Êtes-vous satisfait des performances du secteur bancaire cette année ?
Le secteur bancaire a amélioré sa profitabilité en 2010, malgré la baisse des taux d’intérêt sur les obligations souveraines en livres libanaises ou en devises. Cela résulte d’une combinaison de facteurs : la baisse de la rémunération des dépôts bancaires, même si les banques libanaises sont encore parmi les seules à offrir des intérêts sur les dépôts ; la progression importante des crédits au secteur privé (+20 % sur un an) ; la restructuration des frais de gestion et une amélioration de la gestion, avec par exemple le développement des comités de risque qui permettent de constituer moins de provisions.
La confiance dans les banques libanaises ne se dément pas et les dépôts devraient augmenter de plus de 10 % en 2010, ce qui se répercute positivement sur la balance des paiements. Celle-ci était excédentaire d’environ 2,3 milliards de dollars fin juillet.

La poursuite de la croissance du secteur bancaire est-elle saine malgré son coût pour l’économie ? 
L’augmentation des dépôts et celle de la liquidité sont profitables à l’économie libanaise et au Liban en général, d’autant plus que l’inflation est maîtrisée autour de 3-3,5 %.
Car le Liban est noté B par les agences internationales, ce qui signifie qu’il n’a pas réellement accès aux financements sur les marchés internationaux. Les banques sont la seule source de financement possible pour le secteur privé et le secteur public. Plus il y a de liquidités, plus il y a de crédits et plus la croissance est importante. Nous estimons qu’elle se situera cette année entre 7 et 8 %.
Évidemment, pour éviter que les excès de liquidités ne créent de l’inflation et des bulles spéculatives, la Banque centrale doit en absorber une partie et assumer un coût comptable. Malgré cela, le bilan de la BDL est excédentaire. Elle verse chaque année environ 60 milliards de livres (39,8 millions de dollars) à l’État libanais, ce qui correspond à 80 % de ses profits.

La problématique de la gestion des liquidités excédentaire qui a notamment suscité un débat sur le rôle joué par le ministère des Finances n’est plus aussi aigue cette année.
C’est vrai. Le Liban a connu sur une période très courte, entre octobre 2008 et juin 2009, une très forte densité de rentrées de capitaux ; il fallait utiliser tous les moyens possibles pour neutraliser les effets négatifs de cette liquidité. L’émission de certificats de dépôts à long terme en sont un. Nous n’avons plus besoin d’y avoir recours en raison de la baisse de la liquidité globale. Notre portefeuille de certificats de dépôts est aujourd’hui de 21 000 milliards de livres libanaises (13,9 milliards de dollars). Quant au compte du Trésor à la Banque centrale, son solde est passé de 6 000 milliards de livres (3,98 milliards de dollars) à environ 1 500 milliards de livres (1 milliard de dollars) aujourd’hui. Il faut savoir que l’État a des échéances importantes : rien qu’en devises, il va falloir refinancer des titres pour 28 000 milliards de livres (18,6 milliards de dollars) d'ici à la fin 2011. Pour ce faire, le Trésor doit garder une marge de 15 à 20 % afin de disposer des liquidités nécessaires au cas où les marchés ne répondent pas. Le calcul du coût de la dette n’est pas une affaire uniquement comptable : il doit prendre en considération la préservation de la confiance des marchés. Cette confiance a un impact positif sur le coût global de la dette globale, puisqu’elle a permis d’abaisser les coûts d’emprunts de l’État à des seuils inférieurs à ceux de pays notés de façon semblable.

La baisse des taux qui permet de réduire le service de la dette, le déficit public et le ratio dette/PIB n’est-elle pas conjoncturelle, étant donné le niveau historiquement bas des taux internationaux ? Devons-nous nous en contenter ? Que se passera-t-il lorsque les taux remonteront ?
Au moment du renouvellement des bons du Trésor, le pays va réaliser des économies importantes sur le service de la dette. Mais il est vrai que pour empêcher la remontée des taux, il faut des réformes et la diminution des déficits publics. Je ne dirais pas que la baisse est conjoncturelle, car les marchés l’ont intégrée, et, à l’international, la remontée n’est pas pour demain. Il faut cependant que le Liban profite de cette période pour réduire ses déficits.

Les mesures que vous avez mises en place l’année dernière pour encourager les crédits en livres libanaises ont eu certains effets puisque le taux de dollarisation des crédits est passé de 84 à 81 %. Est-ce que vous allez continuer sur cette voie ?
Oui. Si la livre libanaise devient une monnaie de crédit, et pas seulement une monnaie de thésaurisation, elle contribuera à la croissance. Les banques sauront qu’elles ont la possibilité de recourir à l’émetteur de la livre, qui est la BDL, et pourront donc octroyer davantage de crédits à l’économie libanaise ; tout en diminuant le risque sur leur bilan.

Certaines banques se plaignent que le secteur privé n’est pas encore très demandeur de crédits en général et de crédits en livres libanaises en particulier. Qu’est-ce qui peut être fait pour changer ça ?
Le secteur privé est habitué depuis longtemps au crédit en devises. Le changement des mentalités prend du temps. Nous constatons cependant aujourd’hui que près de trois nouveaux crédits sur quatre sont octroyés en livres libanaises, toutes catégories de crédits confondues. Le niveau global de dollarisation du crédit est toujours élevé, mais c’est dû au stock. Aujourd’hui, il n’y a aucune raison à ce que le client hésite à emprunter en livres, surtout avec les crédits bonifiés.
Du côté des banques, au lieu de placer leurs ressources en livres, auprès de la Banque centrale, ou de souscrire à des bons du Trésor, elles peuvent les utiliser davantage pour des crédits aux entreprises. À charge pour le débiteur de convertir les montants nécessaires à ses importations et d’allouer le reste à ses achats locaux. Quand il remboursera son crédit, il reconvertira des devises en livres. Notre pari était de lancer cette opération d’encouragement des crédits en livres sans accroître le risque sur le marché des changes. Il y a quelques années, le crédit en livres était difficile, car les taux d’intérêt étaient très élevés et il y avait un risque pour la stabilité monétaire. Aujourd’hui, nous sommes tranquilles à ce sujet : les banques ayant plus de ressources en livres, puisque la dollarisation des dépôts a diminué de 75 % à 63 %, l’encouragement du crédit en livres a permis la progression du crédit en général ; sinon, les banques auraient été coincées entre leurs ressources et la demande de crédits.

Comment voyez-vous évoluer la courbe de la dollarisation ?
Je pense que nous ne sommes pas loin des points d’équilibre : le taux de dollarisation a fluctué au cours des treize dernières années entre 60 % et 80 %. Notre pays a toujours besoin de devises, et nous ne cherchons pas à forcer la dédollarisation.

Envisagez-vous de libéraliser le taux de change ?
Le taux de change est géré par la Banque centrale, et le restera. Le marché étant étroit, il peut y avoir un dérapage pour des raisons techniques qui n’ont rien à voir avec les fondamentaux ; ce dérapage peut être coûteux pour l’économie du pays, risquer de relancer l’inflation, ou risquer, si jamais il y a dépréciation de la livre, d’augmenter le montant de la dette convertie en devises. Il n’y a aucun intérêt à sortir de cette politique de change fixe et nous n’allons pas faire de changement dans ce sens.

Le portefeuille de crédits alloués au secteur immobilier a connu une croissance assez importante cette année ; y a-t-il un risque de bulle ?
Les crédits au secteur immobilier ne dépassent pas 10 % des bilans consolidés des banques ; les crédits à l’habitat ne dépassent pas les 3 % ; et le défaut de paiement sur ces crédits est inférieur à 1 %. Il n’y a donc pas de risque de bulle alimentée par des crédits spéculatifs sur l’immobilier. La demande sur l’immobilier est réelle, elle émane de gens qui veulent habiter leur appartement. Les facilités bancaires encouragées par les circulaires de la BDL ont créé un marché de l’habitat pour les jeunes et les personnes qui n’ont pas les économies nécessaires pour acheter des appartements.

Comment analysez-vous l’intérêt des banques étrangères pour le marché libanais ?
C’est un bon signe, car c’est l’acheteur qui prend le risque du pays, et non l’inverse. Le marché libanais est ouvert : la loi libanaise permet à des étrangers de détenir 100 % du capital d’une banque, avec cependant un conseil d’administration à majorité libanaise.

À l’inverse, comment analysez-vous le mouvement d’internationalisation des banques libanaises ?
La Banque centrale l’encourage pour les banques capables de s’exporter. Cette expansion est profitable aux banques : aujourd’hui   25 % de revenus des banques qui se sont exportées proviennent de l’étranger. Si ce pourcentage dépasse 50 %, la note des banques ne sera plus assujettie au risque-pays du Liban, qui est l’un des derniers pays noté B, la plupart des pays émergents étant notés BB+. L’expansion internationale des banques est aussi positive pour les différents secteurs économiques, qui peuvent plus facilement financer leurs opérations à l’étranger.