qu'à la lumière des intérêts qu'elle remettrait en cause. Un bilan des deux principaux systèmes
Le système de pension des fonctionnaires civils et militaires est géré par le ministère des Finances et concerne près de 6 % de la population active avec des dépenses annuelles de l’ordre de 2,6 % du PIB.
Celui de la CNSS concerne près de 20 % de la population active avec des dépenses annuelles inférieures à 1 % du PIB.
Les trois quarts des actifs au Liban ne bénéficient ainsi d’aucune couverture.
Déjà abonné ? Identifiez-vous
Les articles de notre site ne sont pas disponibles en navigation privée.
Pour lire cet article, veuillez ouvrir une fenêtre de navigation standard ou abonnez-vous à partir de 1 $.
Pour lire cet article, veuillez ouvrir une fenêtre de navigation standard ou abonnez-vous à partir de 1 $.