Où placer votre argent
La faiblesse du dollar est la nouvelle donne de 2011. Cette situation perturbe les investisseurs, habitués à considérer le billet vert comme monnaie de référence. « Depuis quelques mois, on se trompe beaucoup sur les marchés des changes, dont les fluctuations sont devenues imprévisibles », confirme Toufic Aouad, directeur de la banque privée Audi-Saradar. Les devises américaine et européenne, extrêmement sensibles, réagissent de façon épidermique à tout mouvement économique. « En début d’année, nous parlions de parité euro/dollar, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui », ajoute Toufic Aouad. Alors, quelle stratégie d’investissement adopter ? Pour Jean Riachi, président de FFA Private Bank, il faut d’abord déterminer sa devise de référence. « Toute diversification dans une autre monnaie comporte un risque. La diversification géographique permet une diversification implicite dans les autres devises, mais doit avant tout être la résultante des choix d’investissement. » En d’autres termes, les allocations en devises doivent suivre la même logique que le reste des placements. Les Libanais, traditionnellement amateurs de dollars, peuvent donc soit miser sur une reprise probable du dollar à moyen terme, soit en profiter pour se diversifier. « Pour un investisseur libanais qui place principalement en dollars et qui s’inquiète d’une éventuelle dévaluation, il peut être bon à terme de se diversifier, mais nous ne prônons pas la spéculation sur les devises », explique Toufic Aouad.
Le duel euro/dollar
Depuis quelques mois, l’euro confirme sa tendance haussière par rapport au dollar. Pour Antoine Salamé, associé-gérant du courtier Optimum Invest, cette situation s’explique par deux facteurs. La hausse des cours de l’euro a poussé les investisseurs frileux à acheter la devise européenne au détriment des marchés d’actions. L’expansion monétaire est enfin plus limitée qu’aux États-Unis : la hausse de l’euro est en réalité une baisse du dollar. Le président de la Banque centrale européenne Jean-Claude Trichet définit effectivement la tendance comme « un phénomène dollar plutôt qu'un phénomène euro ». Le relèvement des taux de la BCE n'a pas pour l'instant d'effet significatif de “second tour”, susceptible d'aggraver les pressions inflationnistes. Tous les yeux sont donc rivés sur le billet vert, devenu le baromètre du marché. Le taux directeur du dollar américain est compris depuis novembre 2008 entre 0 % et 0,25 %. La Fed n'envisage pas pour l'heure de le hausser avant la fin de l'année 2011. Le différentiel de taux pourrait alors faire grimper l'euro au-dessus du seuil des 1,60 dollar, atteint en juin 2008 au plus fort de la crise. Mais certains spécialistes doutent aujourd’hui d’une appréciation de l’euro de cette ampleur. « Nous pensons que cette tendance va s’inverser quand l’euro approchera du palier des 1,50 dollar, le panorama des hausses de taux pouvant être plus favorable au dollar dans les mois à venir », remarque Tarek al-Ahdab, de l’Arab Finance Corporation. Paul Douaihy, directeur du Centre de recherches en économie et marchés financiers de l’université de Balamand, partage le même sentiment. « Sur le papier, l’euro semble être au meilleur de sa forme. Pourtant, le risque d’éclatement de la zone euro n’est pas à écarter, ce qui va nuire à l’euro et profiter au dollar. » Youssef Kamel, co-gérant du fonds Future Trends Capital Fund, conseille donc de se positionner en dollar. « L’arrêt concomitant du programme américain de “quantitative easing” et une hausse possible des taux de la Fed devraient pousser les investisseurs vers le dollar. Il devrait repartir à la hausse à la suite d’une baisse généralisée des actifs entraînant des appels de marge massifs et deux nouvelles crises, souveraine européenne et immobilière. » Les investisseurs libanais peuvent donc être rassurés : le dollar a toujours le vent en poupe. « Les entreprises ici ne sont pas très familières avec les stratégies de “hedging”, qui consistent à souscrire des contrats ou options sur les marchés dérivés pour prévenir un risque de variation défavorable », note Albert Letayf, associé-gérant du courtier Optimum Invest. « Les détenteurs d’euros peuvent envisager les options “put”, qui permettent de “hedger” à la baisse. »
Pour les plus aventureux, d’autres monnaies présentent des opportunités intéressantes. Bank Audi-Saradar s’intéresse au franc suisse et à la couronne norvégienne, et les traditionnelles alternatives au billet vert que sont le dollar canadien, australien (avec des taux pouvant atteindre 4,75 %) et néo-zélandais sont toujours appréciées, car adossées aux matières premières. Youssef Kamel met néanmoins en garde contre le risque de contraction à moyen terme des cours de l’énergie, qui pourraient affecter négativement les monnaies. Dans les régions émergentes, les pays BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) sont toujours porteurs. La Chine est toutefois un cas à part cette année, les autorités ayant “dépeggé” le yuan du dollar (restauré une fluctuation quotidienne) en juin dernier. La monnaie a gagné environ 5 % par rapport au billet vert. Les tentatives de Washington pour que la Chine réévalue davantage sa monnaie sont à surveiller. La version 2011 des BRIC est le groupe des CIVETS (Colombie, Indonésie, Vietnam, Égypte, Turquie et Afrique du Sud). Ces marchés sont toutefois réservés aux investisseurs qui aiment le risque. « En 2001, les BRIC ont largement profité de l’afflux de dollars à taux très bas qui a boosté leurs économies. En 2011, les CIVETS font de même », note Antoine Salamé. L’Égypte est à considérer séparément, compte tenu des remous politiques qu’elle traverse actuellement. Antoine Salamé s’intéresse également à l’Argentine, qui propose des coupons (ou warrants) indexés au PIB et ajustés à l’inflation ; et au naira nigérian qui offre des taux au-delà de 10 % sur les dépôts. La monnaie peut bénéficier de la hausse probable des matières premières.
L’immobilier moins attractif
Le FMI l’annonce clairement : « Les marchés immobiliers sont moribonds dans plusieurs pays avancés. » Le risque posé par un stock virtuel de logements qui pourraient être saisis aux États-Unis reste considérable, ce qui fait fuir les investisseurs. Par ailleurs, de nouveaux risques apparaissent du fait de la forte expansion des marchés immobiliers dans les pays émergents. Un seul mot d’ordre : faire du cas par cas. « Des opportunités existent toujours dans certaines grandes villes américaines et à Berlin, notamment », remarque Jean Riachi.