Un article du Dossier

Où placer votre argent

Comme en général en période de reprise, même fragile, les actions reviennent dans les bonnes grâces des professionnels et des investisseurs. Pour Jean Riachi, président de FFA Private Bank, ce sont les actifs à privilégier au cours de la prochaine décennie. Il explique cette position optimiste par trois raisons. La première est qu’entre 2000 et 2010, les marchés ont subi de lourdes pertes et une forte volatilité. Les investisseurs ont donc été échaudés et ont déserté les marchés d’actions. Ceci permet aujourd’hui au secteur d’afficher de bonnes perspectives de croissance, beaucoup de liquidités attendent d’être investies. La seconde est que cette tendance est appuyée par un niveau de valorisation des titres historiquement bas par rapport à leurs perspectives de profits. La troisième est que les entreprises cotées bénéficient en moyenne de bilans solides et de perspectives de profits en hausse pour les prochaines années. « À moyen terme la tendance est positive », confirme Tarek al-Ahdab, de l’Arab Finance Corporation. Si à court terme des risques de pressions inflationnistes et de perturbations géopolitiques perdurent, « les mouvements de correction représentent des opportunités d'achats », analyse Christina Azouri, Senior Investment Advisor au Crédit Agricole Suisse. Une façon de se protéger est d’investir dans des fonds collectifs de placement ETF (Exchange Traded Fund), qui reflètent les performances d’un indice ou d’un ensemble d’actions. Ils permettent d’éviter les risques trop spécifiques.
En entrant dans le détail, les marchés américains relancent leur activité, en demi-teinte depuis la crise. Les spécialistes du Crédit Agricole Suisse sont surpondérés sur l'Amérique du Nord et plus précisément sur les secteurs liés aux matières premières : énergie, charbon et or. L’investissement doit être sectoriel, « il faut privilégier les entreprises dont la part de la dette par rapport aux actifs est faible », note Paul Douaihy, directeur du Centre de recherches en économie et marchés financiers de l’université de Balamand. Selon lui, les secteurs porteurs sont les valeurs énergétiques, les entreprises pharmaceutiques et industrielles. Autre critère de choix, le dividende doit être élevé pour permettre de profiter du taux zéro de la Fed. Toufic Aouad, directeur de la banque privée Audi-Saradar, recommande les actions préférentielles bancaires, dont le rendement peut aller jusqu’à 8 % pour un investisseur un peu agressif. « Aux États-Unis, les investisseurs paraissent moins frileux, ce qui montre une nouvelle fois qu’ils ont la mémoire courte », remarque le spécialiste. Du côté du Vieux Continent, l’enthousiasme est moins visible et les perspectives plus ternes.
« En cas de restructuration de la dette grecque, le secteur bancaire allemand en souffrirait rapidement », explique Paul Douaihy. Les grands noms de l’exportation germanique sont néanmoins toujours prisés. Le Crédit Agricole Suisse, lui, favorise le marché anglais et son secteur de mines diversifiées. Les pays émergents proposent des bons plans à saisir. L’intérêt, selon Christina Azouri, est que les économies à forte croissance permettent non seulement une diversification du portefeuille, mais aussi des opportunités d’investissement dans des fondamentaux généralement solides et des valorisations attractives résistantes aux turbulences à court terme. Toutefois, la croissance est souvent accompagnée d’une fragilité de l’économie, qui conserve une part de risque non négligeable. La stratégie de Jean Riachi est alors d’investir dans les sociétés des pays développés qui profitent de la croissance des pays émergents, comme la grande consommation, le luxe ou les technologies. Les entreprises basées directement dans les régions émergentes présentent un risque de plus grande volatilité. 
 
Les obligations, tributaires des taux

S’ils font encore office d’investissements refuges pour les plus frileux, les marchés d’obligation n’ont plus le potentiel qu’ils avaient en 2009 et 2010. Mais les Libanais s’y intéressent encore, car pour Jean Riachi ils sont traditionnellement attachés à la notion d’intérêts (proche du système des dépôts à terme de la banque de détail). L’investissement dans les obligations est largement tributaire de la question de la hausse des taux, prévue par la plupart des spécialistes. Les politiques monétaires aussi bien en Europe qu’aux États-Unis sont donc suivies de très près. « Certains ont acheté de la dette grecque entre 15 et 20 % (quand l’Allemagne tourne autour de 3 %), mais cela s’apparente à de la spéculation, ce qui ne doit pas concerner la majorité des investisseurs. Les Libanais sont en général peu intéressés par ce type de placements », explique Toufic Aouad. Aux États-Unis, la spéculation sur la politique monétaire après l’arrêt du programme de “quantitative easing” fin juin inquiète davantage. La dette gouvernementale américaine semble de moins en moins attrayante dans l’hypothèse d’une hausse des taux. Le Crédit Agricole Suisse a établi deux stratégies en fonction du profil de risque des individus. Pour les investisseurs conservateurs, un positionnement sur des obligations à taux variables leur permettra d’accompagner la montée des taux, alors que les plus agressifs pourraient se positionner de manière très sélective sur des obligations à hauts rendements qui offrent une prime de crédit suffisante pour compenser une hausse des taux. Antoine Salamé, associé-gérant du courtier Optimum Invest, préconise de ne pas s’engager à trop long terme et de privilégier les intérêts variables, car si le taux Libor venait à augmenter (il se situe à 0,26 % à trois mois fin mai), les rendements s’ajusteraient à la hausse. Il faut également éviter les obligations dont la cote est inférieure au niveau “Investment Grade” pour ne pas augmenter les risques de crédit en plus des risques de taux en cas de hausse prononcée des taux. Causes directes ou indirectes de la hausse possible des taux, le marché obligataire souverain n’est donc pas à l’abri des deux maux du moment, l’augmentation de la dette souveraine chez les principaux pays industrialisés et une possible reprise de l’inflation. « Les gains pourraient être sérieusement affectés », prévient Tarek al-Ahdab. Il n’exclut toutefois pas les bonnes affaires dans les obligations indexées sur l’inflation. Du côté des pays émergents, il faut distinguer les États très endettés des autres. Antoine Salamé met en garde contre les pays émergents endettés, car la hausse des taux américains va les affecter négativement. Il est souvent sage d’investir à travers des fonds ou de mêler émetteurs internationaux et régionaux. Les spécialistes du Crédit Agricole Suisse délaissent complètement les pays émergents, la prime offerte ne justifiant pas pour eux le risque inhérent de l’investissement. Pour ceux qui s’y intéressent, les produits structurés reviennent timidement, certains reverse convertibles affichant 8 ou 9 % de rendement.


Obligations corporate

La dette des entreprises doit être considérée avec précaution. « Nous favorisons de manière très sélective la dette corporate sous-évaluée des sociétés les plus solides », explique Christina Azouri. La Russie reste l’axe d’investissement privilégié de la banque privée suisse, qui surveille également le Brésil et l’Asie (Indonésie, Chine, Inde), et les obligations en devises locales (SGD, RUB, CNY, MXN). « Ces dernières permettent de bénéficier des pressions inflationnistes qui entraînent à la hausse la devise et les taux à court terme ». Toufic Aouad est lui freiné par la hausse des prix. Pour le banquier, il va y avoir des rééquilibrages risqués. Mais les inconditionnels des titres corporate trouveront toujours leur bonheur. « Les banques américaines et européennes, même si elles ont souffert de la crise, ont un faible risque de défaut, car les gouvernements ont montré qu’ils étaient prêts à donner une garantie implicite aux obligations de premier rang émises par ces banques », analyse Jean Riachi. Il ne faut pas, selon lui, s’attendre à une plus-value importante, mais plutôt à un revenu régulier. Les notations A ou AA peuvent afficher des rendements allant jusqu’à 5 %. Pour les notations inférieures, se concentrer sur les banques internationales bien capitalisées et classées “investment grade” (au-dessus de BBB) ou investir sous forme d’actions privilégiées ou d’obligations perpétuelles émises par des établissements solides. « Même si la garantie des États ne joue pas pour cette catégorie de titres “subordonnés”, les risques de non remboursement sont moindres aujourd’hui, surtout depuis la mise en œuvre des critères de Bâle III », précise Jean Riachi.
La prise de participation dans les sociétés non cotées est également appréciée par les investisseurs. L’activité de private equity est soutenue par des liquidités abondantes. Les spécialistes conseillent d’investir au cas par cas, notamment sur les marchés émergents. « Dans un contexte de prix élevés, nous restons très sélectifs et privilégions les gérants spécialisés, en particulier en Europe où le réservoir de sociétés à transformer demeure important», conseille Christina Azouri du Crédit Agricole Suisse. Elle signale en outre les opportunités de rachat à décote de dettes performantes cédées par des institutions financières cherchant à être conformes aux nouvelles règlementations liées aux capitaux propres.

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