Les actifs des 12 banques libanaises présentes à Chypre sont de 2 à 3 milliards de dollars. Aujourd’hui, elles attendent de savoir si les restrictions sur les opérations financières dans l’île vont être levées.

Des discussions sont actuellement en cours entre la Banque centrale chypriote et l’Association des banques étrangères pour permettre aux banques étrangères installées sur l’île de reprendre une activité normale. Chypre compte vingt-neuf succursales de banques étrangères qui représentent 20 % des dépôts de l’île, dont douze banques libanaises (deux filiales et dix agences de banques libanaises). Elles réclament notamment la levée de la limitation des retraits imposée à leurs clients. Lors de récentes négociations, la Banque centrale chypriote a également demandé aux banques étrangères de garantir au moins 20 % des dépôts des non-résidents dans leurs agences. La Banque centrale du Liban aurait donné une fin de non-recevoir expliquant que ce rôle de garantie revient à la Banque centrale européenne.
Ces restrictions ont été instaurées en mars par un décret du ministre chypriote des Finances qui limite tout retrait sur l’île à 300 euros par jour (soit 390 dollars) et les virements à l’étranger sans justificatifs à 20 000 euros (26 000 dollars). Une décision exceptionnelle liée au plan de sauvetage de l’économie de Chypre proposé le 25 mars par la troïka (Union européenne, Eurogroup et FMI) pour éviter un mouvement de panique et le retrait soudain des capitaux présents sur l’île. L’État chypriote doit à présent trouver près de 13 milliards de dollars en contrepartie d’une aide de 10 milliards d’euros (13 milliards de dollars).
Comment trouver ces fonds ? Dans un premier temps, le gouvernement chypriote a évoqué la possibilité de taxer à hauteur de 10 % tous les dépôts présents sur l’île, y compris ceux des banques étrangères. La mesure a été retoquée par le Parlement après une levée de boucliers généralisée. Le gouvernement envisage désormais de taxer à hauteur de 60 % les avoirs supérieurs à 100 000 euros (130 000 dollars) détenus dans les banques nationales. La mesure viserait seulement la Bank of Cyprus, principale banque chypriote en activité après la mise en faillite de la deuxième banque du pays, la Laïki. Les banques étrangères ne seraient pas touchées par cette taxe. Selon la Banque centrale de Chypre, les avoirs étrangers dans les banques locales se chiffrent à plus de 70 milliards d’euros (91 milliards de dollars), dont 26,8 milliards de placements de non-résidents (principalement russes et ukrainiens selon l’Institut de finance international). Le reste viendra de la privatisation des fonds de pension des entreprises publiques chypriotes qui gèrent plus de 4,2 milliards d’euros à destination des retraités. Des hausses d’impôt et la vente de réserves d’or sont aussi au menu. Dans ce contexte, le PIB devrait se contracter, le chômage augmenter, « rien qui incite nos clients à rester », explique un banquier libanais sous couvert d’anonymat.
Si les discussions aboutissent en faveur de la levée des restrictions sur les banques étrangères, elles auront une conséquence pour Riad Obegi de la banque Bemo : « Il est probable que les clients étrangers retireront quand même leur argent de l’île. » Pour un observateur de la vie financière libanaise, les avoirs présents sur l’île dans les différentes banques se réduiront de moitié sans fuir totalement. Leur montant passerait selon lui de huit fois le PIB de Chypre actuellement à quatre fois la richesse nationale. En attendant, les transactions restent encadrées. Une cellule d’autorisation des paiements commerciaux courants a été mise en place. 
Parmi les douze banques libanaises installées à Chypre, la Bemo est présente depuis le début des années 1980. Une installation liée à la guerre civile libanaise. Quittant le pays, beaucoup de Libanais prenaient le bateau pour rejoindre l’île située à seulement 240 kilomètres. Les capitaux ont suivi le même chemin. Aujourd’hui, les dépôts de la filiale chypriote représentent 15 % du total des montants déposés dans la banque. La majorité des clients sont des particuliers libanais ou syriens. Les banques libanaises offrent de fait à Chypre une plate-forme offshore à leurs clients dont les activités ne sont pas situées au Liban. À travers Chypre, ils ont ainsi accès à l’Union européenne qui est le premier partenaire commercial du Liban, avec un tiers de ses échanges.

Des pertes minimes pour les banques libanaises

De l’avis des banquiers libanais, ces clients devraient rapatrier peu à peu leurs dépôts au Liban ou les placer dans d’autres filiales européennes des banques libanaises s’ils veulent rester en zone euro ou s’ils souhaitent placer leur argent dans un pays dont la note de la dette souveraine est plus élevée que celle du Liban (celle-ci est notée “B” par Standard and Poor’s).
Sur les possibles pertes occasionnées aux clients, rien ne filtre pour l’instant. « Impossible à chiffrer », selon Riad Obegi de la Bemo. « Mais aujourd’hui, on est presque sûrs qu’il n’y aura pas de pertes », rajoute-t-il. Si les dépôts des clients ne sont pas directement touchés, l’activité des banques est fortement ralentie par les mesures de limitation des retraits et des transactions en cours. Ces pertes seront donc indirectes et progressives, si les clients quittent l’île et que les dépôts dans les banques diminuent. Cette diminution de l’activité devrait engendrer une restructuration de l’activité de ces filiales. Dans l’un des établissements interrogés, on évoque à demi-mot une fermerture du bureau sur l’île et le rapatriement du personnel libanais.
Certains prêts accordés à des entreprises ou des particuliers chypriotes sont également en attente de remboursement. « Il serait plus sage pour les banques de prendre des provisions sur certains comptes en prévision de défaut de paiement », explique Shadi Karam, le conseiller économique du président Michel Sleiman. En tout état de cause, les pertes liées aux placements effectués par les agences libanaises à Chypre sur le marché local seront sans doute mineures, les banques libanaises ayant préféré investir l’argent déposé à l’étranger. Comparativement, les banques russes ayant fortement investi sur l’île pourraient perdre près de 20 milliards de dollars dans des prêts qui ne pourront être recouverts selon l’agence Moody’s.
Pour Shadi Karam, le danger n’est pas là : « Les banques libanaises sont solidement capitalisées. Les maisons mères pourront sans problème provisionner les pertes liées à des investissements sur le marché local. » Selon l’Association des banques libanaises, les actifs des 12 banques installées à Chypre sont équivalents à moins de 3 % de la base d’actifs du secteur bancaire libanais.
Pour le conseiller du président, le principal risque réside dans l’arrivée possible de capitaux étrangers qui se détourneraient de Chypre au profit du Liban. Le pays fait face depuis plusieurs mois à des accusations de blanchiment d’argent du terrorisme. La réputation des banques libanaises pourrait être de nouveau ternie. « Il sera facile de dire qu’il s’agit d’argent sale », explique Shadi Karam. Chypre est en effet considérée comme un territoire à fiscalité privilégiée attirant les capitaux flottants placés à court terme dans une logique purement financière. Une situation qui lui permettait notamment en l’absence de convention officielle entre deux pays d’éviter de transmettre les informations concernant l’origine des fonds déposés.

Les douze banques libanaises sur l’île

Bank of Beirut, BankMed, BBAC, Bemo, Blom Bank, Byblos Bank, Crédit libanais, IBL Bank, SBA (filiale de la BLF), Lebanon Gulf Bank, USB (filiale de la BLC), Société Générale Bank Cyprus Limited.

Chronologie de la crise chypriote

Mars 2012 : la dette grecque est restructurée. Les deux principales banques de Chypre, qui détenaient massivement des titres de dette publique grecque, ont subi une perte d’environ 4,5 milliards d’euros. Les banques chypriotes sont aussi très exposées à la faiblesse de l’économie grecque. Elles ont prêté aux entreprises et aux ménages grecs à hauteur de 23 milliards d’euros.
Juin 2012 : Chypre demande l’aide de l’Union européenne. Des discussions s’engagent sur un plan de sauvetage de l’île. Le gouvernement prend des mesures d’austérité (coupes dans les salaires des fonctionnaires dans les allocations, augmentations de la TVA et de diverses taxes).
Nuit du 15 au 16 mars 2013 : un premier plan de sauvetage est annoncé. La dette chypriote est de 17 milliards d’euros. La troïka (Union européenne, Eurogroup et FMI) s’engage à prendre en charge 10 milliards.
16 mars 2013 : les retraits sont bloqués aux guichets des banques présentes dans le pays. Ils sont rationnés aux distributeurs.
18 mars 2013 : le gouvernement s’engage à prélever une taxe non renouvelable de 6,75 % sur les dépôts bancaires en deçà de 100 000 euros et de 9,9 % au-delà. Le Parlement chypriote refuse.
25 mars : un deuxième plan de sauvetage est voté. Il décide notamment la mise en faillite de la banque Laïki, la deuxième banque du pays. Avec la Bank of Cyprus (premier établissement bancaire du pays), la banque détenait près de 80 % des quelque 68 milliards d’euros de dépôts de l’île. Les comptes supérieurs à 100 000 euros dans les deux principales banques du pays sont gelés. 37,5 % de leurs fonds seront transformés en actions et 22,5 % de leurs fonds seront immobilisés jusqu’à ce que les autorités déterminent si les banques peuvent tenir les conditions du plan de sauvetage.
12 avril 2013 : la dette chypriote est revue à la hausse lors du sommet de Dublin qui réunit les ministres des Finances de la zone euro. Elle serait de 23 milliards d’euros contre 17 milliards estimés jusqu’à présent. L’île doit donc trouver 6 milliards d’euros supplémentaires en plus des 10 milliards fournis par les bailleurs internationaux. Le premier versement du plan de sauvetage est prévu en mai.