L’absence de législation freine la construction écologique
Le Liban est en plein boom immobilier. Si la frénésie de construction s’est un peu atténuée dans la capitale, elle bat encore son plein en banlieue de Beyrouth et dans les régions les plus éloignées. De 10 à 15 %, c’est le niveau de la hausse attendue du marché immobilier jusqu’en 2013, selon l’ordre des ingénieurs et des architectes. L’occasion aurait été très belle pour convertir le parc immobilier libanais aux normes écologiques et réduire de façon substantielle l’impact de la construction sur l’environnement. « On estime que les bâtiments sont responsables de 71 % de la consommation d’électricité, de 39 % des émissions de CO2 et de 12 % de la consommation d’eau potable », explique Samir Traboulsi, président du Conseil libanais pour la construction écologique (LGBC).
Pourtant, à défaut de lois et d’incitations suffisamment claires en la matière, seuls quelques promoteurs se conforment aux normes de la construction “verte”. Il s’agit de techniques de construction et de conception qui permettent de réduire à la fois la consommation d’énergie d’un bâtiment et son impact sur l’environnement, tout en améliorant la qualité de vie de ses habitants. Ces éléments servent pour l’instant essentiellement d’argument marketing pour les promoteurs visant une niche de clientèle consciente des enjeux écologiques.
« Les Libanais se plaignent toujours des coupures de courant. Réduire la quantité d’électricité nécessaire au fonctionnement d’un bâtiment est l’une des solutions à ce problème », assure pourtant le président du LGBC. La construction écologique offre aussi des perspectives de résolution au problème de la pénurie d’eau en rendant possible une diminution de la consommation moyenne des bâtiments.
Différents types de construction écologique existent, mais ils ont en commun de permettre une réduction des besoins des bâtiments en apport extérieur d’énergie. Ces constructions sont quasiment indépendantes du point de vue énergétique, qu’elles utilisent pour cela l’énergie solaire, comme les habitats bioclimatiques ou qu’elles soient, comme les maisons passives, suffisamment isolées pour qu’un système de chauffage ne soit pas nécessaire.
Contrairement à certaines idées reçues, le recours à des techniques “vertes” n’a pas de conséquences sur le confort de vie des usagers du bâtiment. Au contraire, l’idée de bien-être et de qualité de l’environnement intérieur fait même partie intégrante du concept de construction écologique. Il est possible de limiter l’utilisation des dispositifs de chauffage et de climatisation tout en conservant une température agréable à l’intérieur d’un bâtiment en définissant simplement son orientation et la disposition des fenêtres en fonction du soleil... De même, l’installation de robinets à mélangeur spécifique permet d’obtenir une pression similaire à celle des robinets classiques, mais avec un volume d’eau beaucoup moins important, car celle-ci est mélangée à de l’air. On peut par exemple installer des ascenseurs dotés d’un système de récupération de l’énergie produite lors du freinage et un dispositif de détection des mouvements pour le déclenchement de l’éclairage. La qualité de l’environnement intérieur est aussi prise en compte en optimisant la circulation de l’air dans le bâtiment et en réduisant l’utilisation de matériaux polluants ou contenant, comme certaines peintures, des produits volatils toxiques.
La construction écologique repose donc en partie sur des méthodes et des équipements relativement simples. « Il s’agit d’avoir une “conscience verte” et par exemple d’intégrer, au moment du design, des facteurs par rapport au vent, à l’ensoleillement », assure Guillaume Crédoz, architecte chez PrimeDesign. Des critères qui prévalent encore rarement dans les cahiers des charges des entrepreneurs libanais.
Pas d’obligation légale
À l’instar du LGBC, plusieurs organisations travaillent à la promotion au Liban des méthodes de construction et des usages des bâtiments plus respectueux de l’environnement et moins énergivores. Mais la loi de la construction actuelle reste quasiment muette sur ces questions. Bien que revu en 2005, le texte encourage simplement une meilleure isolation des immeubles en autorisant les promoteurs à inclure les doubles murs dans la surface commercialisable totale afin de les encourager à construire ces parois mieux isolantes.
Aucune norme ne régit en revanche la consommation d’énergie des nouveaux bâtiments. La loi peut même se révéler handicapante pour les architectes qui cherchent à tirer profit des énergies naturelles. « Il faut parfois modifier l’inclinaison d’un toit pour optimiser l’utilisation de panneaux solaires, mais on risque alors d’être en infraction avec les normes », explique Guillaume Crédoz.
Pourtant, des standards thermiques pour la construction ont été développés dès 2005 par le Centre libanais pour la maîtrise de l’énergie (LCEC), en partenariat avec le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et le ministère des Travaux publics. « Ils concernent surtout l’enveloppe du bâtiment, le degré de transmission d’énergie entre l’extérieur et l’intérieur, l’isolation », explique Pierre Khoury, directeur du LCEC. De son côté, l’ordre des ingénieurs et des architectes a également proposé des modifications de la loi de construction. Mais les textes issus de ces réflexions n’ont jamais été appliqués et aucune norme thermique n’est encore en vigueur. Et le LCEC poursuit ses travaux en vue d’actualiser les standards thermiques mis au point en 2005. « Notre objectif est maintenant d’avoir une approche globale, pas seulement des standards thermiques mais un véritable code de la construction. On cherche quelle procédure sera la plus efficace, un changement de loi ou la mise en place de nouveaux standards avec Libnor, l’Institut libanais de normalisation », assure Pierre Khoury.
Désaccords professionnels
Outre le blocage législatif, l’absence de réel consensus sur la question parmi les professionnels du secteur complique la mise en place d’une réglementation. « Les dernières propositions de modifications de la loi de construction faites au conseil de l’ordre ont été refusées, raconte Rabih Khairallah, président de la branche des ingénieurs mécaniques consultants. Les architectes craignent que si on apporte trop de nouvelles contraintes, elles soient utilisées comme prétexte pour refuser des permis de construire. » Les professionnels redoutent notamment que la mise en place de nouvelles normes ne donne l’occasion aux autorités délivrant les permis de construire de se montrer plus exigeantes en matière de pots-de-vin !
De plus, les données manquent au Liban pour mesurer le bénéfice des constructions écologiques et établir des standards en fonction des économies d’énergie potentielles. « Il n’y a pas d’étude globale et détaillée sur le sujet », explique Rabih Khairallah. Les chiffres disponibles proviennent d’études internationales et ne tiennent donc pas compte des spécificités du pays.
Pour le moment donc, le caractère écologique des bâtiments ne peut être évalué qu’au regard de normes étrangères. « Des adaptations peuvent être envisagées tout en conservant les objectifs initiaux de ces normes », explique Alexandre Richa. Le groupe Qualiconsult, qu’il dirige, est spécialisé dans le contrôle technique des bâtiments et se base sur les normes et la démarche haute qualité environnementale françaises lorsque ses clients souhaitent s’engager dans une démarche écologique.
Un concept encore flou
L’absence de cadre légal entretient le flou entourant la notion de construction écologique, un concept encore mal connu qui permet la floraison des arnaques. « Ce n’est pas parce qu’on plante un arbre et que l’on installe de la végétation sur le toit que l’on réduit l’impact d’un immeuble sur l’environnement et sa consommation d’énergie », rappelle Samir Traboulsi. « En résumé, un bâtiment est écologique en fonction de trois critères principaux : son efficience énergétique, sa consommation d’eau et la qualité de l’environnement intérieur », précise-t-il.
Toutes les phases de la vie d’un bâtiment, de sa conception à son éventuelle destruction ou reconversion, en passant par sa construction et l’usage qui en est fait, doivent aussi respecter un certain nombre de principes écologiques, pour que celui-ci soit considéré comme un bâtiment vert.
Un marché émergent
Une approche globale à laquelle il peut être difficile de se conformer, la filière de la construction écologique étant encore peu développée au Liban. S’il existe de nombreux professionnels compétents, il est parfois difficile de trouver des matériaux conformes aux exigences de la démarche écologique. « Le marché n’est pas encore suffisamment ouvert. Nous n’avons encore pas beaucoup de choix dans ce domaine », explique Maya Karkour, directrice de l’agence Ecoconsulting. La Cimenterie nationale étudie actuellement de nouvelles méthodes de production, plus soucieuses de l’environnement, mais pour le moment le marché national propose peu de matériaux de ce type.
Et l’importation n’est pas non plus une solution. L’écologie préconise en effet d’utiliser au maximum des matériaux et des produits locaux afin de limiter les émissions de gaz à effet de serre liées au transport de ces éléments. Dans certains cas, les équipements sont disponibles au Liban, les compétences nécessaires à leur installation également, mais le manque de soutien de l’État rend leur utilisation trop coûteuse. « Pour un particulier, investir dans des panneaux solaires ne serait rentable qu’à partir du moment où l’État accepterait de racheter une partie de l’électricité excédentaire produite, accélérant ainsi le remboursement de l’installation », estime Maya Karkour.
De ce fait, l’intérêt des acteurs du marché immobilier pour la construction écologique reste encore limité. « Pour les gens, l’écologie n’est pas une priorité, ce qui compte surtout c’est la localisation d’un bâtiment, l’aspect esthétique, la vue dont on dispose », estime Rabih Khairallah. Quelques promoteurs se sont lancés dans le secteur, mais le mouvement est loin d’être massif. « Actuellement, certains clients en charge de bâtiments prestigieux ont entamé une démarche de qualité environnementale, mais il s’agit d’une démarche volontaire puisque celle-ci ne revêt pas de caractère obligatoire au Liban », constate Alexandre Richa.
Le lexique La construction écologique désigne de façon générale l’ensemble des bâtiments dont la conception, la construction et l’usage ont été pensés pour réduire leur effet négatif sur l’environnement. Un bâtiment dit positif produit davantage d’énergie qu’il n’en consomme, grâce à des équipements lui permettant de capter les énergies naturelles. Un bâtiment est dit passif lorsque sa consommation énergétique a été très réduite grâce à une isolation de grande qualité. Ses besoins en énergie, pour le chauffage notamment, sont donc quasiment nuls ou compensés par l’apport du soleil et l’activité interne au bâtiment. La règle des 3 R est un principe écologique permettant de limiter la production de déchets en réduisant la consommation, en réutilisant au maximum et en recyclant les produits usagés. |
Les principaux acteurs du développement de l’écoconstruction au Liban |