Un article du Dossier
Le design libanais se forge une identité
L’importance du rôle des galeries dans la promotion du design et l’éducation du public ne sont plus à démontrer. Au Liban, quelques galeries d’art moderne ont parfois présenté des expositions de design – on pense notamment à l’Espace SD qui a fermé ses portes en 2007 –, mais les espaces entièrement voués au design sont récents. Ces nouvelles galeries côtoient les galeries-boutiques des créateurs qui ont les moyens d’ouvrir leurs propres showrooms : Nada Debs, Wyssem Nochi, Karen Chekerdjian, Nayef Francis ou encore Maria Halios. Leur vocation est de promouvoir les designers libanais au Liban et dans les foires internationales, étapes obligées pour leur reconnaissance. Mais l’investissement est important et la rentabilité pas toujours garantie. Portraits de trois galeries qui ont fait le choix de présenter le travail des designers libanais tout en proposant à leurs clients des pièces venues de l’étranger : Carwan, SMO Gallery et Over the Counter.
Carwan : du design en édition limitée
«La tendance mondiale est à la recherche d’objets, de pièces particulières, qui ont davantage de signification que des pièces produites en masse », explique Pascale Wakim, architecte et cofondatrice de la galerie pop-up (itinérante) Carwan. Ce marché du design en édition limitée ou encore du design-art existe à très petite échelle au Liban et dans la région.
C’est ce créneau que Carwan, dont le nom est une référence à la culture mobile des caravansérails, veut promouvoir, car « l’édition limitée est ce qui convient le mieux à la région, étant donné le sous-développement du tissu industriel et la survivance en revanche d’une grande qualité artisanale ».
Créée en janvier 2011 en partenariat avec Nicolas Bellavance, architecte et designer canadien, Carwan cherche à « développer des pièces qui ont le potentiel de devenir des objets de collection et qui ont une connexion avec le Moyen-Orient ».
Elle a déjà organisé deux expositions. La première en 2011, “Milan Does Beirut” a sélectionné plusieurs designers d’avant-garde utilisant des techniques artisanales. La deuxième, en 2012, était plus ambitieuse : « Nous avons demandé à des designers de créer une pièce en collaboration avec des artisans libanais, sur le thème “Perspective contemporaine sur l’artisanat du Moyen-Orient”. » Nada Debs, Karen Chekerdjian, Marc Baroud, mais aussi Philippe Malouin (Canada), Lindsay Adelman (États-Unis)… ont été commissionnés pour cette exposition. Carwan a, selon les accords conclus avec les designers, payé parfois les prototypes. En 2013, Carwan prépare, entre autres, une exposition en collaboration avec la designer française India Mahdavi, qui sera présentée à la foire de design de Bâle (en juin).
Entièrement autofinancée, Carwan cible les nouveaux collectionneurs qui « ont suffisamment de sensibilité pour investir dans un objet qui aura peut-être une valeur commerciale un jour ». Elle mise sur les déplacements pour élargir son public : Beirut Art Center et Beirut Art Fair au Liban, foire de Milan, foire de Miami, le Qatar Art Center… « En moyenne, une exposition dans une foire à but commercial coûte 35 000 dollars. Chaque vente donne lieu à une nouvelle production, numérotée. »
Carwan a été choisie par le magazine français Architectural Digest du mois de décembre comme l’une des huit “personnalités” à suivre en 2013.
SMO Gallery : « Le design est le parent pauvre de l’art »
«Une galerie au Liban, c’est pas évident », constat amer mais sincère de Gregory Gatserelia, fondateur de la SMO Gallery. « À Paris, les mêmes meubles partiraient en un quart d’heure. Ici, il faut aussi faire un travail d’initiation, d’éducation », continue-t-il. Il faut dire qu’il n’a pas choisi la facilité. Depuis un an, il s’est installé au cœur du quartier de la Quarantaine à Beyrouth : « Ceux qui viennent en ont vraiment envie. » Dans la situation actuelle de crise économique mondiale et de violences régionales, son activité tourne un peu au ralenti. Ses clients sont surtout des touristes ou des expatriés, cette année ils étaient peu nombreux. Malgré tout, le chiffre d’affaires de la galerie se maintient, affirme-t-il. Mais cet architecte d’intérieur et designer qui a beaucoup investi depuis deux ans espérait beaucoup plus. Pourtant, pas question de fermer et de stocker les objets, il souhaite continuer à montrer aux Libanais ses découvertes et ses coups de cœur. Il expose ainsi beaucoup de pièces de designers libanais comme Bernard Khoury, Clara Gebran, Georges Mohasseb ou Karim Chaya. Mais aussi des pièces de designers célèbres comme Andrée Putman ou Oscar Niemeyer, issues de sa collection personnelle et glanées pendant 15 ans à travers le monde. Outre la boutique, SMO Gallery est présente lors de foires internationales, ce qui représente de lourds investissements. À Miami, il faut compter 100 000 dollars pour une participation (transport, location d’un stand et préparation compris). Contrairement à de plus grosses galeries, SMO ne possède pas de pièces importantes facturées en dizaines de milliers de dollars qui pourraient rentabiliser le stand, car les designers libanais ne jouissent pas encore d’une renommée internationale. Gregory Gatserelia n’est pas sûr de participer à la foire de Dubaï début 2013 dont le coût de participation a augmenté en raison de la nécessité de contourner la Syrie. Le galeriste fait ses comptes et déplore que le design soit relégué à un statut de parent pauvre de l’art : il a un jour demandé à un artiste de créer une lampe à l’occasion d’un salon. La réponse est arrivée, cynique mais réaliste : pourquoi vouloir faire une sculpture puis réfléchir au mécanisme pour en faire une lampe qui sera vendue 15 000 dollars alors qu’en la proposant en tant que sculpture il pourrait en tirer 100 000 dollars ?
Over the Counter privilégie les designers étrangers
Nichée au cœur d’une rue cossue d’Achrafié, la galerie Over the Counter créée en 2008 sert de plate-forme de lancement pour des designers libanais comme Carlo Massoud, qu’elle expose actuellement, ou la créatrice de bijoux Rana Saherti. À condition toutefois qu’ils fassent le poids aux côtés de designers internationaux. Car le crédo de Rania Abillama Karam est clair : « Sélectionner le meilleur des créations contemporaines. » Face à la concurrence, cette ancienne professionnelle de la carosserie se lance dans le projet de réunir dans un même lieu tous ses objets favoris avec un seul critère : la qualité. Les pièces viennent du monde entier, catégorie haut de gamme. Un choix dicté par les contraintes économiques liées à l’importation : les frais de douane représentent 15 à 30 % de la valeur de la marchandise, le transport 10 à 20 % du prix, en fonction de son volume et du coût de l’import. Des frais qui influencent le prix final de l’objet en magasin.
Sa boutique s’adresse donc avant tout à une partie de la population libanaise aisée prête à payer pour la rareté. La galeriste recherche avant tout des produits issus du design industriel qui peuvent être réédités. Alors qu’au Liban tous les créateurs sont cantonnés à des éditions limitées, à quelques rares exceptions. Aujourd’hui, Rania Abillama Karam assume son choix de privilégier l’étranger et conseille la même chose aux designers qui souhaitent évoluer vers le design industriel : « L’avantage de notre pays c’est le prototype : nous sommes créatifs et nous avons accès à des artisans pas chers et de qualité, explique-t-elle. Les meilleurs doivent ensuite s’exporter pour faire éditer leur produit de manière industrielle et se confronter à un marché plus grand que le Liban. »
«La tendance mondiale est à la recherche d’objets, de pièces particulières, qui ont davantage de signification que des pièces produites en masse », explique Pascale Wakim, architecte et cofondatrice de la galerie pop-up (itinérante) Carwan. Ce marché du design en édition limitée ou encore du design-art existe à très petite échelle au Liban et dans la région.
C’est ce créneau que Carwan, dont le nom est une référence à la culture mobile des caravansérails, veut promouvoir, car « l’édition limitée est ce qui convient le mieux à la région, étant donné le sous-développement du tissu industriel et la survivance en revanche d’une grande qualité artisanale ».
Créée en janvier 2011 en partenariat avec Nicolas Bellavance, architecte et designer canadien, Carwan cherche à « développer des pièces qui ont le potentiel de devenir des objets de collection et qui ont une connexion avec le Moyen-Orient ».
Elle a déjà organisé deux expositions. La première en 2011, “Milan Does Beirut” a sélectionné plusieurs designers d’avant-garde utilisant des techniques artisanales. La deuxième, en 2012, était plus ambitieuse : « Nous avons demandé à des designers de créer une pièce en collaboration avec des artisans libanais, sur le thème “Perspective contemporaine sur l’artisanat du Moyen-Orient”. » Nada Debs, Karen Chekerdjian, Marc Baroud, mais aussi Philippe Malouin (Canada), Lindsay Adelman (États-Unis)… ont été commissionnés pour cette exposition. Carwan a, selon les accords conclus avec les designers, payé parfois les prototypes. En 2013, Carwan prépare, entre autres, une exposition en collaboration avec la designer française India Mahdavi, qui sera présentée à la foire de design de Bâle (en juin).
Entièrement autofinancée, Carwan cible les nouveaux collectionneurs qui « ont suffisamment de sensibilité pour investir dans un objet qui aura peut-être une valeur commerciale un jour ». Elle mise sur les déplacements pour élargir son public : Beirut Art Center et Beirut Art Fair au Liban, foire de Milan, foire de Miami, le Qatar Art Center… « En moyenne, une exposition dans une foire à but commercial coûte 35 000 dollars. Chaque vente donne lieu à une nouvelle production, numérotée. »
Carwan a été choisie par le magazine français Architectural Digest du mois de décembre comme l’une des huit “personnalités” à suivre en 2013.
SMO Gallery : « Le design est le parent pauvre de l’art »
«Une galerie au Liban, c’est pas évident », constat amer mais sincère de Gregory Gatserelia, fondateur de la SMO Gallery. « À Paris, les mêmes meubles partiraient en un quart d’heure. Ici, il faut aussi faire un travail d’initiation, d’éducation », continue-t-il. Il faut dire qu’il n’a pas choisi la facilité. Depuis un an, il s’est installé au cœur du quartier de la Quarantaine à Beyrouth : « Ceux qui viennent en ont vraiment envie. » Dans la situation actuelle de crise économique mondiale et de violences régionales, son activité tourne un peu au ralenti. Ses clients sont surtout des touristes ou des expatriés, cette année ils étaient peu nombreux. Malgré tout, le chiffre d’affaires de la galerie se maintient, affirme-t-il. Mais cet architecte d’intérieur et designer qui a beaucoup investi depuis deux ans espérait beaucoup plus. Pourtant, pas question de fermer et de stocker les objets, il souhaite continuer à montrer aux Libanais ses découvertes et ses coups de cœur. Il expose ainsi beaucoup de pièces de designers libanais comme Bernard Khoury, Clara Gebran, Georges Mohasseb ou Karim Chaya. Mais aussi des pièces de designers célèbres comme Andrée Putman ou Oscar Niemeyer, issues de sa collection personnelle et glanées pendant 15 ans à travers le monde. Outre la boutique, SMO Gallery est présente lors de foires internationales, ce qui représente de lourds investissements. À Miami, il faut compter 100 000 dollars pour une participation (transport, location d’un stand et préparation compris). Contrairement à de plus grosses galeries, SMO ne possède pas de pièces importantes facturées en dizaines de milliers de dollars qui pourraient rentabiliser le stand, car les designers libanais ne jouissent pas encore d’une renommée internationale. Gregory Gatserelia n’est pas sûr de participer à la foire de Dubaï début 2013 dont le coût de participation a augmenté en raison de la nécessité de contourner la Syrie. Le galeriste fait ses comptes et déplore que le design soit relégué à un statut de parent pauvre de l’art : il a un jour demandé à un artiste de créer une lampe à l’occasion d’un salon. La réponse est arrivée, cynique mais réaliste : pourquoi vouloir faire une sculpture puis réfléchir au mécanisme pour en faire une lampe qui sera vendue 15 000 dollars alors qu’en la proposant en tant que sculpture il pourrait en tirer 100 000 dollars ?
Over the Counter privilégie les designers étrangers
Nichée au cœur d’une rue cossue d’Achrafié, la galerie Over the Counter créée en 2008 sert de plate-forme de lancement pour des designers libanais comme Carlo Massoud, qu’elle expose actuellement, ou la créatrice de bijoux Rana Saherti. À condition toutefois qu’ils fassent le poids aux côtés de designers internationaux. Car le crédo de Rania Abillama Karam est clair : « Sélectionner le meilleur des créations contemporaines. » Face à la concurrence, cette ancienne professionnelle de la carosserie se lance dans le projet de réunir dans un même lieu tous ses objets favoris avec un seul critère : la qualité. Les pièces viennent du monde entier, catégorie haut de gamme. Un choix dicté par les contraintes économiques liées à l’importation : les frais de douane représentent 15 à 30 % de la valeur de la marchandise, le transport 10 à 20 % du prix, en fonction de son volume et du coût de l’import. Des frais qui influencent le prix final de l’objet en magasin.
Sa boutique s’adresse donc avant tout à une partie de la population libanaise aisée prête à payer pour la rareté. La galeriste recherche avant tout des produits issus du design industriel qui peuvent être réédités. Alors qu’au Liban tous les créateurs sont cantonnés à des éditions limitées, à quelques rares exceptions. Aujourd’hui, Rania Abillama Karam assume son choix de privilégier l’étranger et conseille la même chose aux designers qui souhaitent évoluer vers le design industriel : « L’avantage de notre pays c’est le prototype : nous sommes créatifs et nous avons accès à des artisans pas chers et de qualité, explique-t-elle. Les meilleurs doivent ensuite s’exporter pour faire éditer leur produit de manière industrielle et se confronter à un marché plus grand que le Liban. »