Après trois années record où les banques libanaises ont paradoxalement profité des flux de capitaux qui ont découlé de la crise financière internationale, 2011 est une année agitée pour le secteur. Mais les efforts de gestion entamés dès 2009 leur permettent dans une certaine mesure de maintenir leurs marges.

Les banques libanaises ont vécu un premier semestre 2011 compliqué, marqué par divers événements qui ont joué en leur défaveur : le ralentissement de la croissance économique – les prévisions de croissance du FMI sont tombées à 2,5 % pour 2011, contre 7,5 % en 2010 ; l’impasse politique locale et les tensions afférentes qui ont empêché le « secteur bancaire libanais de tirer profit de l’instabilité régionale comme au cours de la crise financière mondiale », note FFA Private Bank dans son rapport sur le secteur ; l’affaire de la Lebanese Canadian Bank en février, accusée de blanchiment d’argent par le Trésor américain et rachetée par la suite par la SGBL ; l’abaissement par Moody’s et S&P de la perspective de la note de la dette libanaise et de celles des quatre banques cotées en Bourse ; les troubles liés au printemps arabe qui ont freiné les flux de capitaux vers le Liban et ont conduit les principaux groupes bancaires libanais à gérer leurs opérations régionales avec prudence…
Malgré tout cela, le premier semestre 2011 s’est soldé par une progression de 5 % sur six mois du bilan non consolidé (c’est-à-dire sans prendre en compte les filiales étrangères) des banques commerciales libanaises à 135,4 milliards de dollars. C’est plus de trois fois le PIB du Liban. Comme par le passé, ce sont les dépôts du secteur privé qui ont tiré le bilan vers le haut : ils représentent à fin juin 82 % des actifs, soit 111,5 milliards de dollars, en progression de 4 % par rapport à décembre 2010. Ce rythme de croissance a à peine varié par rapport à celui du premier semestre 2010 (4,5 %). La baisse des dépôts enregistrée en début d’année, avec les niveaux des mois de janvier et février inférieurs à celui de décembre 2010, a été compensée par un effet de rattrapage à partir de mars. « Sur l’année 2011, nous prévoyons une croissance des dépôts de 7 % », affirme François Bassil, PDG de la Byblos Bank.
Une partie de l’augmentation s’explique par la croissance endogène des dépôts, induite par les intérêts ; l’autre est due à des flux exogènes, même s’ils sont en baisse. « Les mouvements de capitaux à l’entrée ont diminué de 14,8 % sur les sept premiers mois de l’année, à 6,6 milliards de dollars contre 7,8 en 2010 », explique Freddie Baz, directeur de la stratégie du groupe Audi-Saradar. Ils restent cependant massifs. À la question de savoir si le Liban a profité d’une fuite de capitaux syriens, les banquiers interrogés sont prudents : ils estiment qu’il est fort probable que les grands commerçants syriens qui traitaient déjà avec les banques libanaises installées en Syrie aient transféré leurs dépôts afin de pouvoir assurer leurs liquidités ; mais ils affirment ne pas avoir été témoins de transferts supplémentaires.

La dollarisation des dépôts repart à la hausse
 
Signe d’une certaine baisse de confiance, le taux de dollarisation des dépôts, après avoir atteint un plus bas historique à 62,5 % en juin 2010, est reparti à la hausse : il est de 66,8 % en juin 2011 et s’est stabilisé à 66,7 % en juillet 2011. « Sur les 4,9 milliards de dollars de dépôts supplémentaires enregistrés à fin juillet 2011, les banques ont reçu 7,1 milliards de dépôts en dollars et ont perdu 2,1 milliards de dollars en livres libanaises, poursuit Baz. La livre étant une monnaie d’épargne et le dollar une monnaie de crédit, les banques ont ainsi gagné en flexibilité financière. »
Contrairement au premier semestre 2010, ce sont les dépôts des non-résidents qui tirent la croissance vers le haut, avec une augmentation de 7,7 % à fin juin 2011 ; même si cette distinction est légèrement faussée par le fait que beaucoup de non-résidents ne se déclarent pas et sont donc comptabilisés en tant que résidents. Ce sont également eux qui tirent la dollarisation des dépôts vers le haut : leurs dépôts en livres ont baissé de 20 % au premier trimestre de l’année.

La croissance des crédits au secteur privé ralentit

L’activité de crédit au secteur privé a accusé le coup : elle ne progresse que de 6,7 % sur les six premiers mois de l’année, à 37,3 milliards de dollars. Ce sont les crédits au secteur privé résident qui constituent le gros, avec 32,3 milliards de dollars et une progression de 6,7 %. Au premier semestre 2010, les crédits avaient augmenté de 11,8 % à 31,7 milliards de dollars. « Le marché libanais est relativement petit, explique Walid Raphaël, directeur général de la Banque libano-française. La forte croissance de ces trois dernières années connaît un ralentissement, il y a moins d’opportunités de placements. » Les crédits au secteur privé non résident augmentent quant à eux de 6,4 % à 4,9 milliards de dollars.
« On note une augmentation sensible des crédits en livres libanaises, poursuit Walid Raphaël, notamment des crédits à l’habitat. » Ils ont augmenté de 12,2 % entre décembre 2010 et juin 2011, et représentent aujourd’hui 23,8 % du total des crédits accordés, soit 7,7 milliards de dollars ; ils ont quasiment doublé entre septembre 2009 (1,8 milliard de dollars) et mars 2011 (3,9 milliards de dollars). C’est le résultat des mesures mises en place dès 2009 par la Banque centrale pour encourager le crédit en livres afin de  gérer l’afflux de liquidités en monnaie nationale qui a caractérisé les années 2009 et 2010.
Le ratio crédits sur dépôts est ainsi passé de 32,6 % en décembre 2010 à 33,4 % en juin, ce qui « témoigne d’un niveau de liquidité confortable et supérieur aux moyennes internationales », affirme FFA Private Bank. Et malgré le ralentissement de la croissance, les acteurs du secteur assurent ne pas avoir vu d’augmentation d’impayés pour le moment. Mais Maurice Sehnaoui, PDG de la Banque libanaise pour le commerce (BLC), affirme : « Le ralentissement de la croissance risque de générer des prêts moins performants dans le futur. » Le ratio prêts non performants sur le total des prêts était de 2,1 % fin 2010, en baisse par rapport à 2008 (3,1 %), et le taux de couverture de ces prêts par les provisions était de 63,4 %.

Une exposition au risque souverain en légère baisse

Les crédits au secteur public sont quant à eux en baisse au premier semestre 2011 : ils s’élèvent à 27,7 milliards de dollars à fin juin, soit 5,7 % de moins qu’en décembre 2010. Les banques libanaises ont en effet diminué leur portefeuille de bons du Trésor de 10,9 % (celui d’eurobonds a augmenté de 2,1 %) « Les banques se sont retrouvées avec moins de livres à placer cette année », avance Freddie Baz. « Le mismatch entre la maturité des bons du Trésor et celle des dépôts est devenu trop important, ajoute Walid Raphaël. Aujourd’hui les banques rémunèrent les dépôts en livres des gros déposants à 7 % par an pour des dépôts à un mois. Pour obtenir des rendements similaires en bons du Trésor, elles doivent souscrire à des bons à sept ans. » Or, la plupart des dépôts ont des maturités inférieures à un an. Les banques ont préféré donc miser sur des papiers à plus court terme afin de gérer leur liquidité.
C’est la Banque centrale qui a une nouvelle fois pris la relève du financement de la dette publique en souscrivant aux bons du Trésor. Son portefeuille est passé de 8,6 milliards de dollars à 10,5 milliards de dollars, soit une augmentation de 22,3 %.
En parallèle, les réserves des banques commerciales auprès de la Banque centrale, qui entrent dans le calcul du risque souverain, ont enregistré une hausse de 7,2 %, similaire à celle de l’année dernière sur la même période, à 43,5 milliards de dollars fin juin.
L’exposition totale au secteur public a donc légèrement diminué, à 52,5 %. Ce pourcentage était de 54,2 % en décembre 2010.

Un meilleur rendement

L’afflux de liquidités en dollars a un coût pour les banques libanaises, limitées dans leur possibilité d’investissement. Le Libor à trois mois, taux de référence sur les marchés internationaux, stagne à moins de 0,30 % depuis la crise financière de 2008. Il est à 0,25 en juin 2011. Et les banques n’ont pas le droit d’investir dans des produits structurés, plus rémunérateurs.
Leurs ressources en dollars sont donc moins bien rémunérées. « Mais les banques ont eu le temps d’intégrer cette contrainte », explique François-Pascal de Maricourt, PDG de la HSBC au Liban. Selon FFA Private Bank, les marges d’intérêt, à savoir l’écart entre le taux auquel la banque prête et le taux auquel elle se refinance, sont passées de 1,11 % en 2009 à 1,57 % en mai 2011 sur la livre libanaise, et de 1,48 % à 1,62 % sur le dollar. Par ailleurs, les banques ont continué à maintenir leurs revenus issus des commissions. Selon le rapport du groupe Alpha, ces derniers s’élèvent à 35,4 % au premier semestre 2011 pour les banques dont les dépôts s’élèvent à plus de deux milliards de dollars. Au final, le ratio coûts sur revenus du secteur est passé de 51,6 % en 2009 à 47,2 % en 2010, selon FFA Private Bank, et devrait continuer sur cette tendance baissière. 
Ces efforts de gestion devraient permettre aux banques de maintenir ou de limiter la baisse de leurs ratios de rentabilité des actifs et des capitaux propres en 2011. Le bénéfice cumulé des banques Alpha a totalisé 781,3 millions de dollars au premier semestre 2011, en hausse annuelle de 7 %. « Nous ne verrons pas cette année les taux de croissance à deux chiffres enregistrés les années précédentes », affirme Nadim Kabbara, directeur de la recherche à FFA Private Bank. Maurice Sehnaoui nuance : « Nous risquons de voir les effets du ralentissement de la croissance au Liban sur les derniers mois de l’année. Si les clients corporate et retail subissent la crise, le secteur bancaire subira quelques dégâts. Mais il ne s’agit pas d’une récession, uniquement d’une croissance moins importante, donc les effets resteront limités. » La BBAC prévoit que les ratios de retour sur actifs et de retour sur fonds propres du secteur diminueront en 2011, car fin juillet ces valeurs étaient respectivement de 1,15 % et 15,46 %, contre 1,39 % et 19,69 % en juillet 2010.
« Le bénéfice net du secteur avant impôt est passé de 969 à 886 millions de dollars entre juillet 2010 et juillet 2011, explique Ghassan Assaf, PDG de la BBAC, mais les filiales des banques à l’étranger pourraient influer positivement sur ces chiffres. »

Les faits marquants de 2011
• 12 janvier : chute du gouvernement libanais.
• 18 janvier : S&P abaisse la perspective du Liban et de la Bank Audi, de la BLOM Bank et de la BankMed, de “positive” à “stable”. L’agence maintient cependant la note B/B de la dette souveraine du pays.
• 10 février : la Lebanese Canadian Bank est accusée de blanchiment d’argent par le Trésor américain.
• 3 mars : la Banque centrale organise le rachat de la Lebanese Canadian Bank par la SGBL.
• 13 juin : formation du nouveau gouvernement libanais.
• 14 juillet : Riad Salamé est réélu à la tête de la Banque centrale pour un quatrième mandat de six ans.
• 21 juillet : Moody’s abaisse la perspective de la solidité financière et des dépôts en monnaie locale de quatre banques (Bank Audi, BLOM Bank, Bank of Beirut, Byblos Bank) de “stable” à “négative”.
• 27 juillet : Moody’s abaisse la notation de la dette locale à long terme de la banque BEMO de Aa2.lb à Aa3.lb.
• 7 septembre : la SGBL obtient l’accord final de la Banque centrale pour l’acquisition des actifs de la Lebanese Canadian Bank.