Un ou deux clics suffisent pour parier sur les fluctuations des monnaies ou des Bourses du monde entier. Mais le grand public ignore parfois les risques encourus.

Investir en Bourse est presque devenu un jeu d’enfants grâce à la multiplication des sites de courtage en ligne, qui proposent aux particuliers de faire fructifier leur capital. Au moins potentiellement. « Internet a démocratisé l’accès aux marchés », explique Tarek el-Ahdab, vice-président de l’Arab Finance Corporation (AFC), qui a développé plusieurs plates-formes de trading en ligne dont l’une dédiée à la Bourse de Beyrouth. Actions, matières premières, monnaies… Les marchés du monde entier sont désormais accessibles d’un seul clic. Parmi eux, le marché des changes et des devises (ou Forex pour Foreign Exchange) a le vent en poupe. « C’est le plus grand marché du monde. Il est hyperliquide et, depuis la crise financière de 2009, c’est devenu le marché privilégié par les investisseurs », explique Henri Chaoul, directeur général de Master Capital Group, qui développe depuis septembre 2009 la plate-forme américaine FXCM pour la région MENA.

Les chiffres donnent le vertige : dans son dernier rapport (2010), la Banque des règlements internationaux (BRI) fait état d’échanges sur ce marché atteignant 4 trilliards (soit 4 000 milliards) de dollars par jour en avril 2010. En trois ans, le volume de trading “Forex” a augmenté de 20 %, selon ce même rapport. Avec une concentration des transactions sur le marché londonien, où se déroulent 37 % des échanges mondiaux, et une primauté au dollar sur lequel portent 84,9 % des transactions quotidiennes.

Au Moyen-Orient, impossible d’estimer le volume des transactions. Certains acteurs avancent avec précaution que la région représenterait quelque 5 % de cette manne. « Tout au plus peut-on dire avec certitude que les transactions sont en augmentation », fait valoir Toufic Karam, de FFA Private Bank, qui propose différentes plates-formes en ligne, dont l’une dédiée au Forex. « Le marché des changes correspond assez bien au profil des investisseurs régionaux, hyperspéculatif », ajoute Karim Farra, d’Amana Capital. Au Liban, de surcroît, jouer sur le taux de change des monnaies est en soi un sport national ! L’arrivée de nouvelles plates-formes Forex devrait permettre de s’y adonner avec un peu plus de facilité encore.

Depuis peu, en effet, de nouveaux venus pénètrent le marché libanais. Aux deux acteurs “historiques” – l’Arab Financial Corporation (AFC) et FFA Private Bank, présents sur ce créneau depuis une dizaine d’années – se sont ajoutés FXCM MENA (Master Capital Group) et plus récemment Amana Capital (Manara Holding). FXCM MENA a ouvert deux bureaux, le premier à Beyrouth, le second à Dubaï. Quant à Amana Capital, il a lui aussi lancé au cours de l’été 2010 de nouvelles places de marché virtuelles sur le marché des changes, des matières premières (or, argent, pétrole et gaz naturel) ainsi que sur les indices boursiers (Dow Jones, S&B, Nasdaq).

Cet engouement s’explique par les nombreux avantages du marché des changes. Coté 24 heures sur 24, 5 jours sur 7, sans place centralisée, ce marché interbancaire offre des produits à forts effets de levier, qui permettent de multiplier les gains, parfois jusqu’au centuple. Mais gros inconvénient : on peut facilement perdre sur le marché des changes, tant les fluctuations sont rapides, même si certaines plates-formes refusent d’autoriser les positions critiques. D’autres, à défaut, incitent les clients à les limiter via des “Stop loss”, qui permettent de limiter le risque à un certain niveau ou, au contraire, des “Take profit”, qui visent à vendre dès qu’un seuil est atteint. « Pour durer sur ce marché, il faut minimiser les risques. Les investisseurs institutionnels ne prennent jamais de risques démesurés », explique Henri Chaoul, de FXCM MENA, dont la maison mère, FXCM, basée à New York, est entrée en Bourse début décembre.
Contrairement aux sites de bourses en ligne, “trader” sur des devises ne coûte rien. Ou presque rien. « Pour les transactions spots (c’est-à-dire une transaction au comptant, NDLR), il n’y a pas de commission perçue par le broker, comme c’est le cas sur le marché des actions », précise Karim Farra, président d’Amana Capital.

Ces sites se rétribuent sur le “spread” c’est-à-dire sur l’écart entre le prix d’achat et le prix de vente d’une paire de devises. Ainsi si vous achetez de l’euro/dollar à 1,4000 (les taux de change comportent toujours quatre chiffres après la virgule) et que votre broker fixe sur cette transaction un “spread” de deux “pips” (ou “pourcentage en point” qui correspond au plus petit échelon de variation du cours d’une paire de devises, ici en l’occurrence 0,0002) il vous faudra vendre au-dessus de 1,4002 pour commencer à gagner de l’argent. Mais pour que ce marché se développe, encore faut-il que la sécurité des particuliers soit garantie. « Beyrouth peut bénéficier de la réputation de sa place bancaire en termes de confidentialité et de sécurité pour devenir aussi la référence régionale en ce qui concerne le trading en ligne », fait valoir Karim Farra, président d’Amana Capital. Une rapide recherche sur le web libanais montre que les sites de trading sans licence pullulent. Certains ont pignon sur rue, à Dora, à Kaslik ou en banlieue sud. D’autres, plus discrets, n’offrent pas d’adresse physique au Liban, mais ciblent le public libanais, via leurs campagnes de publicité. Contactés par Le Commerce du Levant, aucun n’a donné suite aux questions posées.

Pourtant, la loi est claire. « Une banque traditionnelle n’a pas besoin d’autorisation de la Banque centrale libanaise pour développer des outils de trading sur Internet. Elle doit simplement lui notifier son activité. En revanche, une entreprise de courtage en ligne, qui interviendrait depuis le Liban ou ciblerait le marché libanais, via des publicités par exemple, serait dans l’illégalité si elle ne possédait pas de licence de la Banque centrale », affirme le service juridique de la Banque du Liban. « Si la Banque du Liban est informée de l’activité d’institutions non autorisées, une enquête est diligentée conjointement avec la Commission de contrôle bancaire et le Haut Comité des banques (HBC). Le dossier est ensuite transféré au ministère responsable qui peut décider d’envoyer les Forces de sécurité intérieure afin de fermer ces entreprises, ou éventuellement de leur imposer des licences. » Voilà pour le principe. Dans les faits, ces instances de contrôle ne semblent pas en mesure d’agir : la dématérialisation des échanges rendant les contrôles difficiles. Aussitôt qu’un site est fermé, il peut ouvrir ailleurs sous un autre nom. Seules solutions pour lutter contre ce phénomène ? Favoriser d’abord la coopération, en organisant les relations entre les autorités internationales – ce que l’on nomme le home/host – afin de rendre plus réactive l’organisation d’enquêtes et de contrôles communs. Et mettre ensuite en place une “garantie d’investissement” au Liban qui protège l’investisseur en cas de faillite ou de défaut de paiement. Une telle garantie existe aux États-Unis seulement. Les sites de courtage sont tenus d’y abonder financièrement, ce qui permet in fine de limiter les arnaques.

Pour les sites référencés auprès de la Banque centrale (qui exige entre autres un niveau de capitalisation minimum de deux millions de dollars), ces acteurs  illégaux représentent a minima d’une forme de concurrence déloyale. Mais le danger va plus loin. « C’est la garantie de sécurité pour le client qui est en jeu », résume Karim Farra, d’Amana Capital. Comme d’autres de ses pairs, il souhaite que la Banque centrale fasse le ménage. « Il suffit qu’un seul acteur ne soit pas en mesure d’assurer le paiement d’un deal pour que la confiance disparaisse », souligne-t-il.
Dans le jargon financier, on qualifie ces sociétés aux pratiques à la limite de la légalité de “bucket shop”. Certaines peuvent disparaître avec l’argent placé ; d’autres prennent des positions directement et ne sont pas en mesure de payer leurs clients, si ceux-ci viennent à gagner. Pareil cas s’est produit en 2007-2008 en Jordanie, où plusieurs faillites ont poussé les autorités à fermer l’ensemble des sites de courtage et à imposer une nouvelle loi (numéro 84 de 2008), qui rend quasi impossible à un site de courtage d’ouvrir sur le sol jordanien. Dans des cas d’arnaques encore plus élaborées, certains sites peuvent offrir des “rendements garantis” qui ne reposent en fait que sur des escroqueries sous forme de “ventes pyramidales” semblables à celles mises en œuvre par le célèbre Madoff ou, son équivalent au Liban, l’homme d’affaires aujourd’hui emprisonné Salah Ezzedine. En juin 2010, un Français a par exemple été arrêté pour avoir escroqué une centaine de personnes pour un montant estimé d’un million d’euros. L’escroc offrait des placements à haut rendement sur le marché Forex via le site, aujourd’hui fermé, Euroworkfinance, se disant régulé par les autorités londoniennes. La société promettait ainsi de 12 à 23 % d’intérêts nets mensuels, voire 50 % pour des investissements plus risqués !

Sur le marché Forex, peu de particuliers ont au final des chances de gagner le jackpot. Plus sûrement, ils risquent de perdre de petites sommes, jusqu’à voir s’envoler l’intégralité des montants investis. C’est pourquoi certains parlent d’un “jeu”, proche dans ses mécanismes des machines à sous des casinos. Les sites illégaux finalement prennent peu de risque, tant l’investisseur a des chances de perdre. Mais si un “cygne noir” advient, pour reprendre l’expression de Nassim Taleb qui définit ainsi un événement à faible probabilité faisant irruption dans la réalité, ce même particulier peut faire sauter la banque… Comme au Casino !

Avec 10 000 dollars, on peut faire un pari à un million de dollars

Avec un dépôt de 10 000 dollars, on peut mettre en jeu jusqu’à un million. C’est ce qu’on appelle l’effet de levier. Dans ce cas, il est de 100 pour 1, c’est-à-dire que l’on peut miser cent fois plus que ce que l’on a en réalité. Je choisis de miser sur un cours d’euro/dollar à 1,4000. Deux cas de figure :

• L’euro/dollar monte à 1,4100. Ma position a gagné 0,01 dollar (ou 100 pips). Je gagne donc 1 000 000 x 0,01 = 10 000 dollars. Le broker ponctionne une commission, de 1 ou 2 pips en général. Ici, la commission (2 pips x 10 000) serait de 200 dollars, à déduire de mes gains. La question est de savoir qui perd. Lorsque l’e-broker joue seulement l’intermédiaire entre son client et une contrepartie (une banque par exemple), c’est celle-ci qui perd les 10 000 dollars. Lorsque le broker a pris lui-même la position, fonctionnant alors comme un “dealing desk”, la perte est à son actif.

• Qu’arrive-t-il si à l’inverse l’euro/dollar chute, par exemple à 1,3900, c’est-à-dire une baisse de 100 pips ? En théorie, je perds 10 000 dollars. Toutefois, le modèle de trading des sites est programmé pour empêcher la perte d’atteindre la totalité de cette somme grâce à ce que l’on appelle le système de marges. Sur le montant réel déposé initialement (10 000 dollars), je ne perds en fait que 2 500 dollars. En positif, il me reste la marge déposée dit également dépôt de garantie, soit 7 500 dollars. À noter que si j’avais opté pour un levier de 200 pour 1, il ne me resterait que 5 000 dollars. Le dépôt de garantie requis est en effet moins élevé dans ce cas.

FXCM côté à la Bourse de New York

Le courtier en ligne américain FXCM (Forex Capital Markets), spécialiste du marché des changes, a annoncé début décembre son introduction à la Bourse de New York. L’actionnaire majoritaire de ce broker est le Libanais Michel Daher, fondateur de la marque de céréales Poppins. L’introduction a lieu jeudi 2 décembre 2010 à la Bourse de New York. FXCM est présent à Beyrouth depuis septembre 2009 et vient d’ouvrir une nouvelle filiale à Dubaï via son partenariat avec l’institution financière libanaise Master Capital Group, présidée par Henri Chaoul, qui développe sa plate-forme dans la région MENA. Le marché valorise FXCM à hauteur de 226,7 millions de dollars. FXCM va mettre sur le marché 15,06 millions d’actions (Class A) pour un prix d’achat de 14 dollars, avec une option de surallocation, c’est-à-dire une émission d’actions supplémentaires en cas de forte demande. Les banques émettrices, notamment Crédit suisse, JP Morgan et Citigroup, pourront ainsi acheter 2,3 millions d’actions supplémentaires, ce qui porterait la levée de fonds à 229 millions de dollars. FXCM compte plus de 165 000 clients dans le monde. En 2009, il a réalisé un chiffre d’affaires de 322,7 millions de dollars, dont 291,7 millions réalisés grâce à son activité de trading pour les particuliers.

Pour agir, mieux vaut être très prudent

La Commission de contrôle bancaire, chargée de surveiller les activités sur les marchés financiers, rappelle que les épargnants doivent vérifier que les prestataires, proposant leurs services en ligne, sont autorisés par la Banque du Liban. Pourtant, de nombreux sites, basés dans les îles Vierges britanniques ou à Maurice, voire à Chypre ou à Londres, font beaucoup de publicité sur le Net sans avoir obtenu l’autorisation d’exercer au Liban. Cette mise en garde vise par exemple des sites Internet comme Nettrading-lb.com, beirutfx.com, rpchost.com… « pour lesquels aucun prestataire autorisé n’a pu être clairement identifié », avance un expert, qui ne souhaite pas être nommé. « Et il y en a d’autres… », ajoute-t-il. Par précaution, mieux vaut donc investir par l’intermédiaire de sites régulés par la Banque du Liban et ayant une réputation de sérieux. Par ailleurs, en raison de leur fort effet de levier, les instruments dérivés, dont les Forex sont destinés à une « clientèle avisée pouvant surveiller les positions […] et ayant les moyens financiers de supporter un tel risque ». Pour éviter de tomber sur un escroc, mieux vaut lire avec attention les contrats d’ouverture de compte et ne signer qu’après vérification des conditions de gestion du compte. L’expert interrogé recommande en particulier de prêter attention aux dépôts de garanties exigés (en anglais “marge” et d’éviter une société qui accepterait des opérations de 500 à 1 000 dollars. « Quand un client passe un ordre sur un site, l’e-broker l’exécute en faisant appel à un “correspondant”, une contrepartie, qui ne peut pas investir de tels micromontants sur le Forex. Le risque ici est qu’il s’agisse d’un site véreux. »

Quatre acteurs principaux au Liban

Quatre institutions financières, autorisées par la Banque du Liban, proposent des services de trading en ligne : Arab Financial Corporation (AFC), Amana Capital, FFA Private Bank et FXCM MENA. À l’exception de FXCM MENA, qui se focalise exclusivement sur le marché des changes, les trois autres proposent différentes plates-formes. FFA, par exemple, dispose de trois sites (actions, futures, forex). L’AFC est la seule institution à avoir développé un site de trading sur la Bourse de Beyrouth. Quant à Amana Capital, elle offre l’accès au marché de gré à gré (ou over the counter, c’est-à-dire hors bourse) tel celui des matières premières ou des indices boursiers (Dow Jones, S&B, Nasdaq). Toutes ces plates-formes proposent d’accéder aux marchés des changes à partir de sites en anglais, parfois également en arabe. Leurs offres de services sont à peu près équivalentes : suivi de son compte en temps réel, ordre passé par téléphone, appui éventuel d’un conseiller... Certains optent pour des formations de base (Amana Capital) quand d’autres s’appuient sur des outils de démonstration gratuits (FXCM MENA) pour mieux se familiariser avec le trading. Quant aux frais, ces sites se rétribuent sur des spreads, en général d’un ou deux pips. FFA Private Bank toutefois applique une commission fixe pour chaque transaction.