L’incertitude des perspectives de croissance pèse lourdement sur les marchés d’actions, qui peinent à s’orienter de façon claire. Les risques de marché se sont aggravés en raison des retombées du secteur souverain sur le système bancaire. Comme le note le Fonds monétaire international (FMI), « la volatilité des prix des actifs financiers s’est accentuée et les investisseurs manifestent un moindre appétit pour le risque ». Encore convalescent, le secteur bancaire peine à se stabiliser. « Hormis pour les échéances les plus courtes, les banques sont de nouveau moins disposées à se prêter entre elles et notamment aux établissements des pays de la zone euro perçus comme étant mis à rude épreuve », note le rapport sur la stabilité financière dans le monde, publié en juillet. Les “stress tests”, résultats vendredi 23 juillet, à l’instar de ceux imposés aux établissements américains l’an dernier, devraient toutefois réconforter les investisseurs sur la santé des banques européennes et la possibilité des États de leur prêter main forte en cas de nouvelle crise.
S’il est particulièrement malaisé de prédire les mouvements des marchés d’actions dans les mois à venir avec une telle situation de volatilité, les professionnels n’excluent pas de nouveaux hauts d’ici à la fin de l’année. « Nous anticipons un rebond des marchés d’actions au cours du second semestre, dans le sillage de la poursuite de la reprise économique globale, et ce en dépit des problèmes qui affectent la zone euro, annonce HSBC Global Asset Management. Les prévisions de croissance des bénéfices 2010 restent favorables. » L’activité des entreprises, globalement positive au premier semestre, devrait être plus contrastée et marquer le pas à la fin de l’année. Pour Albert Letayf, la période « va être marquée par une croissance lente et un effort de destruction monétaire, qui va favoriser les marchés financiers ». En termes de secteurs, les entreprises d’investissement vont avoir le vent en poupe : construction, transport, technologies sont à surveiller. « Les secteurs générant de la croissance vont être dynamiques », analyse Frédéric Lamotte, spécialiste des investissements pour la banque privée du Crédit agricole suisse.
Les apôtres de la prudence, FMI en tête, restent nombreux. « Les actifs les plus risqués, tels que les actions des pays matures et émergents, ont perdu une grande part du terrain gagné au début de l’année et le redressement qu’ils viennent d’amorcer n’est que modeste », note le rapport sur la stabilité financière dans le monde. Toufic Aouad, qui dirige la banque privée Audi-Saradar, est lui aussi partagé. « Le marché des actions devrait subir une période de forte volatilité avec un faible potentiel de hausse à court terme en raison de l’absence de perspective claire de croissance d’autant plus que les États semblent avoir épuisé toutes leurs munitions pour soutenir l’économie que ce soit à travers la politique monétaire, les taux d’intérêt étant déjà au plus bas,  ou la politique budgétaire, les déficits étant au plus haut. » Dans le secteur privé, il faut également identifier les sociétés à risque. « Les secteurs en mauvaise santé à moyen terme dépendent de la consommation des pays développés, comme la vente au détail, le secteur automobile et la construction », précise Albert Letayf. La reprise de ces secteurs va dépendre de la consommation des marchés émergents. Les actions bancaires sont également montrées du doigt. Pour Frédéric Lamotte, les causes sont variées : incertitudes sur les changements de réglementation, pressions sur les liquidités, risques de défauts de crédit ou encore taxes sur les crédits.

Les actions américaines à la loupe

Si la zone euro est déjà depuis quelques mois sur la liste noire des investisseurs, les actions américaines entrent également en disgrâce. L’enquête de Merrill Lynch auprès des responsables de fonds au mois de juillet montre que les professionnels sont de plus en plus réservés sur le sort des actions américaines, alors que les profits affichés sont satisfaisants. Une inquiétude, alimentée par les craintes liées à la politique monétaire, qu’ils n’avaient pas connue depuis novembre 2006 : 14 % conseillent la sous-pondération de la région. Les grandes sociétés dont la dette n’est pas trop conséquente peuvent toutefois encore générer du gain.

Les pays émergents tirent les marchés vers le haut

L’éclaircie arrive nettement des marchés des pays émergents, qui reflètent la reprise de leurs économies, même s’ils ont montré quelques signes d’essoufflement ces derniers temps, tirés vers le bas par la crise souveraine en Europe. Pour Merrill Lynch dans sa Survey of Fund Managersde juillet, 34 % des allocations d’actifs surpondèrent les actions des pays émergents, contre 19 % en mai. Les gérants de fonds sont également majoritaires à prévoir une surpondération de la région au cours des 12 mois à venir. Seule la Chine devrait montrer un ralentissement, du fait de la possible appréciation du yuan pour éviter la surchauffe de son économie. « Ce refroidissement du taux de croissance pourrait d'ailleurs permettre la mise en œuvre de politiques monétaires moins drastiques, ce qui ne manquerait pas d'affecter positivement les marchés d'actions », analysent les experts du département Global Asset Management de HSBC cités par Boursorama.
Le FMI rappelle néanmoins que « la montée des risques dans la zone euro se répercute sur les marchés émergents en raison de la diminution globale de l’appétit pour le risque et donc du durcissement des conditions de financement ». Une tendance en partie contrebalancée par le dynamisme des investissements locaux. « On constate le repli des investisseurs issus des pays émergents vers leurs propres pays avec la multiplication des investissements en devises locales, comme notamment au Liban », note Albert Letayf.

Recommandations

Face à ces changements de vents continuels, comment investir son argent dans les marchés d’actions sans trop de risques ?  Pour Tarek al-Ahdab de l’Arab Finance Corporation, la première règle est d’essayer de se protéger de cette volatilité, en privilégiant des titres dont les dividendes contrebalancent l’instabilité des marchés. Les financiers du département Global Asset Management de HSBC conseillent de regarder du côté des secteurs défensifs des pays développés et au sein des pays émergents comme l'Amérique latine et la Russie, étroitement liés à la demande en matières premières. Ces dernières soutiennent également les grandes sociétés saoudiennes qui affichent des résultats encourageants, note Albert Letayf. Les actions peuvent profiter de plusieurs phénomènes concomitants : hausse générale des profits des entreprises, faible niveau des taux d'intérêt et niveau de valorisation attractif. Chez Audi-Saradar, le positionnement est clairement en faveur des marchés émergents. « Essentiellement le Brésil et la Chine, qui seront les moteurs de la croissance mondiale pour les prochaines années, à travers non seulement leur fort potentiel d’exportation mais aussi à travers la hausse progressive de leur consommation interne », explique Toufic Aouad.
Autre règle : délaisser la traditionnelle technique du “buy and hold”, les perspectives de croissance restant incertaines. « Acheter en buy and hold n’est pas d’actualité, sauf pour les secteurs où les potentiels de croissance sont stables à la hausse et pas à moins de cinq ou six ans et ceux qui peuvent surperformer l’inflation », précise Youssef Kamel, qui gère le fonds Future Trend Capital Fund. Toufic Aouad n’exclut pas non plus de voir à long terme. « Le marché bénéficiera nécessairement à long terme du processus de développement mondial, de la croissance des entreprises les plus performantes et les plus innovantes, et d’une hausse éventuelle de l’inflation qui se traduira par une hausse des prix des biens de consommation et des actifs réels, et donc des bénéfices et de la valeur réelle des entreprises. »

L’appétit pour les obligations, signe de la frilosité des marchés

Les obligations, très appréciées en période de crise, auraient dû marquer le pas face aux valeurs plus à risque, signes de reprise économique. Mais les investisseurs sont restés très prudents depuis 2008 et la crise souveraine actuelle les a confortés dans leur frilosité. Les bons d’État, valeurs refuges classiques, continuent ainsi de trouver preneurs en dépit de leurs rendements très faibles. Selon le FMI, les bons du Trésor américain et les Bunds allemands sont les plus prisés des investisseurs. L’annonce récente du Fonds européen de stabilité financière et du programme de la Banque centrale européenne pour le rachat de titres a contribué à dissiper certaines des tensions sur le marché obligataire de la zone euro. Le succès le 13 juillet de l’émission de bons grecs à six mois (1,625 milliard d’euros levés) et le retour des investisseurs asiatiques sur le marché de la dette ces dernières semaines (la Chine a acheté 400 millions d’euros de bons du Trésor espagnols à dix ans) rassurent les marchés. Mais les préoccupations croissantes liées aux contreparties ont provoqué un nouveau creusement des écarts à plus long terme entre le LIBOR et et les taux au jour le jour. Pour relâcher ces contraintes, la BCE et la Réserve fédérale ont encore assoupli leurs injections de liquidités. La BCE a levé les obligations de garanties sur la dette souveraine grecque et rouvert certains de ses guichets à long terme, tandis que la Fed a remis en service ses lignes de swaps de devises, rappellent les experts du FMI dans le rapport sur la stabilité financière dans le monde publié en juillet. « La dette d’État est peu attractive et les taux devraient rester stables, nous ne sommes pas dans un schéma inflationniste, explique Frédéric Lamotte, du Crédit agricole suisse. Pourtant, les bons du Trésor intéressent toujours. »

Les bons des marchés émergents soutenus par la croissance

À l’instar de ce qui se passe sur les marchés d’actions, de bonnes affaires sont également à faire dans les pays émergents. Tarek al-Ahdab de l’Arab Finance Corporation conseille de s’intéresser au marché obligataire brésilien (le bras de reconstruction et de développement de la Banque mondiale propose des papiers en real notés AAA à 10 % sur cinq ans). Les investissements du gouvernement russe à travers sa banque de développement VEB dans des projets d’infrastructure peuvent également générer des gains intéressants.
Cette tendance éloigne les dernières craintes de crash obligataire liées à la reprise. Pour les plus pessimistes, le seul scénario qui affecterait les marchés obligataires serait « la baisse du dollar, une forte anticipation inflationniste ou encore que les Chinois se désengagent de la dette américaine », comme le souligne Youssef Kamel. Une perspective peu probable dans le climat actuel.

Obligations d’entreprises : profiter des profits

La plupart des investisseurs préfèrent toutefois les obligations d’entreprises aux bons d’État, compte tenu de la dette galopante affichée par la plupart des pays développés. La trésorerie excédentaire affichée par les entreprises à la fin du premier semestre va en outre peser positivement sur le coût de leur dette, ce qui peut entraîner une baisse possible des taux d'intérêt. Pour Tarek al-Ahdab, d’Arab Finance Corporation, l’intérêt des obligations d’entreprises par rapport aux bons d’État se justifie d’abord par les politiques d’austérité pratiquées par les États qui entraînent la contraction des dépenses d’investissement. 
Les manageurs de fonds interrogés par Merrill Lynch en juillet ont confirmé cet intérêt dans les positions obligataires face aux marchés d’actions, alors que ces derniers proposent de meilleures affaires ces dernières semaines. « C’est le plus grand écart d’estimation perçue entre les obligations et actions depuis 2003 », note l’enquête, qui conclut que « l’aversion au risque n’est pas limitée aux investisseurs à long terme, les hedge funds ont réduit leur part en titres au niveau le plus bas depuis mars 2009 ».
Les experts de HSBC donnent leur préférence aux obligations privées des marchés développés. « Les valorisations de la dette émergente semblent toujours moins attractives que celles des obligations à haut rendement. » À choisir entre des bons de pays émergents libellés en dollars et des obligations privées de pays développés, leur préférence va aux secondes. Même discours au Crédit agricole suisse, qui conseille également de privilégier les obligations dont la note est supérieure à BBB. Frédéric Lamotte rappelle néanmoins que la notation ne prend pas en compte le risque (le pétrolier BP en est l’exemple). Autre astuce pour bien choisir ses obligations, regarder la distribution de remboursement de la dette des entreprises. « Il faut savoir combien ces entreprises auront à refinancer dans l’année à venir, insiste Frédéric Lamotte. Car certaines entreprises non notées affichent une structure de dette impeccable. »
Cet attrait pour les marchés obligataires n’est toutefois pas partagé par tous. Toufic Aouad de la banque privée Audi-Saradar pointe du doigt la faiblesse des taux d’intérêt et l’insuffisance de la prime de risque sur les obligations spéculatives. « Le ratio rendement/risque nous paraît peu attractif sur les obligations en général, surtout si l’on tient compte du risque d’inflation. Ceci ne devrait pas empêcher un positionnement sur certains émetteurs actuellement décriés par les marchés et qui peuvent donc offrir un rendement très attractif par rapport au risque réel de défaut », explique-t-il. Le recours à un spécialiste est nécessaire pour pouvoir déceler ce genre d’obligations décotées. « Quelques instruments hybrides comme les obligations perpétuelles et les actions préférentielles continuent d’offrir certains rendements qui méritent l’attention », ajoute-t-il.