Les scénarios de morcellement de la Syrie se multiplient à mesure que le conflit perdure. Le point sur les enjeux économiques d’une séparation éventuelle des deux régions concernées : le Nord-Est à majorité kurde et le littoral à majorité alaouite.
La prolongation du conflit syrien s’accompagne d’un renforcement apparent des forces centrifuges que ce soit dans le Nord-Est, à forte présence kurde, ou sur la zone côtière, habitée en grande partie par la communauté alaouite. Mais les considérations économiques liées au morcellement du territoire syrien le rendent, pour l’instant, peu probable.
La région kurde est la première concernée par l’éventualité d’une séparation territoriale. Alors qu’avant le début de la révolution, les demandes des Kurdes syriens se limitaient essentiellement à leurs droits linguistiques et culturels, des voix de plus en plus nombreuses se font entendre pour réclamer une plus grande autonomie de la région qu’ils habitent.
Des ressources naturelles considérables
Située à l’extrême nord-est du pays, autour des villes de Hassaké et de Qamishli, elle regroupe la grande majorité des réserves pétrolières syriennes et représentait, avant le début du soulèvement, l’équivalent de plus des deux tiers de la production journalière de brut. Cette région a pris la relève des champs situés autour de la ville de Deir ez-Zor, à l’est du pays, qui constituaient le gros de la production syrienne dans les années 1990. Ces dernières ont atteint en 1996 leur pic de production, avec 400 000 barils/jour extraits sur un total de 600 000 b/j, et, depuis, ces champs s’épuisent et ne produisent plus début 2011 qu’environ 100 000 b/j.
L’extrême nord-est de la Syrie renferme donc aujourd’hui une large majorité des réserves pétrolières nationales et produit près de 250 000 b/j. Or, ces champs se trouvent d’ores et déjà en grande partie sous le contrôle direct ou indirect du parti de l’Union démocratique, souvent considéré comme la branche syrienne du PKK kurde.
En plus de ses réserves énergétiques, la région est également le centre de la production de céréales et de coton de la Syrie. Le gouvernorat de Hassaké produisait ainsi à lui seul près de 30 % de la production de blé en 2011 et 35 % de la production de coton.
Sachant que le pain représente l’aliment de base de la population et que le coton est à la fois une source de devises et un composant-clé du secteur textile, il fait peu de doutes que l’avenir du Nord-Est sera un enjeu primordial pour la Syrie du futur. La région est également le lit du Khabour, l’un des principaux affluents de l’Euphrate.
L’émergence d’une région kurde dotée d’importants pouvoirs autonomes est en tout cas très incertaine. La région à majorité kurde souffre, par exemple, de l’absence de grand centre urbain. Qamishli, qui est la seule ville d’importance avec une majorité kurde, a une population totale de moins de 200 000 habitants. La ville qui accueille la plus grande communauté kurde est Alep, où les Arabes forment une large majorité. De manière générale, la population kurde syrienne a la particularité d’être répartie sur tout le territoire national avec une forte présence à Damas et Hama.
L’importance du Nord-Est pour l’économie syrienne est à double tranchant. Elle donne aux Kurdes une carte importante à utiliser dans toute future négociation. En même temps, elle laisse peu de marge de manœuvres à tout futur gouvernement central qui fera face à une forte opposition s’il devait y céder ses pouvoirs. En tout état de cause, la question kurde reste bien entendu largement tributaire des développements régionaux, en particulier en Turquie.
Investissements étatiques dans la région côtière
La région côtière qui abrite la majorité de la communauté alaouite est elle aussi au centre des débats sur une future partition. La question d’un État alaouite indépendant a été soulevée pendant le mandat français, puis a été longtemps oubliée. Elle n’a été relancée que récemment, en corrélation avec l’accroissement des tensions confessionnelles.
Il est vrai que la région a certaines particularités qui pourraient faciliter son autonomie. Elle est clairement délimitée par la mer d’un côté et une montagne longeant la côte en prolongement du Mont-Liban ; sa population n’est certes pas homogène, mais a probablement une majorité alaouite. La région accueille les seuls ports de Syrie, une raffinerie pétrolière. Elle a aussi un certain potentiel touristique.
De nombreux projets étatiques y ont été annoncés ces dernières semaines, en particulier dans et autour de la ville de Tartous.
Une nouvelle faculté de médecine a été établie par décret présidentiel début avril. Elle s’ajoute aux cinq facultés présentes dans la ville : sciences naturelles, tourisme, économie, littérature et éducation.
Le gouvernement a également annoncé qu’il avait l’intention de relocaliser de nombreuses entreprises industrielles publiques vers les zones “sûres”, ce qui, dans les circonstances actuelles, veut dire la côte. La raison officielle est la dégradation de l’environnement sécuritaire dans le reste du pays, mais beaucoup y ont vu une volonté de renforcer les capacités industrielles de la région côtière.
Des projets d’un montant total de près de deux milliards de livres, soit autour de 20 millions de dollars au taux actuel du marché, ont été inaugurés le 17 avril à Tartous par le Premier ministre. Ces projets comprennent une usine de traitement de déchets ainsi qu’un centre de stockage et de production de tabac.
À l’avenir, le développement de gisements de gaz offshore pourrait constituer un atout important pour cette région côtière. Contrairement au Liban, à Chypre et à Israël, les réserves syriennes n’ont cependant pas encore été estimées et leur développement éventuel reste tributaire de nombreux obstacles légaux, politiques et financiers.
Un aéroport à Tartous
L’annonce de travaux pour la construction d’un aéroport civil au sud de Tartous est le projet qui a récemment marqué le plus les esprits. Selon le gouvernement, des études préliminaires ont d’ores et déjà été réalisées. L’idée est d’agrandir un aéroport existant, actuellement utilisé à des fins agricoles, en allongeant la piste de 800 à 2 900 mètres.
L’annonce de ce projet est révélatrice, paradoxalement, de l’une des faiblesses de la création d’un littoral autonome. Il existe déjà un aéroport international à Lattaquié, l’aéroport Bassel el-Assad, distant de seulement 100 kilomètres. Le projet d’un nouvel aéroport à Tartous n’a de sens que si ses promoteurs considèrent que celui de Lattaquié est peu “sûr”. La population de la grande ville syrienne du littoral est mixte, avec près de 50 % de sunnites et de chrétiens, contrairement à Tartous, qui est la seule ville du pays à forte majorité alaouite.
Si Lattaquié n’est pas considérée comme “sûre”, cela implique que l’espace territorial sur lequel s’établirait cette région autonome est très limité.
À ces faiblesses, s’ajoute le fait que les bases agricole et industrielle de la côte syrienne sont faibles. À part la raffinerie de Banias, l’industrie lourde se résume principalement à une centrale électrique et une ancienne cimenterie. L’industrie légère représente la majeure partie de la production manufacturière alors que l’agriculture est principalement limitée aux agrumes et au tabac.
Certains ont argumenté que le Liban s’est construit avec aussi peu de ressources. La région côtière de la Syrie n’a cependant aucune des caractéristiques qui font les atouts du Liban, tels son importante communauté expatriée, la richesse de ses ressources humaines et son savoir-faire dans les secteurs financier, touristique, éducatif et sanitaire.
Il est probable qu’à ce stade, le lancement de nouveaux projets sur le littoral représente autant un effet d’annonce qui vise à renforcer le moral des troupes, qu’un effort sérieux pour donner les atouts nécessaires à la côte syrienne pour qu’elle puisse déclarer son indépendance.
En définitive, les facteurs économiques ne sont pas suffisamment décisifs pour pencher en faveur ou contre le succès d’éventuelles forces centrifuges en Syrie. Les atouts réels des deux régions concernées sont contrebalancés par la dépendance du reste de la Syrie vis-à-vis d’elles : un futur gouvernement central n’aura probablement pas le luxe de leur accorder une quelconque liberté d’action.
De manière plus importante, la fragmentation de la Syrie est pour l’instant peu probable par le simple fait qu’aucune des parties en conflit ne la réclame officiellement à ce jour. Certes, certains partis kurdes lancent des appels pressants en faveur d’une plus grande autonomie, mais leurs demandes restent limitées à cela, une forme ou une autre de liberté accrue dans la gouvernance de leur région. Quant à la région côtière, il n’existe jusqu’à ce jour aucun document ni discours d’une quelconque figure de la communauté alaouite qui soutient publiquement une telle démarche. Par conviction ou par réalisme, les Syriens restent apparemment encore attachés à leur unité politique.
La région kurde est la première concernée par l’éventualité d’une séparation territoriale. Alors qu’avant le début de la révolution, les demandes des Kurdes syriens se limitaient essentiellement à leurs droits linguistiques et culturels, des voix de plus en plus nombreuses se font entendre pour réclamer une plus grande autonomie de la région qu’ils habitent.
Des ressources naturelles considérables
Située à l’extrême nord-est du pays, autour des villes de Hassaké et de Qamishli, elle regroupe la grande majorité des réserves pétrolières syriennes et représentait, avant le début du soulèvement, l’équivalent de plus des deux tiers de la production journalière de brut. Cette région a pris la relève des champs situés autour de la ville de Deir ez-Zor, à l’est du pays, qui constituaient le gros de la production syrienne dans les années 1990. Ces dernières ont atteint en 1996 leur pic de production, avec 400 000 barils/jour extraits sur un total de 600 000 b/j, et, depuis, ces champs s’épuisent et ne produisent plus début 2011 qu’environ 100 000 b/j.
L’extrême nord-est de la Syrie renferme donc aujourd’hui une large majorité des réserves pétrolières nationales et produit près de 250 000 b/j. Or, ces champs se trouvent d’ores et déjà en grande partie sous le contrôle direct ou indirect du parti de l’Union démocratique, souvent considéré comme la branche syrienne du PKK kurde.
En plus de ses réserves énergétiques, la région est également le centre de la production de céréales et de coton de la Syrie. Le gouvernorat de Hassaké produisait ainsi à lui seul près de 30 % de la production de blé en 2011 et 35 % de la production de coton.
Sachant que le pain représente l’aliment de base de la population et que le coton est à la fois une source de devises et un composant-clé du secteur textile, il fait peu de doutes que l’avenir du Nord-Est sera un enjeu primordial pour la Syrie du futur. La région est également le lit du Khabour, l’un des principaux affluents de l’Euphrate.
L’émergence d’une région kurde dotée d’importants pouvoirs autonomes est en tout cas très incertaine. La région à majorité kurde souffre, par exemple, de l’absence de grand centre urbain. Qamishli, qui est la seule ville d’importance avec une majorité kurde, a une population totale de moins de 200 000 habitants. La ville qui accueille la plus grande communauté kurde est Alep, où les Arabes forment une large majorité. De manière générale, la population kurde syrienne a la particularité d’être répartie sur tout le territoire national avec une forte présence à Damas et Hama.
L’importance du Nord-Est pour l’économie syrienne est à double tranchant. Elle donne aux Kurdes une carte importante à utiliser dans toute future négociation. En même temps, elle laisse peu de marge de manœuvres à tout futur gouvernement central qui fera face à une forte opposition s’il devait y céder ses pouvoirs. En tout état de cause, la question kurde reste bien entendu largement tributaire des développements régionaux, en particulier en Turquie.
Investissements étatiques dans la région côtière
La région côtière qui abrite la majorité de la communauté alaouite est elle aussi au centre des débats sur une future partition. La question d’un État alaouite indépendant a été soulevée pendant le mandat français, puis a été longtemps oubliée. Elle n’a été relancée que récemment, en corrélation avec l’accroissement des tensions confessionnelles.
Il est vrai que la région a certaines particularités qui pourraient faciliter son autonomie. Elle est clairement délimitée par la mer d’un côté et une montagne longeant la côte en prolongement du Mont-Liban ; sa population n’est certes pas homogène, mais a probablement une majorité alaouite. La région accueille les seuls ports de Syrie, une raffinerie pétrolière. Elle a aussi un certain potentiel touristique.
De nombreux projets étatiques y ont été annoncés ces dernières semaines, en particulier dans et autour de la ville de Tartous.
Une nouvelle faculté de médecine a été établie par décret présidentiel début avril. Elle s’ajoute aux cinq facultés présentes dans la ville : sciences naturelles, tourisme, économie, littérature et éducation.
Le gouvernement a également annoncé qu’il avait l’intention de relocaliser de nombreuses entreprises industrielles publiques vers les zones “sûres”, ce qui, dans les circonstances actuelles, veut dire la côte. La raison officielle est la dégradation de l’environnement sécuritaire dans le reste du pays, mais beaucoup y ont vu une volonté de renforcer les capacités industrielles de la région côtière.
Des projets d’un montant total de près de deux milliards de livres, soit autour de 20 millions de dollars au taux actuel du marché, ont été inaugurés le 17 avril à Tartous par le Premier ministre. Ces projets comprennent une usine de traitement de déchets ainsi qu’un centre de stockage et de production de tabac.
À l’avenir, le développement de gisements de gaz offshore pourrait constituer un atout important pour cette région côtière. Contrairement au Liban, à Chypre et à Israël, les réserves syriennes n’ont cependant pas encore été estimées et leur développement éventuel reste tributaire de nombreux obstacles légaux, politiques et financiers.
Un aéroport à Tartous
L’annonce de travaux pour la construction d’un aéroport civil au sud de Tartous est le projet qui a récemment marqué le plus les esprits. Selon le gouvernement, des études préliminaires ont d’ores et déjà été réalisées. L’idée est d’agrandir un aéroport existant, actuellement utilisé à des fins agricoles, en allongeant la piste de 800 à 2 900 mètres.
L’annonce de ce projet est révélatrice, paradoxalement, de l’une des faiblesses de la création d’un littoral autonome. Il existe déjà un aéroport international à Lattaquié, l’aéroport Bassel el-Assad, distant de seulement 100 kilomètres. Le projet d’un nouvel aéroport à Tartous n’a de sens que si ses promoteurs considèrent que celui de Lattaquié est peu “sûr”. La population de la grande ville syrienne du littoral est mixte, avec près de 50 % de sunnites et de chrétiens, contrairement à Tartous, qui est la seule ville du pays à forte majorité alaouite.
Si Lattaquié n’est pas considérée comme “sûre”, cela implique que l’espace territorial sur lequel s’établirait cette région autonome est très limité.
À ces faiblesses, s’ajoute le fait que les bases agricole et industrielle de la côte syrienne sont faibles. À part la raffinerie de Banias, l’industrie lourde se résume principalement à une centrale électrique et une ancienne cimenterie. L’industrie légère représente la majeure partie de la production manufacturière alors que l’agriculture est principalement limitée aux agrumes et au tabac.
Certains ont argumenté que le Liban s’est construit avec aussi peu de ressources. La région côtière de la Syrie n’a cependant aucune des caractéristiques qui font les atouts du Liban, tels son importante communauté expatriée, la richesse de ses ressources humaines et son savoir-faire dans les secteurs financier, touristique, éducatif et sanitaire.
Il est probable qu’à ce stade, le lancement de nouveaux projets sur le littoral représente autant un effet d’annonce qui vise à renforcer le moral des troupes, qu’un effort sérieux pour donner les atouts nécessaires à la côte syrienne pour qu’elle puisse déclarer son indépendance.
En définitive, les facteurs économiques ne sont pas suffisamment décisifs pour pencher en faveur ou contre le succès d’éventuelles forces centrifuges en Syrie. Les atouts réels des deux régions concernées sont contrebalancés par la dépendance du reste de la Syrie vis-à-vis d’elles : un futur gouvernement central n’aura probablement pas le luxe de leur accorder une quelconque liberté d’action.
De manière plus importante, la fragmentation de la Syrie est pour l’instant peu probable par le simple fait qu’aucune des parties en conflit ne la réclame officiellement à ce jour. Certes, certains partis kurdes lancent des appels pressants en faveur d’une plus grande autonomie, mais leurs demandes restent limitées à cela, une forme ou une autre de liberté accrue dans la gouvernance de leur région. Quant à la région côtière, il n’existe jusqu’à ce jour aucun document ni discours d’une quelconque figure de la communauté alaouite qui soutient publiquement une telle démarche. Par conviction ou par réalisme, les Syriens restent apparemment encore attachés à leur unité politique.