Depuis un an, la création de bars à vin se multiplie à Beyrouth. La plupart ne se contentent plus de célébrer l’alliance entre grands crus et gastronomie. Ils jouent désormais sur des concepts novateurs.
 

G.D.

Pas encore aussi répandus qu’à Greenwich Village à New York où dans certains arrondissements parisiens, les bars à vin sont pourtant en plein essor à Beyrouth. En moins d’un an, plusieurs de ces bistroquets ont ouvert proposant tous une carte ouverte sur les vins du monde, mais également sur de petites propriétés libanaises encore mal connues. « Le vin est une culture », note Carlos Khachan, qui tient La Maison du sommelier à Furn el-Chebbak et dispense chaque semaine des cours de dégustation. 

Karen Matta et Waël Bou Jaoudé partagent cette conviction. Fort de plusieurs années dans l’hôtellerie de luxe à l’étranger, ce jeune couple a ouvert il y a un an le Cru à Hamra. Leur carte, qui dispose de 55 références du monde entier, avec des vins au verre à partir de 7 000 livres libanaises, fait aussi la part belle aux étiquettes libanaises, et particulièrement à celles de la région de Bhamdoun, dont ils sont tous deux originaires. Le Cru reste cependant assez classique dans son approche, pariant sur l’alliance entre précieux flacons et solides assiettes. Pour accueillir « près de 45 personnes par jour », ils ont ainsi engagé un chef, ce qui est rarement le cas des autres bars à vin. « Nos clients associent tout de même le vin à l’idée de repas », tranche Karen Matta. Dans un registre haut de gamme, le Burgundy, présente une carte de 400 références, très pointues, la plupart de Bourgogne.

Mais d’autres recherchent des concepts plus pointus. C’est le cas de Dar el-Moussawwir (la Maison de la photographie), un estaminet installé dans le patio d’une vieille maison de Clemenceau. Sa carte offre une jolie sélection de “petits vins” libanais à déguster sous la frondaison des arbres du jardin. « Beaucoup de clients n’ont encore qu’une connaissance limitée du vin », déplore Dima Abulhusr, l’une des trois propriétaires du lieu. Cette architecte de formation note toutefois une exigence croissante de la part de nombreux habitués. « Les jeunes commencent à boire autre chose que du rosé, ils élargissent leurs goûts », se félicite-t-elle.

Car l’émergence de cette tendance reflète un changement des sociabilités libanaises. « Les Libanais n’étaient pas des amateurs de vin, plutôt des adeptes d’arak ou de whisky. Aujourd’hui, le vin touche les jeunes, qui cherchent à se différencier des habitudes de leurs aînés, tandis que les “plus vieux” y recherchent un certain art de vivre », reprend Carlos Khachan.
Yvan Jobard, œnologue des Coteaux de Botrys (Batroun), en est d’ailleurs persuadé : il vient d’ouvrir V comme Vin à Mar Mikhaël, en association avec Ziad Haddad, propriétaire du Porter House. Dans ce nouvel établissement, les deux compères proposent plus de 85 vins à la carte « à partir de 25 dollars la bouteille ».

« L’idée est de faire la sélection nous-mêmes, sans fournisseur attitré : des vins libanais, français, espagnols, américains, sud-africains. » En complément, V comme Vin propose des assiettes de charcuterie et de fromages dans la grande tradition des bars à vin français.

Une autre raison explique aussi cette vague : la vitalité de la filière vinicole libanaise. Avec désormais une quarantaine de propriétés, les restaurateurs peuvent promouvoir d’autres noms que les éternels Ksara ou Kefraya. Et il n’est pas rare de ne pas trouver ces deux géants vinicoles libanais, les bars à vin tenant à se distinguer par la découverte de vins de garage. « Nous fonctionnons par coup de cœur », explique Yvan Jobard.

Le succès semble au rendez-vous : de grands hôtels également s’y mettent. L’hôtel Le Gray possède ainsi une cave de 7 000 références et propose plus de 235 vins dans son lounge dont certains sont à prix très abordables comme un rouge du Domaine Wardy à 10 000 livres libanaises le verre. Paul Attalah, responsable de l’approvisionnement des différents restaurants du Gray, insiste sur le caractère international de sa clientèle, à la recherche de vins haut de gamme. « Mais nous en profitons pour leur faire découvrir des crus locaux…»