Avec un chiffre d’affaires de 110 millions de dollars en 2009 et une progression de 5,81 %, le secteur des alcools spiritueux se porte comme un charme au Liban. Si les consommateurs privilégient encore les alcools bas ou moyens de gamme, l’offre haut de gamme s’étoffe, preuve qu’il existe aujourd’hui aussi une clientèle aux goûts affirmés.
Pour une fois, le Liban ne suit pas la tendance. Alors que le marché des alcools et des spiritueux est stagnant, voire en baisse – moins 0,5 % en moyenne par an – dans le monde ; au Liban, il s’agit toujours d’un secteur très dynamique avec une augmentation en volume de 5,81 %. Ce qui représentait un chiffre d’affaires global de 110 millions de dollars en 2009, selon Ziad Cordahi, chargé du marché des spiritueux au sein des Établissements Antoine Massoud (EAM). En 2009, 1,5 million de caisses (de 9 litres) d’alcool, dont 830 000 caisses de spiritueux (whiskys, vodkas…) ont ainsi été vendues.
Pour les spécialistes, cette augmentation du marché des alcools au Liban est liée aux investissements publicitaires réalisés. En 2009, deux millions de dollars ont ainsi été dépensés pour assurer la visibilité des marques d’alcool dans les médias (hors on line). « Dans les pays occidentaux, la communication pour des marques d’alcool est très réglementée, le Liban, lui, n’a pas mis en place de frein législatif. Il est, qui plus est, le seul pays arabe de la région où les marques peuvent communiquer sans craindre le poids des interdits religieux », fait valoir Ziad Cordahi.
C’est toujours le whisky qui caracole en tête, détenant 68 % de parts de marché (source : Nielsen 2009) et 430 000 caisses vendues en 2009, soit une hausse de 5,1 % des ventes entre 2008 et 2009, selon les chiffres de l’étude IWSR 1985-2009. Les ventes sont assurées principalement dans les supermarchés, selon l’étude Nielsen 2008-2009. Le vin, au contraire se vend mieux dans les épiceries qui réalisent les trois quarts des ventes. Pour 2010, les prévisions d’IWSR tablent sur 450 000 caisses de whisky. « La consommation de whisky est à ce point généralisée que l’on peut parler d’un “alcool libanais” même si cette habitude concerne plutôt les 45-60 ans. On le trouve partout : dans les bars bien sûr, au restaurant, ou à la maison. Il est courant de manger en buvant du whisky, là où, dans d’autres pays, l’on déjeune en buvant du vin », poursuit Ziad Cordahi.
Le réel boom cependant provient de la vodka, qui représente 19 % de parts de marché en volume. En moins de cinq ans, ses ventes ont plus que doublé : en 2000, il s’en était écoulé quelque 25 000 caisses, en 2005, 68 000 caisses, et en 2009, 158 000 caisses. Soit une augmentation de 22,4 % entre 2000 et 2009 et de 43,9 % entre 2008 et 2009. Les prévisions pour 2010 parient sur 195 000 caisses vendues au Liban. « La vodka est un alcool jeune. Son prix est très compétitif. Son association avec les cocktails facilite sa pénétration sur le marché libanais, en particulier dans les bars ou les boîtes de nuit », explique Sélim Bocti, du groupe Gabriel Bocti. Quant à la bière, sa consommation reste stable avec 205 000 caisses vendues en 2009 et une progression de 7,5 % entre 2008 et 2009.
Faute de concurrence locale, les marques étrangères de whisky et de vodka dominent le marché. Pour la bière en revanche, les marques locales, comme Almaza (Heineken) – et son petit challenger 961 Beer – se taillent la part du lion avec quelque 122 000 caisses (sur 205 000) vendues. Toutefois, ces marques perdent des parts de marché – moins 2,9 % entre 2000 et 2009 – au profit des groupes étrangers, aux campagnes marketing plus agressives, dont les produits progressent (+11,6 %) sur la même période.
Quant au champagne, avec 1 % de part de marché si on rapporte ses ventes à celles de l’ensemble des alcools et de 3,66 % de parts de marché si l’on s’en tient au seul secteur des vins, il représente encore une microniche. Mais avec un très beau potentiel. Entre 2006 et 2009, le volume des ventes a doublé, passant de 92 000 bouteilles écoulées en 2006 à 197 000 en 2009 (source : Comité du Champagne, 2009). « Le champagne a longtemps été cantonné aux fêtes avec deux pics : l’été pour la saison des mariages ; la fin de l’année pour les fêtes. Noël représente peut-être 60 % de nos ventes. Mais depuis quelques années, certains Libanais prennent conscience qu’il s’agit aussi d’un vin à déguster lors d’un apéritif, voire pendant les repas », précise Antoine Abi Aad d’Aziz. Cette croissance exceptionnelle des ventes de champagne n’est cependant pas seulement tirée par la demande interne, estimée, selon les distributeurs libanais, entre 5 et 7 % par an. Elle trouve aussi son explication dans la crise économique qu’a traversée le secteur, avec une baisse de la consommation mondiale de l’ordre de 8 à 12 %. Cette dégradation a permis aux distributeurs libanais de s’approvisionner à prix cassés auprès de grossistes internationaux et de stocker. « Nous avons pu bénéficier de coûts d’achats moins importants que les années précédentes », confirme Joe Atick des Établissements Antoine Massoud (EAM). Conséquence aujourd’hui : une bataille des prix s’engage sur le marché libanais, avec des rabais pouvant aller jusqu’à 50 %, en particulier pour ce qui concerne le secteur du catering (traiteurs événementiels). « Sur ce marché, les prix de certaines marques passent désormais du simple au double. Nous ne pouvons pas nous aligner », précise ainsi Imad Fawaz de Fawaz Holding, dont le groupe distribue Taittinger. D’autres distributeurs en profitent pour écouler une partie des marchandises achetées en Syrie ou en Irak. Ces ventes représenteraient 3 à 5 % de leurs chiffres d’affaires.
Contrairement aux marchés occidentaux, plutôt tirés par des ventes qualitatives, le secteur des spiritueux au Liban est encore un marché de “volume” avec les meilleures ventes effectives dans les catégories bas de gamme ou standard. Ce qui est recherché, c’est l’alcool, pour ses effets, et le sucre, pour le plaisir du palais. D’où le succès dangereux des premix (des alcools-cocktails tout faits) comme le whisky-coca ou la vodka orange, ou encore des cocktails qui ne requièrent pas une éducation aux goûts particulière. « En fait, nous constatons un double mouvement : d’abord, une consommation de volume. Dans ce cas, le prix de vente est déterminant dans l’acte d’achat. En parallèle toutefois, on assiste à une démarche plus qualitative avec une “premiumisation”, c’est-à-dire une recherche de produits de qualité, plus prestigieux », explique Imad Fawaz, PDG du groupe Fawaz dont la société de distribution d’alcool Nexty commercialise, depuis le 1er janvier 2010, l’ensemble du catalogue du groupe français Pernod-Ricard, n° 2 mondial.
Pour ce qui concerne les whiskys, ce sont les marques standard qui sont le plus demandées avec 315 000 caisses vendues dans cette catégorie en 2009 et une hausse de 5,3 % entre 2008 et 2009. Parmi les marques, Johnnie Walker Red (Diageo) et Dewars White Label (KFF), deux blended whiskys, s’attribuent le gros des ventes.
Côté vodka, le constat est identique : les “standards” l’emportent sur les productions haut de gamme. Stolichnaya (Bocti) domine les ventes avec 4 500 caisses vendues en 2009 et une progression de 32,4 % entre 2008 et 2009, devançant Absolut (Nexty) avec 3 600 caisses et une hausse de 44 % de ses ventes entre 2008 et 2009. La troisième place est occupée par un acteur récent sur le marché libanais, la Russian Standard (EAM). En moins de trois ans, cette vodka a même réussi l’exploit de détrôner Smirnoff (Diageo), avec 1 100 caisses en 2009 et une progression de 83,3 %.
Mais au fil des années, la bonne santé du marché libanais a généré un phénomène de contrebande et, plus inquiétant pour la santé publique, de contrefaçon. « Des groupes importent au Liban de l’alcool acheté sur le marché noir international, sans bien sûr payer ni TVA ni douanes. Ils profitent des dépenses marketing des groupes ayant pignon sur rue, mais cassent le marché en tirant les prix à la baisse. Il existe cependant une autre forme de contrebande. Des individus importent dans ce cas des alcools en toute légalité, mais court-circuitent l’importateur exclusif », explique Imad Fawaz, qui estime que ces deux combinés affectent 30 % des marges des importateurs réguliers. Quant à l’alcool frelaté, il serait potentiellement responsable de la perte d’environ 5 % du chiffre d’affaires des distributeurs. En juillet dernier, la Direction des douanes a ainsi saisi une importante quantité de boissons alcoolisées frelatées dans un magasin de Hazmié et un atelier à Bzommar. Des bouteilles contenant un alcool proche du whisky, d’autres remplies de fausse vodka, des bidons de colorant à base de sucre brûlé, des bouchons, des entonnoirs, de fausses étiquettes de marques y ont été saisies. Selon la Direction des douanes, la fraude était si perfectionnée que le consommateur ne pouvait faire la différence avec les marques officielles !