Les cours des matières premières ont rapidement retrouvé des niveaux élevés, en raison de facteurs structurels, cycliques et particuliers, et des tensions qui restent élevées sur les marchés. Pour le FMI, le principal changement structurel est la croissance rapide dans les pays émergents et les pays en développement, qui accroît la consommation des matières premières et en modifie la structure. L’évolution macroéconomique prévisible reste favorable à l’essor des cours. Les projections de croissance du grand argentier donnent à penser que les pays émergents resteront les locomotives de l’expansion. « Les cours des matières premières ne sont pas prêts de redescendre, il faut que le monde s’y habitue. Il y aura quelques corrections, mais les prix ont franchi un nouveau palier », annonce Albert Letayf, associé-gérant du courtier Optimum Invest. Les matières premières sont donc incontournables dans un portefeuille. Alors quelle stratégie d’investissement adopter ? Celle du Crédit Agricole Suisse privilégie la prudence. « Notre stratégie d’investissement tactique s’efforce d’exploiter les corrections pour mieux bâtir notre exposition », explique Christina Azouri, Senior Investment Advisor de la banque privée. Les incertitudes au sujet de la croissance mondiale et des événements géopolitiques exposent les marchés à de fortes variations. Pour les experts du FMI, « les investisseurs rationnels bien informés devraient injecter des liquidités sur les marchés de dérivés et en diminuer ainsi la variabilité ». Leur présence devrait aussi faciliter la découverte des prix et maintenir un alignement plus étroit des cours sur les données fondamentales de l’offre et de la demande. En revanche, ils mettent en garde contre les choix guidés par l’émotion ou des règles d’investissement rigides. Certains professionnels néanmoins se positionnent à contre-courant et boudent les matières premières. « Je ne conseille pas de toucher aux matières premières en ce moment, elles sont trop chères », dit Youssef Kamel, cogérant du fonds Future Trends Capital Fund. À moyen terme, la progression des prix devrait ralentir, en partie parce que l’on prévoit une modération de la croissance économique de quelques grands pays émergents. Mais la pénurie de ressources est désormais une préoccupation généralisée et devrait devenir un des principaux facteurs de tension des marchés. « La solution pour juguler la hausse des prix serait de développer les énergies alternatives, mais surtout de réfléchir à des modèles de consommation différents », conclut Albert Letayf. Ce qui ne paraît pas être à l’ordre du jour prochainement.

Pétrole, gaz

Les experts du FMI sont formels : la combinaison des aléas de l’offre et de la vigueur persistante de l’activité économique mondiale, malgré un léger ralentissement, signifie que les cours pétroliers vont rester fermement orientés à la hausse. Le facteur cyclique principal a été la croissance plus forte que prévu de la demande de matières premières au deuxième semestre de 2010, qui a fait passer les cours du pétrole à environ 90 dollars le baril début janvier 2011, au-dessus des prévisions. Le principal facteur particulier est la sous-réaction de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) lorsque les prix ont passé la barre des 80 dollars, ce qui a accru l’inquiétude des marchés. Les troubles au Moyen-Orient et en Afrique du Nord depuis janvier 2011 constituent un autre facteur particulier. « Tous les grands pays exportateurs sont touchés directement ou indirectement par des soulèvements, ce qui engendre une profonde incertitude concernant l’offre. Il est difficile de spéculer sur cette situation, car elle est sans précédent », note Paul Douaihy, directeur du Centre de recherches en économie et marchés financiers de l’université de Balamand. À court terme, l’évolution du marché pétrolier dépend pour une large part de la stabilisation de la situation dans certains pays exportateurs du Moyen-Orient et de l’interaction de trois facteurs : la vigueur de l’expansion économique mondiale, la dynamique de la demande de pétrole et la réaction de l’offre. D’après les projections des “Perspectives de l’économie mondiale”, la croissance devrait se modérer au cours des 12 prochains mois, ce qui entraînerait un ralentissement de la hausse de la demande pétrolière. « Ce mouvement devrait être appuyé par l’inversion du sur-ajustement de la demande de pétrole qui accompagne habituellement les premières phases de la reprise de l’activité économique mondiale », selon les auteurs du rapport.
Le gaz n’a pas le même historique récent que le pétrole. C’est l’une des rares ressources énergétiques à avoir connu de fortes baisses récemment. Après un pic en 2008, le gaz naturel a perdu la moitié de sa valeur, du fait d’une demande en berne. L’extraction récente de gaz de schiste, notamment aux États-Unis, pourrait multiplier les réserves mondiales par cinq et accentuer la surcapacité du secteur. Les spécialistes tablent néanmoins sur une reprise des cours en 2011, le gaz étant indexé à 75 % sur le pétrole en Europe. 

Métaux précieux et industriels

Les cours des métaux se sont vivement redressés depuis le deuxième semestre de 2010, dans la logique de l’ensemble des matières premières. Pour de nombreux banquiers privés, ces marchés recèlent de bonnes opportunités. « Une exposition sur les métaux précieux et industriels offre une protection contre les risques d'inflation ainsi que la baisse du dollar et continue à être soutenue par une forte demande des pays émergents », explique Christina Azouri. L’or occupe comme toujours une place à part, bénéficiant des incertitudes des marchés.         « La perte de crédibilité des principales monnaies auprès des investisseurs remet l’or au goût du jour, même si ce dernier était toujours resté une valeur refuge face à la peur de l’inflation, aux rendements obligataires bas et à la peur engendrée par les marchés d’actions », rappelle Albert Letayf. Certains spécialistes doutent de l’intérêt d’acheter de l’or actuellement, alors que le métal jaune pourrait passer le palier des          1 600 dollars l’once. « Il y aura de meilleures opportunités d’achat. Quand le dollar remontera, l’or devrait connaître une forte correction à la baisse », note Youssef Kamel. L’argent, qui évolue en temps normal dans l’ombre de l’or, connaît une forte volatilité. « L’argent est un marché plus petit, plus spéculatif, et pas très liquide. On l’a vu avec sa chute soudaine début mai 2011. Il faut être expert pour s’intéresser à ce marché », rappelle Antoine Salamé, associé-gérant d’Optimum Invest. Un avis partagé par Youssef Kamel, qui explique que cette contraction est la conséquence cumulée du dégagement de gros fonds et de prises de profits. Les métaux industriels sont tirés à la hausse à moyen terme par les perspectives de reconstruction du Japon, qui était deuxième pays consommateur de nickel et de minerai de fer et troisième consommateur d’aluminium et d’étain avant le tsunami. À court terme, les prix sont à la baisse, ce qui crée des opportunités.

Matières agricoles

Les marchés agricoles sont sans l’ombre d’un doute le secteur à surveiller en 2011. Pour le FMI, la production mondiale de denrées alimentaires devrait se redresser rapidement après les chocs récents sur l’offre : l’augmentation de la superficie consacrée à la production à l’échelle mondiale et le retour à des conditions climatiques plus normales laissent prévoir des récoltes favorables en 2011. Il faudra du temps pour reconstituer les stocks, qui sont bas, et il est donc probable que les prix resteront plus volatils qu’habituellement.
Après une progression d’environ 41 % depuis mi-2010, l’indice des cours des produits alimentaires du FMI a continué sa remontée en 2011, avec une envolée spectaculaire de 82 % des cours des céréales. Des intempéries (sécheresse au Kazakhstan, en Russie et en Ukraine; été chaud et humide aux États-Unis et les vents “la Niña” sur les pourtours du Pacifique) ont affecté l’offre et contribué à une révision à la baisse de 2,7 % de la production mondiale de céréales pour 2010-11. Parallèlement, la Chine a augmenté ses importations notamment de maïs, alors qu’elle avait été autosuffisante pendant de longues années. Autre facteur évoqué par le FMI, la demande de matières premières pour la production de biocarburant a aussi rebondi plus rapidement que prévu, car le secteur américain de l’éthanol à base de maïs s’est remis des faillites en cascade de 2008-09. L’offre va décider de l’évolution des cours des produits alimentaires à court terme. La superficie cultivée réaugmente après deux décennies de stagnation, mais est ralentie par la relative rareté des terres productives bien irriguées dans des régions disposant d’infrastructures de distribution bien établies. « Les investissements porteurs sont les terrains agricoles, les ressources forestières et dans une moindre mesure les sociétés minières. Je recommande d’investir dans les fonds agricoles, les terrains agricoles et l’eau. Mais attention à ne pas spéculer et à demander conseil à des professionnels », prévient Albert Letayf.
Pour les investisseurs frileux ou qui ne s’y retrouvent pas dans les fluctuations constantes des marchés, la solution est toujours de faire son allocation par le biais de fonds de placements collectifs ou d’ETF. Certains fonds permettent d’investir dans les matières premières, métaux précieux, matières premières agricoles ou l’énergie. « On peut y consacrer 20 % de son portefeuille », pense Jean Riachi, président de FFA Private Bank qui déconseille fortement l’investissement direct, notamment dans les marchés de “futures”.