Si on laisse de côté les “voyages en Orient” des Flaubert, Lamartine et autre De Nerval, ou plus anciennement les grands voyageurs arabes, le tourisme au Liban a commencé à la fin du XIXe siècle avec la construction du port de Beyrouth et des axes de pénétration Beyrouth-Damas. Il était principalement le fait des riches Égyptiens et des Libanais émigrés en Égypte qui, fuyant les rigueurs de l’été, venaient passer quelques mois dans les “villes d’estivage” s’égrenant le long de la route carrossable (1863) puis du chemin de fer (1894) Beyrouth-Damas. Ils résidaient dans les “grands hôtels” de Aley, Bhamdoun, Sofar et Zahlé ou construisaient leurs propres villas. De riches Damascènes qui ne se contentaient pas de la villégiature de Bloudane, située sur la même voie ferrée, venaient aussi au Mont-Liban. L’essor de l’hôtellerie et de la restauration libanaises a été directement lié à ce premier axe de pénétration, entraînant à sa suite la mode d’estivage de la bourgeoisie beyrouthine qui a duré jusqu’à la guerre. Avec la découverte du pétrole dans le Golfe, les flux d’estivants se sont progressivement intensifiés jusqu’à la veille de la guerre pour reprendre au cours des années 1990, s’accompagnant d’investissements immobiliers considérables dont une part majoritaire continue de se concentrer le long de ce même axe. L’émigration libanaise de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle ne s’accompagnait pas de retours réguliers au pays, car elle était dirigée vers des destinations lointaines et les coûts de transport étaient très élevés. Il en est tout autrement pour les vagues récentes d’émigration, que ce soit celle de la guerre ou celle de l’après-guerre. Les statistiques du ministère du Tourisme sont fondées sur les données de la Sûreté générale, elles comptent comme “visiteurs” tous les non-Libanais et les non-Syriens qui rentrent au Liban. Elles incluent donc les déplacements des Palestiniens résidents au Liban (qui sont des touristes sortants) mais aussi les entrées et sorties des travailleurs égyptiens, sri lankais, éthiopiens, etc. ainsi que toutes les visites d’étrangers non résidents pour des raisons professionnelles et les déplacements des étrangers résidents. En revanche, elles ne comptabilisent pas les touristes syriens et, fait plus grave, elles ignorent les mouvements touristiques liés aux vacances des expatriés libanais qui montrent leur passeport libanais aux frontières et qui sont économiquement des non-résidents, un mouvement dont l’ampleur est certainement très grande. Selon les chiffres officiels, le Liban a accueilli plus de 1,33 million de touristes l’année dernière, frôlant le record historique de 1974 (1,4 million). Le nombre de visiteurs a augmenté de 31 % par rapport à 2007 et de 4 % par rapport à 2004, qui était considérée comme la meilleure année depuis la fin de la guerre civile. Pour 2009, les autorités espèrent franchir le seuil des deux millions. Déjà, au premier trimestre, quelque 761 415 visiteurs ont été recensés, soit une hausse de 61 % en rythme annuel. Les ressortissants arabes sont les plus nombreux, avec une part de 31 %, suivis des Européens (25 %). En ce qui concerne l’impact économique des séjours de ces vacanciers, les comptes nationaux de 1997 (année de base de la comptabilité nationale) estiment les dépenses des visiteurs étrangers à 617 milliards de livres (411 millions de dollars) dont 65 % de dépenses d’hôtels et restaurants, 10 % de frais de transports et 25 % d’achats de produits divers. Ce montant représente 2,9 % du total de la consommation de cette année-là. Si l’on regarde les dépenses nettes des voyageurs (après déduction des dépenses des Libanais voyageant à l’étranger), ce montant tombe à 351 milliards de livres (234 millions de dollars, soit 57 % des dépenses brutes et 1,7 % de la consommation domestique). Depuis cette date, ce montant net est resté pratiquement stable jusqu’en 1999 pour augmenter régulièrement ensuite et atteindre 738 milliards en 2002, 1 078 milliards en 2004 (3,7 % de la consommation). En 2007 (dernière année pour laquelle les chiffres sont disponibles), les dépenses nettes des voyageurs ont été estimées à 1 116 milliards de livres, soit 744 millions de dollars, représentant 3,6 % de la consommation totale. Ces montants ne doivent pas être comparés directement au PIB, car seule une partie impacte la consommation domestique, probablement de l’ordre des deux tiers, le reste alimentant les importations. Il est entendu qu’en la matière il n’y a pas d’effet miroir, puisque les dépenses des Libanais à l’étranger, qui ont été déduites de ces estimations, n’impactent nullement la production libanaise dont les exportations vers les pays de destination du tourisme des Libanais sont dérisoires. À cela s’ajoutent que l’hôtellerie et la restauration comptent une grande proportion de travailleurs non libanais qui renvoient chez eux la plus grande partie de leur salaire et que les chaînes internationales prélèvent aussi une part des recettes hôtelières. Même s’il est important, l’impact économique de ces “visiteurs” étrangers est loin de représenter les milliards de dollars avancés par certains ministres. En revanche, il serait intéressant de le comparer à celui des entrées de Libanais émigrés revenus passer leurs vacances au pays. Car ces Libanais non résidents sont tout à fait assimilables à des touristes en termes économiques et leurs dépenses sont sans aucun doute considérables. Les dépenses de ces Libanais émigrés sont de plus assimilables aux transferts qu’ils réalisent en faveur de leurs parents restés sur place. La perception des Libanais en général et des commerçants en particulier quant à la saisonnalité de leur chiffre d’affaires (été, fêtes de fin d’année, etc.) amalgame en tout cas les deux facteurs. Les informations disponibles, quelque fragmentaires qu’elles soient, sachant qu’elles ignorent aussi à juste titre les dépenses des touristes libanais à l’étranger, reflètent un impact global sensiblement supérieur à celui produit par les seules dépenses nettes des non-Libanais. Pour certains secteurs en tout cas, l’impact des dépenses des visiteurs non résidents va bien au-delà de ce que suggèrent les estimations de la comptabilité nationale. Il est naturel que les pourvoyeurs de biens et services ne réfléchissent pas en impact net. Ils ignorent l’importance des dépenses des Libanais en voyage à l’étranger (les 3 % de surplus de consommation nette correspondent probablement à 4,5 % de dépenses brutes). À cela s’ajoutent les dépenses des Libanais non résidents que l’on peut grossièrement estimer de la même taille, ce qui mène à près de 9 % de surplus de chiffre d’affaires. Enfin, vu la très forte concentration sectorielle et géographique de ces dépenses, leur impact pour les commerçants qui y sont exposés est encore amplifiée, pouvant atteindre le double, ce qui, pour eux, mène à un surplus de demande de l’ordre de 25 % dans leur chiffre d’affaires. S’il booste incontestablement les ventes de certains secteurs particuliers, le tourisme a aussi un effet global sur l’économie libanaise. L’impact de la demande massive provenant de touristes étrangers se traduit généralement par une augmentation des prix qui peut avoir des effets négatifs sur les résidents dès le moment où cette demande financée extérieurement atteint des niveaux importants comparativement à la demande financée à partir des revenus domestiques. Ce phénomène inflationniste est encore amplifié au Liban par les dépenses des Libanais expatriés de retour en vacances. L’impact spatial des dépenses des différentes catégories de touristes (expatriés et étrangers) est fortement différencié : les estivants arabes étant principalement concentrés dans la région de Beyrouth et les zones d’estivage en montagne ; les touristes occidentaux tendent à essaimer sur les sites archéologiques (1) et de plus en plus sur l’écotourisme rural ; alors que les expatriés libanais se rendent dans une large mesure dans leur région d’origine, touchant ainsi l’ensemble du territoire. Dans ce cadre, le projet de la Banque mondiale de mise en valeur de “l’héritage culturel” dans les villes de Tripoli, Baalbeck, Tyr, Jbeil et Saïda a visé à augmenter l’attractivité des zones périphériques, en sachant qu’une bonne partie du tourisme culturel à destination du Liban est intégré dans des circuits régionaux comprenant la Syrie et la Jordanie, et que ce créneau mériterait d’être travaillé davantage. À ces trois composantes majeures, s’ajoute le tourisme d’affaires lié aux congrès, dont la fréquence et l’ampleur profitent de l’attractivité du Liban en général et de Beyrouth en particulier auprès des cadres de la région. (1) D’après les données de l’ACS pour 2008, le site de Baalbeck, qui est le plus visité au Liban, a ainsi reçu, en 2008, 63 000 visiteurs, dont 38 000 Libanais, 18 000 Européens, 4 000 Asiatiques et 62 ressortissants des pays arabes (même si ce dernier chiffre est erroné, et ne concerne que le mois de décembre, la part des touristes arabes ne dépasse pas 1,3 %).
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