Kfardebiane : l’essoufflement
Après la guerre de 2006, la région de Kfardebiane a connu un boom de la demande, engendrant la construction de nombreux nouveaux projets. Mais cette offre peine aujourd’hui à être absorbée. Les ventes immobilières se sont ralenties dans tout le pays, ce qui a naturellement affecté le marché des résidences secondaires. Avec la forte concurrence, les prix pourraient être amenés à baisser dans les prochains mois. Le Commerce du Levant a mené l’enquête dans la région de Kfardebiane.
L’apparition des premiers flocons de neige sur les hauteurs de Kfardebiane a redonné le sourire aux promoteurs. Depuis quelques jours, le téléphone commence de nouveau à sonner, et des clients viennent visiter les chalets à Faqra et Faraya. Mais cette affluence cache mal une année 2010 globalement morose dans la région. Les transactions sont pratiquement restées au point mort, les dernières ventes de chalets remontant souvent à 2009, alors que les nouveaux projets se sont entre-temps multipliés. En 2011, plus de 400 chalets seront en vente sur le marché, répartis dans une quarantaine de constructions à Kfardebiane (région qui regroupe notamment Faqra et Ouyoun el-Simane, près du Mzaar).
Les promoteurs commencent à déchanter et à freiner des quatre fers. « Notre cabinet d’architecture avait beaucoup de projets prévus dans la région en 2009, mais aucun n’a été lancé en 2010. Les promoteurs préfèrent attendre l’absorption des chalets existants avant de commencer leurs constructions. Ils considèrent que ce n’est pas une affaire rentable pour le moment », explique Bassam Chamoun, directeur général de la société Sites Design and Build. « Les deux dernières années, plus de 35 permis de construire ont été accordés dans la région de Tilal el-Assal, près du barrage militaire de San Antonio, mais peu se sont finalement lancés dans la construction. Certains préfèrent même maintenant revendre leurs terrains », explique pour sa part le promoteur Roland Khoury. Plusieurs grands projets dans la région ont été ajournés : Silver Rocks, du groupe Mouawad, qui devait s’étendre sur près de 40 000 m² et dont les travaux devaient commencer à l’été 2010, ou le projet Ahlam Mountain Resort, qui s’annonçait comme l’un des plus grands projets immobiliers au Liban (sur 1,1 million de m²), développé par Sayfco et « mis en hibernation », selon Georges Abou Jaoudé, directeur général de FFA Real Estate, conseiller financier et marketing du projet.
Plusieurs autres plus petits projets ont également été mis en veilleuse : le projet Six, qui devait comprendre 18 chalets à Ouyoun el-Simane, le projet Loft Eight à San Antonio, les Honey Hills Chalets à Tilal el-Assal, etc. Le complexe Faqra Valley, qui devait regrouper 50 chalets près du restaurant Chez Michel, près du rond-point Lahoud, a quant à lui été carrément stoppé. « Le Faqra Valley a été arrêté en raison d’un conflit entre partenaires, et tout le projet est à vendre », affirme un connaisseur de la région.
Absorber l’effet boule de neige
Le net ralentissement des ventes dans la région s’explique en partie par la mauvaise saison de ski en 2010 et les tensions politiques au niveau national, mais surtout par un décalage temporel entre l’offre et la demande. Un phénomène somme toute assez classique, qu’on observe également à Beyrouth. Suite au boom de la demande constaté en 2007-2008 dans la région, les promoteurs ont acheté des terrains à tout-va – souvent pour quelques centaines de dollars le mètre carré – et ont lancé des projets à la pelle contribuant à faire flamber les prix. Ceux qui souhaitaient acheter des chalets l’ont fait avant 2010, et l’offre se retrouve maintenant largement excédentaire, en particulier pour les grandes surfaces. Les clients sont toujours là, mais ils ne sont plus prêts à débourser de 500 000 à un million de dollars pour investir dans un chalet. « Le budget le plus demandé actuellement se situe entre 200 000 et 400 000 dollars, pour des superficies entre 100 et 200 m² », explique l’agent immobilier Christian Baz. « Les prix de la région sont beaucoup trop élevés. Il faut aussi compter que les acheteurs doivent rajouter les charges d’entretien annuelles, d’environ 20 dollars par m² », poursuit Christian Baz. Soit parfois jusqu’à 3 000 ou 4 000 dollars supplémentaires par an. « Un chalet ne devrait pas coûter plus de 2 000 dollars le m², surtout vu l’état des infrastructures de la région », estime Élie Abs, architecte et PDG de Accent Design Group.
Les prix dépassent pourtant les 4000 dollars le m² dans plus d’une dizaine de projets ! Avec cette offre excédentaire, les clients peuvent prendre le temps de comparer. D’autant qu’un chalet est une résidence secondaire, et ne constitue donc pas un achat indispensable. Face aux prix élevés, les acheteurs n’hésitent pas à se tourner également vers l’ancien, environ 30 à 35 % moins cher que le neuf, rénovation comprise. Des chalets qui datent de 20 ou 30 ans, mais qui sont souvent situés plus près des pistes. « La recherche de chalets dans l’ancien a augmenté de 50 % ces six derniers mois », note l’architecte Raymond Aoun.
Des baisses de prix envisageables
Les promoteurs n’affichent jamais clairement des baisses de prix, mais dans les faits les marges de négociations sont plus grandes qu’auparavant. « Les prix pourraient subir une baisse allant jusqu’à 20 % dans certains endroits de Kfardebiane », explique encore Raymond Aoun.
À Ouyoun el-Simane et à Faqra Club – régions très convoitées –, il est peu probable que les prix diminuent : ils devraient en moyenne stagner entre 3 800 et 4 200 dollars le m². Même scénario pour les grands projets comme Faqra Hills, Edelweiss, Oakridge ou les Suites de Faqra, qui disposent d’une assise financière solide et qui ont effectué plus de 60 % de préventes, longtemps avant la fin des travaux. En revanche, des baisses sont envisageables pour les plus grandes superficies et dans certaines zones plus éloignées des pistes et encore peu équipées, comme à Tilal el-Assal, Tilal Faqra ou plus bas, sur la nouvelle route de Faqra. Huit chalets ont par exemple été vendus entre mai et octobre 2010 à 2 200 dollars le m² dans le projet Tilal 6998, dans la zone de Tilal el-Assal. « Avec un tel prix, on peut faire 35 % de marge nette. Les promoteurs veulent faire des marges de 100 %, voilà pourquoi ils ne vendent pas ! » explique le promoteur du projet, Antoine Farah. La plupart des promoteurs rencontrés se disent prêts à rester inflexibles pour ne pas baisser leurs prix, arguant d’un coût de construction jusqu’à 30 % plus cher que dans la capitale, du faible taux d’exploitation et des hausses faramineuses des prix du terrain dans la région. Ceux-ci ont en effet doublé, voir triplé ces deux dernières années, atteignant le pic de 2 500 dollars dans la région d’Ouyoun el-Simane, près du Refuge. « Il existe trois ou quatre courtiers dans la région qui ont fait augmenter tous les prix des terrains », affirme un promoteur de la région. « Dans la zone de Qanat Bakiche par exemple, les prix ont triplé sans aucune raison, car aucune construction n’a commencé et il existe très peu d’infrastructures », poursuit le même promoteur, qui préfère rester anonyme.
Kfardebiane sur une pente glissante ?
Y a-t-il pour autant des raisons de s’alarmer des stocks importants de chalets dans la région de Kfardebiane ? Au final, le scénario d’une “bulle” avec une baisse brutale des prix reste tout de même peu probable dans la région, car la spéculation est faible et la demande réelle est toujours active, mais en attente. Avoir son chalet à Kfardebiane reste un must pour les catégories les plus aisées. Et même si la neige n’est pas au rendez-vous, la région sert de plus en plus pour estiver avec les fortes chaleurs qui frappent Beyrouth pendant l’été. « Huit clients sur dix demandent un jardin, notamment pour les enfants, et sont de moins en moins intéressés par le ski », explique le promoteur Nasri Hanna. Les festivals organisés au mois d’août près du Mzaar et du Faqra Club ont aussi dynamisé la région l’été. Par ailleurs, l’offre se diversifie de plus en plus pour répondre aux besoins des clients. On trouve à la fois des projets personnalisés de plusieurs unités de chalets de 100 à 200 m², des “complexes privés” dans la lignée de Faqra Club pour les familles et des projets groupés de villas (notamment les Villettes de Kfardebiane ou le Domaine du Chêne). Les très grands projets, même s’ils se situent loin des pistes, ont su créer un environnement favorable, offrant la sécurité 24h/24, mais aussi de nombreux services annexes comme des salles de sport, des spas, des piscines, des restaurants… Le sentiment d’être pris en charge de A à Z attire beaucoup la clientèle, qu’il s’agisse de résidents ou de Libanais expatriés. Les Arabes apprécient également la région – le seul endroit où ils peuvent faire du ski au Moyen-Orient – mais préfèrent louer à la saison. Comme dans la capitale, l’absorption des chalets existants devrait s’étaler sur au moins deux ou trois ans. « Sur les trente dernières années, il y a eu plusieurs fortes poussées immobilières, pendant les années 80 et à la fin des années 90, mais la demande et l’offre ont toujours fini par s’équilibrer dans la région », soutient Jihad Haddad, architecte au sein de la société TAA Real Estate.