Si la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) a traversé la crise financière internationale sans trop de dégâts, les événements politiques et sociaux qui la secouent depuis le début de l’année la mettent sous les projecteurs des marchés. Les cours du pétrole, déjà poussés par la reprise économique mondiale, sont également affectés à la hausse par l’inquiétude sur la stabilité de l’offre. « Si cette instabilité perdure et touche l’Arabie saoudite, cela aura un impact majeur sur l’économie mondiale », prédit Toufic Aouad, directeur de la banque privée Audi-Saradar. La région se divise en deux zones distinctes, l’une regroupant les pays exportateurs de pétrole et l’autre les États qui importent. Les perspectives diffèrent beaucoup entre ces deux groupes, mais le FMI constate que la révision du risque en cours dans l’ensemble de la région majore les coûts d’emprunt dans tous les pays. Le mécontentement politique, le chômage élevé et la hausse des prix alimentaires causent une agitation sociale qui va sans doute peser sur la croissance à court terme.
Compte tenu de ces facteurs, les experts du FMI tablaient en avril sur un PIB en progression de 4 % en 2011. L’Institute of International Finance (IIF) dans son rapport “The Arab World in Transition : assessing the economic impact” publié en mai en collaboration avec la banque Byblos évalue la croissance des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) à 6,5 % cette année, contre 5,1 % en 2010. Leur secteur extérieur affiche également une embellie, les excédents courants de la région MENA devraient à nouveau augmenter à mesure que le redressement progresse, en partie sous l’effet de la hausse des prix à l’exportation de l’énergie. L’excédent courant régional, qui était descendu de 15 % du PIB en 2008 à 2 % du PIB en 2009, devrait, d’après les projections du FMI, passer à plus de 12 % du PIB en 2011. L’inflation est en hausse, car les cours plus élevés des matières premières nourrissent l’inflation globale. Le taux d’inflation des prix à la consommation devrait, d’après les projections, passer à environ 10 % en 2011 pour l’ensemble de la région. « Selon la durée et l’intensité de l’agitation politique et sociale, ses effets intérieurs pourraient dépasser les prévisions actuelles, surtout si les troubles persistent et s’étendent à d’autres pays », diagnostique le FMI.
Les pays exportateurs sont donc les mieux lotis, avec une croissance attendue de 5 % cette année, bien que certains comme la Libye ou Bahreïn soient le théâtre de révoltes populaires. La hausse des cours des matières premières et la demande extérieure dopent la production et les exportations. Des programmes de dépenses publiques continuent par ailleurs à soutenir la reprise. Selon le FMI, le pays le plus performant est le Qatar, qui affichera une progression de 20 % en 2011, sous l’effet de l’expansion continue de la production de gaz naturel et de grosses dépenses d’investissement, notamment pour la Coupe du monde de football de 2022. En Arabie saoudite, le taux de croissance devrait être d’environ 7 % cette année, du fait d’investissements publics considérables dans les infrastructures. Les perturbations de la production en Libye signifient, puisque la capacité des pays non membres de l’OPEP est limitée, que la production pétrolière des pays de la région va augmenter en 2011. Certains puisent déjà dans leurs réserves.
Les pays importateurs affichent des perspectives moins optimistes. Garbis Iradian, directeur adjoint du département Moyen-Orient et Afrique de l’IIF, évalue à 0,5 % du PIB réel la contraction, conséquence des événements politiques. Selon lui, la production en Égypte, Tunisie et Syrie devrait cette année tomber de 3 % à 1 % ; et la croissance en Jordanie ralentir de 3,1 % en 2010 à 2,8 %.
Même son de cloche du côté des banquiers. « Nous constatons une inquiétude des investisseurs à court et moyen terme en Égypte et Tunisie, car l’intelligentsia économique était proche du pouvoir », note Toufic Aouad. L’impératif de la plupart des pays est de stimuler la croissance et de faire reculer le chômage chroniquement élevé, chez les jeunes en particulier. Certains ont donc récemment relevé les subventions pour les produits alimentaires et les carburants (Jordanie, Koweït et Tunisie) ou accru les transferts sociaux. Mais l’endettement élevé limite leur marge de manœuvre budgétaire. La préoccupation est également d’éviter une augmentation des prêts improductifs dans les pays en proie à des troubles.

Une instabilité, source d’opportunités

Alors faut-il investir dans la région, à la fois débordante de richesses mais plongée dans une instabilité dont on ne voit pas la fin ? Cette situation a poussé de nombreuses banques à établir un baromètre socio-économique, qui offre de nouveaux critères aux décisions d’investissement. Tarek al-Ahdab, de l’Arab Finance Corporation, voit les événements actuels comme globalement positifs pour l’investissement sur les marchés de la région. « Cela concerne toutefois les investisseurs prêts à se positionner sur le long terme et qui ne sont pas impressionnés par les fluctuations au jour le jour. » Et il faut surtout faire du cas par cas. Pour Albert Letayf, associé-gérant du courtier Optimum Invest, la Libye est devenue un pays à fort potentiel pour les investisseurs libanais. Les relations entre les deux gouvernements avaient été refroidies par la disparition de Moussa Sadr, mais si le régime tombe, il existe de nombreuses opportunités. L’Égypte et le Soudan ont également un fort potentiel agricole. Attention à la Syrie, dont le futur politique est encore très instable. En outre, les investisseurs syriens ont tendance à se positionner massivement dans les secteurs à la mode, remarque Albert Letayf, ce qui leur fait perdre leur potentiel de profitabilité, tels que la minoterie, aujourd’hui en surcapacité. S’ils sont nombreux à voir le potentiel à moyen terme, la plupart des professionnels ne sont pas prêts à prendre trop de risques. « Les investissements, la bourse, l’immobilier : tout est figé au Moyen-Orient. La Bourse saoudienne a connu une forte correction. Les indices et l’activité sont en baisse, même si les pays producteurs de pétrole continuent d’injecter des fonds dans leurs économies », met en garde Toufic Aouad. Michel Chikhani y voit lui une opportunité d’investir dans certains titres sous-évalués de la Bourse saoudienne. Les investisseurs doivent donc bien connaître leur profil de risque avant de s’engager. Paul Douaihy, directeur du Centre de recherches en économie et marchés financiers de l’université de Balamand, distingue les différents types de portefeuilles selon les profils des investisseurs. « Un profil frileux se dit que la situation est trop floue et récente pour être analysée correctement. Un profil à risque en revanche se dit qu’il doit profiter du changement et de l’instabilité, ce qui peut rapporter gros. »

Les obligations quasi souveraines limitent le risque

Le marché obligataire, souverain et corporate, est le plus approprié, car la plupart des pays du Golfe tentent de reconstituer les volants de fonds propres et de liquidités qui ont été complètement utilisés pendant la crise (comme Dubaï), et investissent dans les secteurs non liés à l’énergie pour diversifier leurs économies. « Il faut toutefois être prudent avec le marché obligataire dans la région. Les taux ne peuvent plus baisser », prévient Albert Letayf. Les pays du Golfe proposent des obligations souveraines, quasi souveraines et corporate. Pour son associé Antoine Salamé, spécialisé dans les marchés de la dette, les quasi-souveraines sont les plus intéressantes actuellement, car elles bénéficient de l’appui financier de régimes dont les coffres sont pleins. Les favoris sont Abou Dhabi, le Qatar et Koweït, qui sont stables politiquement et financièrement. Dubaï, Bahreïn et l’Arabie saoudite dans une moindre mesure sont moins bien positionnés. L'Egypte devrait attirer de nombreux investisseurs dans les mois à venir. Le G8 réuni fin mai a annoncé une enveloppe de près de 40 milliards de dollars d'aide au pays ainsi qu'à la Tunisie. Cet argent sera débloqué par les banques multilatérales de développement, les grands pays industrialisés et le Conseil de coopération du Golfe.
En Jordanie, Maroc et Tunisie, l’activité est presque gelée et les investisseurs attendent de voir comment la situation va évoluer. Des noms comme Tourist and Development Investment Company (TDIC), soutenu par Abou Dhabi, ou Sabic en Arabie saoudite se posent en valeurs sûres. Certaines obligations corporate, telles que Kipco au Koweït ou la National Bank of Abu Dhabi (NBAD) ont également le soutien financier de membres des autorités locales. « Les critères de choix sont le rapport risque/gain, le rendement et la notation. Les investisseurs peu friands du risque ne doivent pas s’intéresser aux obligations inférieures à A. » Youssef Kamel, cogérant du fonds Future Trends Capital Fund, mise sur les secteurs des infrastructures, télécoms et des routes, ainsi que les entreprises de consultants dans ces domaines. Jean Riachi, président de FFA Private Bank met en garde contre les entreprises locales de BTP, notamment en Égypte, et recommande les industries de construction qui exportent. Le private equity est aussi un bon moyen d’investir dans la région. « Jusqu’ici les entreprises se finançaient principalement par la dette, mais la pression sur les banques, notamment depuis les accords de Bâle III, ainsi que les incertitudes politiques et économiques, forcent les entreprises à relever le niveau de leurs fonds propres par un appel aux investisseurs extérieurs », explique Albert Letayf. Les opportunités peuvent se présenter soit en bourse, soit par des prises de participation directes. Les secteurs à surveiller sont ceux de la santé (comme le développement d’hôpitaux ou de cliniques) car les infrastructures sont sous-développées dans la région ; ainsi que le secteur agricole. FFA Private Bank propose par exemple un fonds spécialisé dans les produits financiers de la région, le “FFA Fixed Income MENA Fund”.