Une année agitée pour les banques libanaises
En forte hausse ces dernières années, le crédit à la consommation représente désormais une composante importante du financement des ménages libanais au point de devenir incontournable pour maintenir un certain niveau de vie. À défaut d’une gestion stricte des risques inhérents à ce type de crédits au Liban, ce phénomène accroît la tendance au surendettement des ménages qui représente un danger potentiel pour les banques et les consommateurs.
Le crédit à la consommation est un crédit à court terme, octroyé par les établissements financiers, en vue de répondre à une dépense non professionnelle autre que l’acquisition d’un bien immobilier (automobile, électroménager, meuble, etc.).
Il permet à l’emprunteur d’acheter des biens de consommation ne pouvant pas être payés en une seule fois. D’un point de vue macroéconomique, ce type de crédit encourage la consommation tout en soutenant la croissance économique nationale et donc, en théorie, l’emploi.
Aujourd’hui, le marché libanais propose des offres de crédits de niche variés et originaux ciblant des besoins ponctuels comme des voyages, un mariage, une chirurgie esthétique. Cependant, en favorisant le développement de ce type de crédits, qui sont devenus, après le financement de l’État et celui des entreprises, un mode privilégié d’emploi de leurs ressources abondantes, les banques risquent dans certains cas de transformer le crédit à la consommation en un piège inexorable.
Les clients comme les banques encourent des risques. Ce n’est pas un problème en soi, car le risque est inhérent à toute activité de crédit. Dans le cas du Liban toutefois, la question qui se pose est celle de l’absence de certains garde-fous qui, ailleurs, ont été mis en place pour éviter les dérapages menant au surendettement des ménages aux conséquences négatives économiques et sociales, parfois dramatiques pour les consommateurs.
Le client en situation d’impayé ou en défaut de paiement se retrouve avec sa famille dans une situation précaire aux conséquences sociales plus ou moins dramatiques : poursuite judiciaire, saisie des biens, difficulté voire impossibilité de contracter un nouveau prêt même en cas de remboursement des impayés, absence de confiance dans la relation client-banquier… De son côté, la banque peut perdre le montant provisionné pour le prêt octroyé. La perte n’est pas grave en soi pour un établissement, mais elle le devient si les impayés se multiplient.
À défaut de statistiques précises ou de travail sur la question de la part d’associations de défense des consommateurs, il est impossible de mesurer l’étendue des dégâts éventuels au Liban. En revanche, un constat s’impose : en l’absence de loi encadrant rigoureusement le marché du crédit à la consommation, un certain nombre de risques sont insuffisamment contrôlés.
Les risques sont plus ou moins importants selon le type de crédit souscrit. Ils sont relativement faibles quand le crédit est adossé à l’achat d’un bien particulier (électroménager, auto…) avec la mise à disposition d’un gage en cas de défaut de paiement. Ils sont plus importants avec le crédit revolving ou renouvelable. En effet, au-delà de la grande souplesse qu’il offre à l’emprunteur en mettant à sa disposition une réserve d’argent qui se reconstitue au fil des remboursements, avec des démarches administratives simplifiées, plusieurs éléments contribuent à rendre ce crédit particulièrement dangereux pour le consommateur. Ces éléments concernent le cœur de l’offre, à savoir le taux, la communication et la transparence sur ce produit complexe et souvent mal maîtrisé, et, enfin, l’appréciation de la solvabilité des emprunteurs.
Instaurer un taux d’usure et un taux effectif global (TEG)
La Banque centrale indique aux banques un taux d’intérêt directeur pour les crédits à la consommation (actuellement 7,03 % pour les crédits en dollars et 7,33 % pour les crédits en livres libanaises) sans pour autant contrôler les taux réellement appliqués qui sont régulés par la concurrence. En pratique, les taux d’intérêt sont souvent chers, oscillant autour de 18-20 % pour des crédits renouvelables, versus 12-14 % en moyenne pour des crédits affectés. Ces taux sont le plus souvent variables, c’est-à-dire qu’ils évoluent dans le temps selon une logique relativement opaque pour le consommateur. De plus, certaines banques appliquent ces taux sur le montant global de l’emprunt et d’autres sur le montant restant dû.
Un moyen d’encadrer les banques en la matière serait d’introduire la notion de taux d’usure, à savoir le taux maximal que les banques ne doivent pas dépasser, et d’adosser cette obligation à celle du TEG (taux effectif global) qui intègre la totalité des commissions et autres frais perçus par la banque. À condition de prévoir des dispositifs de contrôle de son application, l’obligation de calcul du TEG permet d’éviter qu’un crédit annoncé à 4 % ne coûte en réalité 8 %.
Ce taux d’usure devrait être différencié selon les types de crédits proposés (affecté, renouvelable, découvert…) avec une dégressivité proportionnelle au montant en jeu.
Encadrer l’information du client et la publicité
Les modalités de souscription des crédits renouvelables sont souvent floues pour le consommateur qui ne maîtrise évidemment pas les fondamentaux financiers en jeu, et ce dans un contexte de vente et de publicité poussant à l’achat.
Il est impossible de déterminer le coût global d’un tel type de crédit, puisque sa formule de calcul extrêmement complexe dépend notamment de l’utilisation effective de la réserve d’argent, de la durée de remboursement et des taux réellement pratiqués.
Par ailleurs, ces crédits renouvelables se retrouvent souvent adossés à une carte dont les fonctions varient (carte de fidélité, de retrait, de paiement, etc.) sans que la fonction crédit soit véritablement explicite.
Enfin, les pratiques des banques ne sont pas homogènes si bien qu’il est impossible de faire une comparaison précise des conditions proposées.
Malgré la décision 10439 de la BDL, dont les principales dispositions englobent les conditions de la publicité du contrat de crédit et les bilans et rapports remis par l’institution financière à l’emprunteur, le manque de transparence caractérise encore le marché libanais ; certaines informations ne sont pas ouvertement affichées ou sont même volontairement dissimulées : taux d’intérêt, frais de gestion et autres charges ne sont ainsi pas mentionnés (ex. sur les brochures ou autres publicités). Cette absence de communication indispensable à la bonne compréhension du prêt et son bon usage pourrait mener à un manque de responsabilité de la part du client, ce qui accroît le risque.
Bien que chaque marché ait ses propres caractéristiques, il serait intéressant pour le Liban de s’inspirer de la réforme française du crédit à la consommation du 1er juillet 2010, qui est survenue en réponse aux abus et aux dérives commis par les banques et les établissements de crédit. Cette nouvelle loi, qui a vu le jour grâce à une volonté politique de lutter contre le surendettement des ménages, vise à renforcer l’information de l’emprunteur à travers plusieurs dispositions dont l’encadrement de la publicité. Elle prévoit notamment :
• L’obligation de faire figurer le taux annuel effectif global du crédit de manière lisible sur toute annonce publicitaire et d’y intégrer une mention pédagogique rappelant à l’emprunteur de vérifier ses capacités de remboursement : « Un crédit vous engage et doit être remboursé. Vérifiez vos capacités de remboursement avant de vous engager. »
• L’interdiction de toute mention qui suggère qu’un prêt pourrait améliorer la situation financière de l’emprunteur afin d’éviter une communication agressive et/ou ambiguë.
• L’obligation pour le prêteur d’expliquer toutes les caractéristiques du crédit et les conséquences de sa souscription telles que les modalités de remboursement y compris la démarche à suivre en cas de défaut de paiement.
• La proposition d’un délai de rétraction de 14 jours sans justification, ni frais.
• L’interdiction de lier un avantage carte à l’utilisation à crédit de la carte.
• L’apport de la preuve de la formation des vendeurs.
Mieux contrôler la solvabilité du client
Les banques commerciales doivent connaître les niveaux de revenus et de solvabilité de leurs clients. Elles consultent ainsi la Centrale des risques (CDR), une entité dépendant de la BDL qui archive tous les crédits de plus de 4 000 dollars octroyés par les institutions financières, afin de connaître le niveau d’endettement des candidats à un crédit. Cependant, un client peut se retrouver surendetté (taux d’endettement supérieur au tiers de son salaire) sans que les banques ne s’en aperçoivent, en ayant souscrit à plusieurs prêts de moins de 4 000 dollars. Nous estimons aujourd’hui que le nombre de crédits de moins de 4 000 dollars représente près de 10 % du nombre total de crédits aux particuliers.
Par ailleurs, de nombreux magasins d’électroménager ou de mobilier proposent à leurs clients des facilités de paiement sur lesquelles ni les banques ni la BDL n’ont des moyens de contrôle. De tels crédits peuvent tromper les banques lors de la consultation du taux d’endettement des clients. Il va de soi que la multiplication des prêts élève le risque d’impayés.
Pour assurer un contrôle plus rigoureux de la solvabilité des clients, le régulateur pourrait rendre obligatoire la consultation de la Centrale des risques et supprimer le seuil de 4 000 dollars.
Enfin, il faudrait également réguler les crédits à la consommation octroyés par les établissements non financiers, en leur imposant des règles similaires aux banques ou établissements financiers.
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