La famille Eddé ne vient pas de la Békaa, mais du caza de Jbeil et du village éponyme d’Eddé. « Mon arrière-arrière-grand-père – Ibrahim Eddé – a quitté son village natal pour tenter sa chance d’abord à Beyrouth puis à Damas où il a été drogman (interprète) du consulat de France », explique Carlos Eddé, propriétaire depuis 2000 d’Eddé Farms, une propriété de 700 hectares aux confins de la Békaa-Ouest.
Auparavant, Carlos Eddé vivait au Brésil. Il est revenu vivre au Liban au décès de son oncle, Raymond Eddé, dont il était le seul héritier, pour notamment prendre la tête du Bloc national, le parti fondé par ce dernier.
À Damas, l’aïeul de Carlos Eddé a fait fortune dans le commerce transfrontalier. Il achète une immense propriété dans la région syrienne d’el-Bouhaïra. Impliqué dans l’opposition au pouvoir ottoman, Ibrahim Eddé doit fuir Damas. Il trouve refuge à Tunis. Mais ses terres sont confisquées par le pouvoir ottoman.
Des années plus tard, peu après les massacres chrétiens de Damas (1860), la Sublime Porte décide d’adoucir son jugement en offrant à Ibrahim Eddé des terrains dans la Békaa (qui dépendait alors du wilaya de Damas), en guise de compensation.
Au fur et à mesure des successions, la majeure partie de cette très grande propriété est vendue. « Je suis désormais le seul Eddé à m’occuper encore d’agriculture dans la Békaa. » Grands propriétaires, ayant réussi dans le négoce, les Eddé sont pourtant restés longtemps attachés à la terre et l’agriculture.
Pour Carlos Eddé, cet attachement traduit sans doute aussi son rapport au Liban. « J’ai quitté Beyrouth à 18 ans avec un billet sans retour : des menaces de mort planaient sur la tête de mon père comme sur celle de mon oncle qui ont décidé de m’exiler le plus loin possible pour y faire ma vie. Quand je suis rentré en 2000, c’est cette “ferme” qui m’a permis de me sentir à nouveau libanais. C’est pour moi un lieu de ressourcement. » Quand il en prend les rênes, le lieu a souffert de trop longues années de guerre. « La ferme avait servi de camp d’entraînement à différentes factions. L’armée israélienne y avait notamment installé certains bataillons. »
À la fin de la guerre, la majorité des terres n’étaient plus cultivées. Elles étaient en friche, transformées au fur et à mesure en décharges publiques.
« J’ai décidé de restructurer la propriété en misant notamment sur la vigne que j’ai fait replanter en achetant des cépages français. » Carlos Eddé entend diriger ce domaine avec une ambition : protéger l’environnement. « Je veux produire selon les principes d’une agriculture raisonnée en employant le moins possible de produits phytosanitaires, en recyclant au maximum ou en limitant l’usage des nappes phréatiques. » Résultat : 25 % de la propriété est certifiée “en culture biologique”. Deux lacs artificiels ont par ailleurs été creusés afin de récupérer l’eau de pluie et d’irriguer en saison chaude si besoin. « Le ratio de bio devrait grandir encore. » Assez naturellement, dit-il. Carlos Eddé a songé à fonder sa propre cave. « Mais j’avais un handicap majeur : je ne bois pas de vin, s’amuse-t-il. Or, le vin n’est pas une industrie comme une autre. C’est aussi une culture. Il faut savoir en parler ou s’en tenir éloigné. »

Aana

Surface : 700 ha dont 80 ha de vigne
Autres cultures : arbres fruitiers, cultures maraîchères, céréales, oliviers
Propriétaire : Carlos Eddé
Salariés permanents : 4

Production de raisin en 2012 : 330 tonnes
Densité moyenne de plantation :
1 500 pieds/ha (cinsaut) ;
3 200-4 000 pieds/ha (autres cépages)
Rendement moyen : 33 hl/ha
Âge moyen des vignes : 4-9 ans ; plus vieilles vignes, 80 ans
Client : Château Musar
Prix moyen de vente/kilo : 0,72 dollar
Domaine certifié : Global GAP (Good Agriculture Practices) ; 25 % des cultures certifiées “biologique” par IMC