La baisse des transactions immobilières en 2009 au Liban aurait pu pousser une partie de la clientèle à se reporter sur le marché locatif, comme cela s’est produit ailleurs dans le monde. Mais il n’en est rien, estiment la plupart des agents immobiliers de Beyrouth, bien qu’il n’existe pas de données fiables sur ce segment du marché immobilier réputé très limité.
Plusieurs raisons à cette étroitesse. Certaines sont structurelles. Elles sont liées notamment à la géographie libanaise qui prive le marché de la demande liée aux déplacements professionnels contrairement à ce qui se passe en Europe par exemple, mais aussi au sentiment de sécurité que procure la propriété dans un pays qui a longtemps connu la guerre. Elles proviennent surtout des réticences ataviques des propriétaires libanais échaudés par une législation inique à leur égard qui a perduré jusqu’en 1992. Pour tous les contrats conclus avant cette date, les propriétaires ne peuvent pratiquement pas mettre fin au bail, celui-ci étant même transmis par héritage : au décès du locataire, son conjoint, ses ascendants et ses enfants peuvent reprendre le bail. La dévaluation de la livre libanaise dans les années 1980 a aggravé le problème en réduisant considérablement la valeur des loyers.
Confrontée pendant des années à l’impossibilité de louer, à défaut d’offres, la grande majorité des couples libanais n’a qu’une idée en tête : accéder à la propriété au plus tôt. Une tendance favorisée par les facilités de crédits bancaires. « C’est dans notre culture », explique Ziad Kamel, gérant de l’Alley Way, à Gemmayzé. « Les clients se sont habitués à acheter des appartements et cette mentalité prévaut encore aujourd’hui », ajoute Amine Bazerji, patron de l’agence du même nom.
« L’achat est un investissement à long terme, résume Johnny Assaf, un ingénieur de 27 ans. Je n’ai pas envie, à 40 ans, d’être délogé au bout de trois ans par mon propriétaire et de devoir constamment chercher un nouvel appartement pour ma famille. Le remboursement d’un crédit logement correspond à peu près au prix de la location. Autant payer tout de suite pour se sentir chez soi ! »
D’autres raisons expliquent le faible dynamisme du marché locatif. Elles sont liées à l’augmentation des prix qui a contribué à accroître les distorsions de ce segment du marché immobilier. D’un côté, les petites surfaces sont de plus en plus demandées alors que l’offre est rare ; de l’autre, les produits haut de gamme, de plus en plus nombreux, souffrent de la pénurie de locataires capables de payer des loyers élevés.
La demande émane de trois catégories de clients : les Libanais résidents, les Libanais expatriés et les étrangers à la recherche d’un pied-à-terre permanent, voire d’une location saisonnière, et, enfin, les ressortissants étrangers établis provisoirement au Liban.
Les premiers sont les plus nombreux, mais, paradoxalement, peu de transactions les concernent : ils représentent moins de 30 % du chiffre d’affaires des agences en général. La demande locale vient principalement de couples mariés qui n’ont temporairement pas assez d’apport propre pour acheter leur logement ou qui ne souhaitent pas s’endetter, mais aussi de salariés célibataires et d’étudiants. Ce type de clients financent leur logement grâce à leur revenu. La règle en la matière est d’en consacrer le tiers au loyer. Le revenu moyen des ménages ne dépassant pas les 450 dollars au Liban et 600 dollars plus particulièrement à Beyrouth selon l’Administration centrale de la statistique, leur capacité de paiement est plafonnée à 200 dollars ! Sur le marché, seuls les ménages dont le revenu est supérieur à la moyenne peuvent se permettre de louer. Leur budget varie entre 800 et 2 000 dollars par mois, sachant que les étudiants recherchent essentiellement des petites surfaces entre 300 et 500 dollars à proximité des universités. Rapporté au mètre carré, ce budget ne dépasse pas les 100 à 150 dollars par an, voire 200 dollars le m2 pour les projets les plus hauts de gamme, ce qui correspond à des loyers annuels d’au moins 15 000 dollars pour un 150 mètres carrés.
Or, l’offre de ce type d’appartements est assez rare. « La surface standard se situe entre 200 et 300 m², avec trois chambres à coucher, ce qui correspond à des loyers de plus de 20 000 dollars par an. Il manque des logements entre 100 et 150 m² et des studios de 50 m² pour les budgets plus réduits », explique Joe Kanaan, PDG de Sodeco Gestion.
L’augmentation du prix du foncier contribue à rendre inabordable pour la majorité des Libanais résidents le gros du parc locatif.
Au-delà d’un certain seuil, la clientèle devient très limitée. Elle se compose de quelques centaines d’étrangers amenés à vivre provisoirement au Liban pour des raisons professionnelles. C’est cette clientèle des ambassades et des multinationales, prête à payer des loyers allant jusqu’à 70 000 dollars par an, que se disputent les agents immobiliers, d’autant plus que la plupart des appartements passent de l’un à l’autre sans être remis sur le marché. Mais en la matière, la demande est très spécifique, focalisée sur certains quartiers. Les produits haut de gamme pour les étrangers sont surtout situés au centre-ville, Saifi Village, Furn el-Hayek, le secteur d’Abdel Wahab Inglizi et à Ras Beyrouth (Clemenceau, Bliss, Verdun). Les régions proches des ambassades comme Rabié, Mar Takla, Baabda, Yarzé sont également recherchées. À Beyrouth, les secteurs Hôtel-Dieu, Grand Lycée, Musée sont demandés par les ressortissants français travaillant à l’ambassade. « Dans la tranche au-dessus de 20 000 dollars par an, les étrangers représentent environ 80 % des clients », note Marwan Hamadeh, directeur de l’agence immobilière Sogetim.
Toutefois, même sur ce créneau haut de gamme, l’inflation creuse le fossé entre la valeur locative théorique des biens, calculée par des ratios standard à partir de la valeur du bien-fonds à l’achat et sa valeur de marché.
Car « après la crise internationale beaucoup de sociétés ont réduit leurs budgets pour leurs personnels délocalisés », explique Christian Baz. « En 2008, les appartements au-delà de 40 000 dollars par an partaient encore facilement. Aujourd’hui, il devient beaucoup plus difficile de les placer », poursuit l’agent immobilier. Afin de réduire les délais d’attente, qui peuvent parfois s’étaler sur plusieurs mois, les propriétaires semblent davantage prêts à lâcher du lest. Même si pour eux le rapport locatif est désormais nettement moins intéressant. « Un appartement qui valait 700 000 dollars en 2006 et qui était loué à 40 000 dollars par an vaut aujourd’hui 2,5 millions de dollars, mais ne pourra pas être loué plus de 60 000 dollars », analyse Amine Bazerji. « Ce rendement inférieur à 3 % est ridiculement bas, on est loin des 7 % obtenus dans l’immobilier de bureaux », renchérit un autre agent immobilier.
C’est l’une des raisons pour lesquelles l’investissement dans le locatif résidentiel reste relativement faible. La multiplication des projets résidentiels ces dernières années a certes accru le nombre de logements proposés à la location. Ils représenteraient 10 à 20 % des appartements des nouveaux immeubles. Mais ces produits, trop grands et trop chers, ne sont pas calibrés pour répondre à la demande et le stock risque de gonfler sans trouver preneur dans les prochaines années.
« Il existe encore très peu de projets de construction uniquement destinés à la location, contrairement à ce qui se passe en Europe où les banques et les compagnies d’assurances par exemple investissent dans le locatif », témoigne Joe Kanaan.
Certains promoteurs commencent à explorer timidement ce secteur. « Si on construit demain 2 000 studios, il y aura presque instantanément trois fois plus de demande », assure Marwan Hamadeh.
« Il y a vraiment de la place sur le marché pour des projets d’investissements intelligents, c’est-à-dire cohérents par rapport à la demande », confirme Raja Makarem, de Ramco.
Christian Baz, directeur général de Baz Real Estate
« Les prix sont négociables »
On constate une accalmie depuis deux mois sur le marché locatif, mais le mois de décembre est généralement un mois actif. Il faudra attendre janvier et février, qui sont généralement des mois moins attractifs, pour voir si l’effet du gouvernement aura influé sur l’immobilier, notamment pour la clientèle d’étrangers. Les expatriés revenus au Liban, notamment de Dubaï, ont augmenté la demande, mais ils ont conclu peu de transactions, car ils s’attendaient à des tarifs plus bas. Les loyers sont restés stables depuis l’été, mais ils deviennent de plus en plus négociables, même si des agents immobiliers profitent de l’ignorance des étrangers pour majorer leurs tarifs.
Dans le centre-ville, Saïfi ou Gemmayzé, très peu d’appartements sont disponibles, en revanche certains quartiers montent comme Sioufi, Saïdé ou Badaro. Les quartiers situés autour des centres d’intérêt français risquent de flamber, notamment la zone comprise entre Hôtel-Dieu, Sassine et Sodeco. La clientèle locale va davantage se tourner vers la banlieue, tandis que Beyrouth restera pour les étrangers.
Joe Kanaan, PDG de Sodeco Gestion
« Les Libanais n’hésitent pas à louer à des prix élevés »
Le marché manque d’immeubles construits uniquement pour le marché locatif. On trouve cependant de plus en plus de logements à louer dans les immeubles construits sur des terrains appartenant au clergé. C’est le cas de différents projets à Beyrouth, rue du Liban ou près de la tour Rizk. Contrairement aux idées reçues, les Libanais ont toujours loué, car c’est plus économique. Louer à 50 000 dollars un appartement qu’on achèterait 1,5 million de dollars est intéressant. Davantage de Libanais louent à des prix élevés, à 30 000 ou 40 000 dollars annuels. La demande à Achrafié est concentrée autour du “carré d’or” : entre la rue Sursock, l’avenue Élias Sarkis, la rue du Liban et la rue qui longe l’ABC. À l’ouest, Clemenceau et Bliss sont très prisés. Le quartier de Mar Mikhaël a du potentiel dans les deux années à venir.
Amine Bazerji, directeur général d’Amine Bazerji Real Estate
« Le marché de la location d’appartements est faible »
Le marché de la location d’appartements est faible : il représente à peine 1 % du marché de la location de bureaux. Pourtant investir dans le locatif est intéressant : les propriétaires encaissent les revenus du loyer et bénéficient de la plus-value immobilière. Les prix ont augmenté d’environ 35 % entre 2006 et l’été 2008, et sont bloqués depuis un an. Les expatriés revenus au Liban depuis six mois n’ont pas changé la donne, car ils possédaient déjà leur appartement. L’essentiel de la demande pour les plus gros budgets, de 40 000 à 70 000 dollars, se situe à Achrafié et Horch Tabet. Mais on trouve aussi de nombreux logements entre 20 000 et 30 000 dollars à Achrafié, notamment à Sioufi. Les plus petits budgets sont concentrés à Geitaoui, Fassouh ou Furn el-Chebback.
Tony Abou Rizk, consultant immobilier
« Les prix de l’immobilier se sont répercutés sur les loyers avec une décote de 10 à 15 % »
Si l’on excepte les étudiants, qui ciblent des appartements avec une à deux chambres à coucher inférieurs à 500 dollars par mois, la demande se divise en deux catégories : 60 % des clients cherchent des logements entre 12 000 et 20 000 dollars par an, 40 % recherchent des appartements entre 30 000 et 60 000 dollars annuels. Pour les grands appartements, l’offre est faible : il n’existe que quelques choix pour une personne qui recherche un 300 ou un 400 m² dans Beyrouth. Les grandes surfaces se situent surtout rue Abdel Wahab, à Furn el-Hayek, Ras Beyrouth et Verdun. Dans la surface standard autour de 200 m², offre et demande sont équilibrées. Les prix de l’immobilier ayant augmenté, cela s’est nécessairement répercuté sur les loyers, mais avec 10 ou 15 % de décote.
Élie Harb, directeur général de Coldwell and Bankers
« Construire des immeubles pour étudiants est peu rentable »
Le marché du haut standing est plutôt réservé aux étrangers, car les Libanais pouvant payer 30 000 à 40 000 dollars par an de loyer préfèrent plutôt acheter. Les Libanais expatriés ne représentent pas un marché significatif, car quand ils travaillent à l’étranger, ils ont souvent acheté un appartement pour leur famille qui réside au Liban. Les sociétés étrangères ne sont pas encore revenues au Liban, c’est surtout le personnel de la Finul qui a gonflé le nombre d’étrangers. La clientèle étrangère est très recherchée par les propriétaires, qui redoutent de louer à des résidents. La demande est forte pour les étudiants, mais ils ne disposent que d’un peu plus d’un millier de logements à Beyrouth. L’offre dans ce segment devrait rester faible. Le prix très élevé des terrains près des universités ne permet pas de rentabiliser des locations qui ne dépasseront pas 1 500 dollars par mois.
Raja Makarem, PDG de Ramco (Real Estate Advisers)
« Le haut de gamme dépend de la demande étrangère »
Généralement, un appartement de bon standing bien situé se loue entre 100 à 150 dollars le m2 annuellement. Pour le haut de gamme, cela tourne autour des 200 dollars le m2. Notre clientèle est à 90 % européenne (principalement des cadres employés dans des sociétés internationales basées au Liban), à l’image du marché, dominé pour les loyers les plus élevés à Beyrouth municipe par la demande étrangère. Nous finalisons en moyenne des loyers autour de 25 000 dollars annuels, mais la demande pour des logements de 1 500 à 2 000 dollars mensuels augmente beaucoup. Pourtant, le parc de ces appartements reste limité. En revanche, le nombre de logements disponibles à plus de 3 000 dollars le mois ne cesse d’augmenter. Mais ces produits peuvent rester pendant des mois sur le marché, faute de clients, ce qui pousse les propriétaires à revoir leurs prétentions à la baisse.
Marwan Hamadeh, directeur général de Sogetim
« La demande a été relancée par les expatriés »
À partir de septembre 2006, la demande locative a été relancée par les Libanais dont les appartements ont été détruits par les bombardements israéliens de l’été. Le Hezbollah a financé un an de loyer pour plusieurs milliers de personnes, qui sont venues s’installer à Beyrouth. Pendant plus d’un an, il y avait très peu d’appartements en dessous de 2 500 dollars par mois. De ce fait, les prix ont augmenté de mois en mois, de presque 50 % entre septembre 2006 et l’été 2008. Ils ont encore augmenté d’environ 20 % après les accords de Doha et se sont ensuite stabilisés. Depuis six mois, la demande a été boostée par le retour des expatriés, qui louent en attendant une amélioration de la situation économique qui leur permettrait de repartir à l’étranger. Cette demande a doublé par rapport à l’année dernière.
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