La doctrine fiscale
Au Liban, la culture fiscale reste rudimentaire et les questions fiscales sont peu débattues. Il existe pourtant dans les faits une thèse dominante qui pousse à centrer la pression fiscale sur la consommation ; elle s'appuie sur deux justifications qui ne sont pas toujours faciles à concilier :
1) Un argument pragmatique : il est plus facile de taxer en augmentant les prix (douane, TVA, monopole des télécoms, etc.) qu'en forçant à des déclarations fiscales basées sur les comptes des ménages ou des entreprises, ou sur des évaluations et des enregistrements réguliers.
2) Un argument de fond : le Liban est un “pays d'émigration” et de “tourisme”, la dépense domestique est plus importante que le PIB, donc autant la taxer et exonérer les revenus, surtout ceux en provenance de l'étranger.
Le problème avec cette approche est qu'elle participe sérieusement à la pérennisation de la situation dont elle prétend tirer sa justification : en élevant les prix domestiques, on défavorise la production (ce sont les salariés permanents et les sociétés de capitaux qui sont taxés, alors que les formes plus primitives sont pratiquement exonérées) et on encourage en même temps l'émigration et l'attraction des flux de capitaux (en exonérant, voire en subventionnant le foncier et l'immobilier) pour financer les déficits externes (1).
La réalité fiscale
L'histoire récente du système fiscal au Liban est instructive. La réalité fiscale libanaise porte d'abord, globalement, la marque d’une indéniable inertie en dépit de débats politiques houleux et de la détérioration grave des finances publiques sur la période de dix ans, entre 1997 et 2006 : les recettes fiscales ne sont finalement passées que de 11,3 % du PIB à 13,9 %, avec un maximum ponctuel de 15,8 % en 2004. On peut reconnaître quatre phases sur la période et, fait assez remarquable, elles ne correspondent pas aux changements d'équipes politiques ni aux alternances du discours politique :
1) Entre 1997 et 1999, la pression fiscale s'est accrue. L'année 1999 a vu en particulier une refonte des grilles des impôts sur le revenu et une augmentation des impôts sur la consommation, comme traduction partielle du programme de correction financière (consulter à ce propos les documents de l’époque : http://www.charbelnahas.org/spip.php?article31).
2) En 2000 et 2001, un relâchement fiscal très net a eu lieu. Le projet de la TVA a été retiré du Parlement et les tarifs douaniers réduits (ainsi que les cotisations à la CNSS).
3) 2002 est une année de rupture, la pression fiscale passe un palier et continue de s'accentuer jusqu'en 2004 : la TVA est (ré)introduite de même que l'imposition des revenus d'intérêt (supprimés en 1994) par les mêmes équipes qui s'y étaient violemment opposées trois ans plus tôt. C'est la réaction à la crise financière de 2001-2002.
4) En dépit des annonces, 2005 et 2006 voient une baisse de la pression fiscale du fait de la hausse des prix du pétrole et du maintien, à peu de choses près, des prix de vente des carburants, ce qui a laminé la marge de taxation. Pendant ce temps, les revenus non fiscaux (essentiellement les recettes des télécommunications) sont passés de 2,5 % à près de 6 % du PIB. Les principales caractéristiques de la fiscalité libanaise sont les suivantes :
• Comme dans la plupart des pays sous-développés, la part des impôts directs est restée faible, bien qu'elle soit passée du quart au tiers des recettes fiscales (2).
• Les impôts sur le revenu et la propriété pèsent près de 4,5 % du PIB. Ils portent pour l'essentiel sur les profits des sociétés et les distributions de dividendes (1,6 % du PIB), les intérêts sur dépôts bancaires (1,2 %), les transactions foncières et les successions (0,9 %), les revenus locatifs (considérés à tort comme des impôts sur la propriété et qui représentent 0,3 %) et, enfin, les salaires (0,6 % d'impôts prélevés à la source auxquels il faudrait ajouter les contributions obligatoires à la CNSS et autres caisses pour 2,8 % qui n'apparaissent pas dans les recettes de l'État). Le facteur capital supporte donc 4 % du PIB en prélèvements pour une rémunération de près de 60 % du PIB (soit un taux de 6,7 %), alors que le facteur travail supporte 3,4 % du PIB pour une rémunération de près de 40 % du PIB (soit un taux de 8,5 %). En fait, seuls les salaires permanents sont taxés ; leur part dans le PIB, prestations sociales comprises, ne dépassant pas 23 %, le taux de prélèvement qui leur est appliqué s'élève en fait à près de 15 %. Il y a là une distorsion grave qui limite l'emploi et la croissance.
• Les impôts sur la consommation pèsent près de 11 % du PIB (tombés à 8,2 % du fait de l'effet pétrole). Ils ont subi deux transformations : l'introduction de la TVA qui en a augmenté la recette globale de 2,5 % du PIB, et une série de reclassements entre TVA, douanes et impôts domestiques qui brouillent la lecture comparative. À ce stade, la TVA (dont le gros des recettes provient des importations, tout comme la douane) apporte près de 5 % du PIB, c'est le plus gros poste de recettes, presque à égalité avec les revenus non fiscaux. Il faut y ajouter les recettes des douanes (1,5 % du PIB ou encore 4 % des importations) et les impôts sur la consommation domestique qui regroupent les accises (carburants, tabac, boissons, ciment) ainsi que les taxes sur les véhicules (mécanique et enregistrement) et les taxes sur les départs, l'ensemble représentait un montant presque équivalent à la TVA (4,5 %) en début de période, il a depuis baissé de moitié (près de 2,2 %).
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