Après deux années d’afflux record de liquidités, qui les ont poussées à chercher de nouveaux débouchés et à encourager le crédit, les banques libanaises commencent à souffler un peu et à récolter les fruits de leur gestion prudentielle.
Fin 2009, le bilan non consolidé (c’est-à-dire sans prendre en compte les filiales étrangères) des banques commerciales libanaises représentait plus de trois fois le PIB national et s’élevait à 115,3 milliards de dollars. Fin juin 2010, ce montant progressait de 5,6 %, pour atteindre 121,7 milliards de dollars. Comme par le passé, ce sont les dépôts du secteur privé qui ont tiré le bilan vers le haut : ils représentent à fin juin 82,3 % du bilan, soit 100,1 milliards de dollars, en progression de 4,5 % par rapport à décembre 2010. « Il y a une légère contraction des mouvements de capitaux à l’entrée en 2010, explique Freddie Baz, directeur de la stratégie du groupe Audi-Saradar : 4,4 milliards de dollars sont entrés dans le système bancaire libanais, par rapport à 7,9 au premier semestre de l’année dernière. Cela dit, 2009 était une année exceptionnelle, la croissance des dépôts était trop importante et les pressions sur les marges trop fortes. ». Sur l’ensemble de l’année, la croissance devrait atteindre 10 %, précise Walid Raphaël, directeur général adjoint de la Banque libano-française, selon qui cette performance est amplement suffisante.
Changement de tendance dans les dépôts
Depuis le début de l’année, et contrairement aux deux années précédentes, ce ne sont plus les dépôts des non-résidents qui tirent la croissance vers le haut, mais ceux des résidents ; même si cette distinction est légèrement faussée par le fait que beaucoup de non-résidents ne se déclarent pas et sont donc comptabilisés en tant que résidents. Les dépôts de ces derniers se chiffrent à 83,4 milliards de dollars fin juin 2010, soit 4,2 milliards de plus qu’en décembre 2010 (+5,3 %), alors que les dépôts des non-résidents n’augmentent que de 155 millions de dollars sur la même période (+0,9 %), pour atteindre 16,7 milliards de dollars. En comparaison en 2009, « l’augmentation des dépôts du secteur privé non résident était de 44 % », souligne Karim Habib, de la Banque IBL. Cela signifie que la croissance bancaire est désormais endogène, alors que ces deux dernières années elle a été fortement tirée par les flux exogènes : en considérant que les taux d’intérêt moyens sur les dépôts en livres sont de 5,83 %, 100 milliards de dollars de dépôts deviennent automatiquement 105,83 milliards au bout d’un an.
La dédollarisation des dépôts s’est poursuivie au premier semestre, en raison de la persistance de la marge de rémunération entre le dollar et la livre: le taux de dollarisation est passé de 77,3 % en décembre 2007 à 69,6 % en décembre 2008, 64,5 % en décembre 2009 et 62,5 % en juin 2010, soit son niveau le plus bas depuis près de 16 ans, selon la Bank Audi. Ce sont donc les dépôts en livres qui soutiennent la croissance totale des dépôts : ils représentent 80 % de leur croissance, soit 3,5 milliards de dollars. « La confiance en la livre libanaise se maintient », note Baz.
La difficulté pour les banques libanaises est de gérer les liquidités en livres libanaises. Elles n’ont en effet que deux placements possibles : dans le secteur privé et dans le secteur public. Les liquidités en devises, quant à elles, peuvent dans une certaine mesure être placées sur les marchés internationaux. Les banques ont donc cherché à développer leur portefeuille de crédit en livres, encouragées en cela par les directives de la Banque centrale.
Les crédits au secteur privé en augmentation prudente
Les crédits au secteur privé ont augmenté de 11,8 % durant le premier semestre 2010, à 31,7 milliards de dollars. Ce rythme de croissance reste inférieur à celui du premier semestre 2008 (18,6 %) et est similaire à celui de 2009. Mais « c’est une croissance importante comparée à celle des dépôts », note Freddy Baz. En termes absolus, cela signifie que 3,3 milliards de dollars de crédits supplémentaires ont été accordés au premier semestre 2010, à comparer avec un milliard en 2008.
Le ratio crédits sur dépôts des banques Alpha, dont les dépôts dépassent les 2 milliards de dollars, est ainsi passé à 31,26 % en juin 2010, contre 29,03 % à la même époque l’année dernière.
À juin 2010, la très grande majorité des crédits (81,9 %) reste en dollar, en raison du différentiel de taux entre les deux monnaies : selon les statistiques de la Banque centrale, le taux moyen des prêts en livres s’élève à 8,37 % en juin 2010 (9,95 en décembre 2008, 9,04 en décembre 2009), celui en dollars est à 7,03 % en juin 2010 (7,47 % en décembre 2008, 7,28 % en décembre 2009). Mais les mesures mises en place l’année dernière par la Banque centrale pour encourager le crédit en livres afin de gérer l’afflux de liquidités se font sentir : le taux de dollarisation des crédits en juin de l’année dernière était de 84 %. « Avec les exemptions de réserves obligatoires pour les crédits à certains secteurs, on peut aujourd’hui offrir des crédits en livres libanaises à des taux similaires à ceux en dollars », note Georges Zard Abou Jaoudé, de la Lebanese Canadian Bank, qui déplore cependant la faible demande du secteur privé.
Dans son rapport annuel sur le secteur bancaire libanais, FFA Private Bank note l’impact important des prêts à l’immobilier, qui tirent à la hausse le portefeuille de crédits des banques libanaises. En 2009, les prêts à la construction, à l’habitat et à la location se sont élevés à 10,1 milliards de dollars, en progression de 21,5 % par rapport à 2008. En comparaison, le portefeuille global de prêts au secteur privé a enregistré une croissance de 13,3 % sur la même période.
Une exposition au risque souverain toujours élevée
Les crédits au secteur public sont, quant à eux, restés constants au premier semestre 2010 : ils s’élèvent à 29,1 milliards de dollars à fin juin, soit 0,2 % d’augmentation depuis fin 2009. Outre le fait que les banques ont profité du développement de leur portefeuille de crédits au secteur privé, elles cherchent à contenir leur exposition à la dette de l’État, d’autant plus que la rémunération du risque souverain a baissé : la Banque centrale souhaite en effet réduire le différentiel de taux avec l’étranger, et répercute la hausse de la notation sur les obligations libanaises par les agences Moody’s et Fitch. Le taux d’intérêt sur les certificats de dépôts à 45 jours est ainsi passé de 4,4 % en juin 2009 à 3,57 % en juin 2010. Celui sur les bons du Trésor à trois ans a diminué de 8,52 % à 5,9 % sur la même période.
La croissance des réserves de la Banque centrale, qui rentrent également dans le calcul du risque souverain, a elle aussi ralenti : elles ont atteint 38,1 milliards de dollars en juin 2010, en augmentation de 7,3 % au premier semestre. L’année dernière sur la même période cette augmentation était de 25,7 %. L’exposition totale au secteur public est donc restée stable, voire a légèrement diminué, à 55,3 %. Ce pourcentage était de 55,9 % en juin 2009 et 56,1 % en décembre 2009.
« Beaucoup de banques n’ont pas les moyens de développer leurs activités commerciales, et sont obligées de placer leurs livres en réserves obligatoires ; on estime que 90 % des dépôts en livres sont placés en bons du Trésor et en réserves », explique Walid Raphaël.
Faible rémunération des marchés internationaux
« L’économie libanaise est en dollars, explique Freddie Baz, les crédits aussi ; or, la Banque du Liban n’est pas un prêteur de dernier recours en devises ; les banques ont donc des coussins de liquidité substantiels en devises étrangères ; or, les taux étrangers ont baissé et sont proches de zéro ; les banques ont donc fait face à une rémunération de leurs placements en devises inférieure au coût de leurs dépôts. » Le Libor à trois mois, taux de référence par excellence sur les marchés internationaux, est par exemple resté proche de 0,30 %. Et les banques n’ont pas le droit d’investir dans des produits structurés, plus rémunérateurs. Elles se sont donc retrouvées avec des ressources moins bien rémunérées, ce qui a obligé certaines d’entre elles à mettre en place des politiques d’austérité budgétaire.
Une rentabilité qui repart à la hausse
Mais l’effet volume a fortement joué en 2009 ; et les banques libanaises ont continué à générer des profits, à un rythme moindre qu’en 2008 certes: +17,4 % en 2009, à comparer à 26,3 % en 2008. Elles ont également récolté les fruits des efforts de gestion qu’elles ont fait et ont pu compter sur la contribution de leurs filiales internationales, note FFA Private Bank dans son rapport annuel. Le ratio de rentabilité des fonds propres (ROE) n’a donc accusé qu’une légère baisse fin 2009, à 13,0 % au lieu de 13,02 % en 2008, et celui de rentabilité des actifs est resté stable, à 1,1 %, selon Bilan Banques
Au premier semestre 2010, les banques libanaises ont commencé à répercuter les baisses de taux d’intérêt qu’elles ont subies sur la rémunération de leurs placements, sur les intérêts qu’elles offrent sur les dépôts au Liban. Le taux d’intérêt moyen sur les dépôts en livres est ainsi passé de 7,22 % en janvier 2009 à 5,83 % en juin 2010 ; celui sur les dépôts en dollars est quant à lui passé de 3,31 % à 2,75 %. Cette baisse s’est faite plus lentement que celle que les banques ont subie sur leurs placements : « En raison du “mismatch” entre les dépôts à court terme et les bons du Trésor et certificats de dépôts à long terme, explique Saad Azhari, de la Banque BLOM, les banques bénéficient d’un délai pour baisser leurs taux d’intérêt sur les dépôts. » Baz renchérit en expliquant que « la Banque du Liban et le ministère des Finances ont 60 clients, ils peuvent se permettre de baisser les taux rapidement ; les banques ont des millions de clients, elles ne peuvent pas baisser les taux aussi vite ». D’autant plus que « près du tiers du PIB national de 34 milliards de dollars est composé d’intérêts et les banques se livrent à une compétition féroce entre elles pour profiter de cette manne, ce qui explique leur reluctance à baisser leur taux », estime-t-il.
Cette baisse des taux, cumulée aux efforts de gestion des banques – le ratio coûts sur revenus des banques Alpha est passé de 49,62 % à 47,66 % entre juin 2009 et juin 2010 –, leur ont permis d’enregistrer des croissances plus importantes de leurs profits au premier semestre 2010 : +21,5 % pour la Bank Audi, +13,1 % pour la Banque BLOM, +14,9 % pour la Banque Byblos, +54,7 % pour la Fransabank, +42,9 % pour la BLF… Cette tendance devrait se poursuivre d’ici à la fin de l’année.