Depuis 2008, Samir Assaf contrôle les activités de marchés de la HSBC dans 56 pays, gère quelque 5 000 collaborateurs et draine un chiffre d’affaires dépassant les six milliards de dollars. Une belle promotion pour ce Franco-Libanais qui compte parmi les grands industriels de la finance mondiale.
2 août 1990, six heures du matin. Dans les bureaux de Total, à Paris, les allées sont vides. Pas un bruit, personne encore dans la salle des marchés sauf lui. Lui ? C’est Samir Assaf. Un jeune homme, qui ne paie pas de mine, mais dont la réputation d’animal à sang-froid commence à se propager au sein du groupe pétrolier français. Que fait-il, là, aux aurores, scrutant les cours boursiers ? Si peu de chose, en vérité : Samir Assaf regarde l’invasion irakienne du Koweït prendre corps sur les écrans. Aucune panique pourtant chez lui. Il soupèse déjà les conséquences pour l’économie mondiale, calcule la probable hausse pétrolière et calibre les corrections à réaliser pour que le groupe Total, dont il n’est encore qu’un simple rouage de la direction financière, s’en sorte sans dégâts. Concentré, il n’entend pas la porte s’ouvrir et ne voit pas non plus un autre homme se précipiter à son tour vers les écrans. C’est un instant presque insignifiant, mais qui, cependant, scelle le futur professionnel de Samir Assaf. Car l’individu qui vient d’entrer se nomme Jean-Pierre Halbron. Il est le directeur financier du groupe. Les deux hommes ne se connaissent pas. Ils vont ici apprendre à se faire confiance. Dans les semaines qui suivent, Samir Assaf est promu responsable des taux, des changes et de la liquidité du groupe pétrolier français. Son ascension démarre. Elle ne s’arrêtera plus. De Total, qu’il quitte en 1994, à la banque HSBC, dont il est, depuis 2008, le responsable mondial des marchés, son parcours parle d’une réussite exemplaire : l’histoire d’un jeune Libanais, aux origines modestes, que la guerre pousse à se réfugier en France. L’histoire aussi d’un Français – il a acquis la nationalité française cette même année – parti désormais à la conquête de Londres.
Retour en arrière. Samir Assaf n’est encore qu’un élève parmi tant d’autres des pères maronites du Collège de La Sagesse à Achrafié. « Ma mère, infirmière, rêvait de me voir intégrer une filière médicale, gage pour elle de prestige social. Moi, j’étais attiré par la géopolitique, les relations internationales, les échanges économiques entre pays. » S’il a un rien déçu sa mère au démarrage, jamais cependant il n’a regretté ce choix initial. À la tête de la salle des marchés londonienne de HSBC, troisième banque mondiale et premier réseau occidental, Samir Assaf contrôle les activités de marchés dans 56 pays, gère quelque 5 000 collaborateurs et draine un chiffre d’affaires dépassant les six milliards de dollars. « C’est intense et passionnant. » Difficile pourtant d’imaginer moment plus délicat pour prendre en charge cette activité. « Certes, le marché traverse sa crise la plus grave depuis 1929. L’expérience acquise des acteurs financiers permet toutefois d’envisager une sortie plus rapide qu’en 1929. »
Le secret de sa réussite, Samir Assaf la doit pour partie à sa “différence”. Lorsqu’il débarque à Paris, à 22 ans, une licence d’économie de l’Université Saint-Joseph en poche, il pense simplement parachever sa formation en France avant de repartir au Liban. « Être libanais a toujours été un atout formidable. Même mon accent m’a aidé à me distinguer ! Je n’ai jamais cherché à être autre chose que ce que je suis. » Grâce à une bourse du gouvernement français, l’étudiant aux éternelles lunettes cerclées d’acier rejoint les bancs de l’Université de la Sorbonne, finalise un DEA de monnaie, banque, finance avant de démarrer une thèse sur l’internationalisation des monnaies. Mais la guerre civile fait rage au Liban, lui interdisant l’espoir d’un retour rapide. Samir Assaf, qui donne des cours particuliers d’arabe et de mathématiques pour arrondir ses fins de mois, cherche alors un “diplôme utile”, susceptible de lui ouvrir vite les portes de l’entreprise. D’autant qu’il vient de rencontrer sa future femme, une jeune Cubaine avec qui, depuis, il a eu quatre enfants. « Une thèse, cela allait si je rentrais au Liban faire une carrière universitaire. Mais pour le secteur privé, cela n’avait pas de réelle valeur. » Le voilà donc à Science-Po dont il sort, en 1987, avec une mention d’excellence. « Je n’avais pas cependant de titre de séjour pour travailler. Le banquier Joe Saradar m’a mis le pied à l’étrier en m’offrant un poste au back-office de sa succursale parisienne. J’y suis resté quelques mois, le temps d’être recruté chez Total en 1988. »
Cadre volant à la direction financière du groupe pétrolier, Samir Assaf se retrouve dans le sillage de Christophe de Margerie, à l’époque trésorier du groupe, aujourd’hui son président. « Lors de mon entretien d’embauche par un jury, Christophe de Margerie me pose une question très pointue sur les techniques de la consolidation. Incapable de répondre, j’ai préféré avouer ma méconnaissance. À la fin, mes recruteurs m’ont indiqué que c’était justement cet aveu qui les avait décidés. C’était, pour eux, le gage d’une certaine honnêteté intellectuelle. » Depuis toujours en effet, Samir Assaf croit aux rencontres humaines, aux hasards fructueux. Et voit dans la rectitude morale un but vers lequel tendre. « Pour moi, le contact humain est primordial. Derrière l’avancement d’un seul, on retrouve toujours le travail d’hommes et de femmes qui s’investissent tout autant. » Le propos ne doit rien à quelque humilité de façade. Mais bien à une conviction profonde : pour lui, rien ne se construit sans fidélité. « De mes années chez Total, je garde des amitiés indéfectibles. » Devenu trésorier du groupe en 1991, il sait cependant qu’il devra faire un choix de carrière s’il veut rester dans la finance internationale. « Faute de perspectives d’évolution, il me fallait songer à quitter Total. »
En 1994, le Crédit commercial de France (CCF) lui ouvre les bras. D’abord responsable de la trésorerie et des changes, Samir Assaf devient, en 1998, le directeur des activités de marchés de la banque. Mais en 2001, l’histoire s’accélère : HSBC rachète le CCF. La fusion fait craindre le pire : « Mon secteur était le plus exposé. Plutôt qu’un combat perdu d’avance, j’ai parié sur l’intégration totale et immédiate. Et cherché ce que nous, Français, pouvions apporter en termes de complémentarité pour développer les activités de marché d’HSBC. » Son idée ? S’appuyer sur le savoir-faire des équipes de l’ex-CCF en matière de construction de modèles mathématiques complexes. « La formation théorique est remarquable en France. Il y avait là une réelle opportunité de transformer l’activité France de la banque en un centre d’expertises dédié aux produits dérivés pour l’ensemble du nouveau groupe. » Sous la houlette de Charles-Henri Filippi (aujourd’hui, à la tête d’HSBC France), il devient le directeur général adjoint de la filiale française en 2001. Les promotions s’enchaînent à un rythme régulier. En 2003, Stuart Gulliver, patron des activités de marchés du groupe, lui demande de prendre également en charge la responsabilité du pôle produits à taux fixes en Europe. Puis en 2006, il est chargé de diriger l’activité marché pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique. En 2008 enfin, il prend la responsabilité mondiale des marchés. Le succès lui tournerait-il la tête ? Réponse du tac au tac de l’intéressé : « Je n’ai pas le profil flamboyant. » Et de rappeler l’adage qui résume sa philosophie de vie : « Prendre au sérieux ce que je fais, mais ne jamais me prendre moi-même au sérieux. »
Malgré ses lourdes responsabilités, Samir Assaf se dit timide. Cette retenue disparaît dès qu’il s’agit du Liban. « Je prête une attention scrupuleuse aux moindres événements se déroulant au Liban et au Moyen-Orient. Je suis presque incollable sur le passé de ces dernières vingt années. » Jusqu’au décès de ses parents, en 2005, il s’y rendait deux à trois fois par an. « Ma famille vient de Kfarshlal, un petit village à l’est de Saïda, mais je suis né et j’ai vécu à Beyrouth. J’habite Achrafié, mais nous avons conservé une maison familiale à Kfarshlal. Je suis resté très attaché aux oliviers de mon village et à son huile. » Mais depuis l’invasion israélienne de l’été 2006, il retarde son retour. « Prise sous les bombes, ma famille a été rapatriée par les bateaux de l’armée française. L’expérience a plutôt amusé mes enfants. Ma femme a, en revanche, une certaine difficulté à envisager le Liban comme terre possible de villégiature. »
Bio express
• 47 ans, marié, quatre enfants. Né à Beyrouth, nationalités française et libanaise. Il travaille à Londres, mais vit à Paris. Il vient d’être fait Chevalier de l’ordre du mérite.
• 1982 : licence d’économie de l’Université Saint-Joseph (Beyrouth). 1983 : DEA de monnaie, finance, banque, Université de Paris I La Sorbonne. 1987 : diplômé, avec les félicitations du jury, de Science Po (Paris).
• 1994-2008, HSBC : responsable mondial de l’activité marché (2008). Responsable des activités de marchés de taux, changes et actions pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique (2006). Responsable de l’activité Fixed Income (2003).
1988-1994, Groupe Total : trésorier du groupe (1991). Auparavant, responsable des taux de change et des liquidités.
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