Entre son rôle dans le soutien des insurrections arabes et ses investissements tous azimuts, le Qatar ne cesse d’être au cœur de l’actualité. Jusqu’où ira-t-il dans son ascension ?
Éléments de réponse avec Christian Chesnot, journaliste à France Inter qui, avec son collègue Georges Malbrunot, vient de publier “Qatar, les secrets du coffre-fort” (éditions Michel Lafon).

De quand date l’affirmation du Qatar, longtemps surnommé “l’État confetti”, sur la scène mondiale ?
Il y a en réalité plusieurs tournants. D’abord, le coup d’État mené en juin 1995 par Hamad bin Khalifa al-Thani, alors prince héritier et chef des armées, contre son père, l’émir Khalifa. Contrairement à son père qui avait une gestion précautionneuse de la manne gazière et pétrolière, le nouvel émir est le premier à miser sur le gaz naturel liquide. Cela lui offre une indépendance financière et permet d’éviter de revivre les difficultés des années précédentes, lorsque le pétrole était à son plus bas niveau. Le deuxième tournant est représenté par la création d’al-Jazeera en 1996 qui marque le début d’une politique de “soft-power” visant à faire en sorte que le Qatar soit connu partout dans le monde. Parallèlement, ce visionnaire anticonformiste, qui a été traumatisé par l’invasion du Koweït, cherche à sécuriser son coffre-fort en accueillant une base américaine sur son territoire à partir de 2003, puis en multipliant les initiatives diplomatiques dans la région afin de concurrencer ses grands voisins saoudiens et iraniens sur leur terrain.
Le dernier tournant est bien sûr l’attribution de l’organisation de la Coupe du monde de football en 2022, qui va à la fois faire office de “police d’assurance” supplémentaire et servir de catalyseur à la modernisation accélérée du pays avec 120 milliards de dollars prévus pour la construction d’infrastructures.

Le Qatar semble aussi se différentier des autres pétromonarchies dans la manière de gérer sa surcapacité financière. Y a-t-il une cohérence globale dans ses différents investissements à l’étranger ?
Le Qatar est, avec Dubaï, l’émirat qui a le mieux compris la logique de la mondialisation. Les investissements obéissent à quatre types de logique :
- Ce qui relève de “l’achat compulsif” : ce sont majoritairement les achats de grands complexes hôteliers de luxe en Europe, la prise de participations dans Porsche ou le rachat du Paris Saint-Germain.
- La préparation de l’après-pétrole : les Qatariens privilégient les placements à long terme et peu risqués comme les placements immobiliers, ou bien ceux qui vont lui permettre de favoriser l’export comme le rachat d’infrastructures portuaires en Turquie.
- Une logique industrielle : ce sont les prises de participations dans les grands groupes (Vinci, Véolia…) qui participeront directement à la construction des infrastructures de la Coupe du monde. Ils investissent aussi beaucoup dans le secteur des télécommunications, en Chine par exemple.
- Enfin, une logique politique qui permet d’assurer un levier d’influence considérable dans les pays où ils investissent massivement.

Jusqu’où le Qatar peut-il aller ?
Le vrai talon d’Achille du Qatar c’est l’eau et l’alimentation. Le pays n’a que 48h de réserves en eau potable, du fait que le dessalement supporte très mal le stockage, et le Qatar s’est donc donné comme objectif d’augmenter ses stocks d’eau en faisant passer les réserves à un mois. Ensuite, le pays cherche à assurer la sécurité de son approvisionnement alimentaire dans un contexte de tension sur les marchés. D’où une stratégie d’achat de terres arables dans des pays ayant un besoin de financement, en Afrique par exemple, ou en traitant directement avec les fermiers pour racheter leurs terres à un prix très supérieur au marché.
Certes, il y a toujours des inconnues, mais avec une telle puissance financière, ils n’ont pas trop de quoi s’inquiéter…