Il suffit de regarder quelques secondes l’une des têtes, en bois ou en bronze, de l’artiste syrien Mustafa Ali pour songer à Constantin Brancusi et à l’une de ses œuvres les plus emblématiques, “La muse endormie” (1910). La filiation est évidente : comme chez Brancusi, les traits de ces visages sont simplifiés à l’extrême – orbites estompées, regards aveugles, sourcils dénudés… Pour définir un visage au tracé ininterrompu et à l’absolu dépouillement formel. Mais ce qui était chez Brancusi ascèse et pureté se transforme sous les ciseaux de Mustafa Ali en mélancolie et dissonance. « J’ai réalisé cette tête à la guillotine (photo) en 2010. Pour moi, elle évoque déjà le chaos dans lequel nous vivons désormais. Ces visages anonymes, privés du corps, disent le manque d’harmonie, l’absence de liens entre le corps et l’esprit, la matière et l’âme, le monde et l’homme », assure l’artiste rencontré à Paris. La plupart de ces têtes guillotinées gisent à terre, sans même de socle pour les tenir, renversées dans une horizontalité de mourant, dirait-on.
On ne peut alors que ressentir une absence de sens, un sentiment d’étrangeté également, comme si ces visages incarnaient les derniers vestiges d’un monde englouti. Et c’est bien d’un univers à l’agonie, dont les sculptures de Mustafa Ali nous parlent : avec la guerre en Syrie, l’artiste, qui est né en 1956 à Lattaquié, a dû prendre le chemin de l’exil pour désormais subir une itinérance forcée entre Paris, Beyrouth et Damas. De l’exode naît cette mélancolie sous-jacente, cette tristesse d’un être dont le corps amputé se rappelle à son souvenir comme le “pays”, dont il est aujourd’hui privé.
À voir : Galerie Mark Hachem (Starco) Tél. : 01/999313 ou dans l’atelier beyrouthin de l’artiste (Gemmayzé) Tél. : 70/605712.