Plusieurs facteurs expliquent le semblant de normalité économique qui règne dans certaines régions de Syrie. Sur le moyen terme, le régime ne semble pas menacé par la situation économique même si la dégradation continue des finances publiques a dramatiquement appauvri la population et pourrait finir par mettre en danger le système.
Dans la plupart des zones sous le contrôle des forces du régime syrien en particulier à Damas, sur le littoral et dans le gouvernorat de Souweida dans le sud du pays, de nombreux services publics, tels l’approvisionnement en eau et en électricité, les écoles et les services de santé continuent de fonctionner plus ou moins normalement. Des produits de base comme le pain, les fruits et les légumes, l'essence et le mazout, mais aussi certains produits alimentaires importés, comme le sucre et le riz sont toujours fournis à la population.
Compte tenu des ravages qu’a subis le pays, de la forte baisse de l’activité économique, de la chute des réserves de change et de la destruction des infrastructures, le fait que l'économie syrienne apparaisse comme continuant à fonctionner plus ou moins normalement peut paraître surprenant.
Les facteurs de cette apparente normalité
Cette apparente normalité est due à plusieurs facteurs :
Premièrement, la baisse de l’activité économique et la pauvreté galopante ont entraîné une baisse drastique du pouvoir d’achat de la population et donc de la demande, ce qui a eu pour conséquence de faciliter la fourniture de biens et de services par le gouvernement. L’arrêt de milliers d’usines et la fermeture de nombreuses entreprises de services ont, par exemple, réduit la demande d’électricité alors que l’insécurité sur les routes a réduit la consommation d’essence. Il faut aussi ajouter comme facteur de baisse de la demande la chute d’environ 15 % de la population, à cause de l’exil ou des décès.
Deuxièmement, la Syrie reçoit des aides très importantes de la communauté internationale dont la plus grande partie est distribuée à l’intérieur de la Syrie et une partie minoritaire auprès des réfugiés à l’extérieur du pays. L’année dernière, environ un milliard de dollars ont été versés par les pays donateurs alors que pour 2014 environ 2,4 milliards de dollars sont attendus. Ces montants, alloués en partie à l’aide alimentaire et médicale, entrent dans le circuit économique syrien et permettent de dynamiser certains secteurs.
Troisièmement, dès 2011, le gouvernement a commencé à planifier et à réduire ses dépenses. En octobre 2011, une augmentation des tarifs douaniers sur l’importation de véhicules de tourisme a été adoptée dans l’objectif de réduire les sorties de devises. L’importation de voitures représentait l'une des principales dépenses en devises étrangères. Le gouvernement a de même rapidement réduit ses frais de fonctionnement et a demandé en décembre 2011 à son administration publique de réduire toutes ses dépenses courantes de 25 %, à l’exception des salaires. Les frais d’investissement tels que la construction de nouvelles écoles, d’hôpitaux, de routes ou de réseaux d'assainissement d'eau et qui représentaient en moyenne entre 30 et 40 % du total des dépenses budgétaires ont été suspendues à l’exception de quelques projets stratégiques, comme les usines de traitement de gaz.
Quatrièmement, le gouvernement a réussi à capitaliser sur la relative diversité de son économie et sa richesse en ressources naturelles. Pendant les trois premières années du soulèvement, le niveau des pluies a été important entraînant de bonnes récoltes agricoles qui ont permis d’assurer l'approvisionnement alimentaire des villes et de fournir des revenus stables aux agriculteurs et aux communautés rurales. Par ailleurs, les centrales électriques ont continué à tourner, car elles fonctionnent essentiellement au gaz naturel dont les champs se trouvent toujours sous le contrôle des autorités publiques.
Cinquièmement, la baisse de la valeur de la monnaie nationale – la livre syrienne a chuté de 47 livres pour un dollar en mars 2011 à 150 livres en janvier 2014 – a contribué à augmenter la valeur en livres syriennes des avoirs considérables en devises. La Banque centrale a dépensé une partie importante de ces réserves pour maintenir la valeur de sa monnaie face aux principales devises internationales. Ces réserves, qui se montaient à environ 20 milliards de dollars à la fin 2010, ont également servi au financement des importations et pour couvrir d'autres dépenses courantes.
Sixièmement, le gouvernement a pu compter sur des alliés internationaux solides et fiables, qui ont apporté une aide financière importante. La disponibilité de produits pétroliers sur le marché, par exemple, est en grande partie due à une facilité de crédit de 3,6 milliards de dollars octroyée par Téhéran à Damas en août 2013 et exclusivement dédiée à l’achat de produits pétroliers iraniens. Un autre prêt d’un milliard de dollars dédié au financement de diverses autres importations a aussi été accordé par l'Iran en janvier 2013. En décembre de l’année dernière, lors de l’émission d’un appel d’offres pour l’achat de sucre, de riz et d’autres denrées alimentaires par une entreprise publique syrienne, celle-ci annonçait que les entreprises candidates se feraient payer directement par des banques iraniennes. L’annonce symbolisait la dépendance grandissante de Damas vis-à-vis de son allié.
Une situation bien différente dans les zones de l’opposition
Dans les régions sous contrôle de l’opposition, qui représentent entre 30 et 40 % de la surface totale du pays, la situation est très différente.
Les services de l'État ne fonctionnent pas, l'activité économique formelle est presque entièrement à l'arrêt, le courant électrique n’est disponible que quelques heures par jour, les communications téléphoniques sont en grande partie à l’arrêt, beaucoup de produits de base, en particulier les médicaments, ne sont pas disponibles, les enfants ne sont pas scolarisés et souvent pas vaccinés, la pauvreté et la faim sont très répandues. Selon l’Escwa, un organisme affilié à l’Onu basé à Beyrouth, quelque 29 % de la population syrienne était privée d’accès à l'eau potable fin 2013.
Dans ces régions, qui sont au départ parmi les plus pauvres du pays, en particulier les régions rurales du nord du pays autour des villes d’Alep, de Raqqa et d’Idlib, la population limite sa consommation aux produits et services de base et ne mange, par exemple, quasiment plus de fruits et de légumes, sans parler de viande.
Les champs pétrolifères qui sont tombés aux mains de l’opposition constituent une rare source de revenus même si la production de ces champs s’est effondrée par rapport à son niveau d’avant le soulèvement.
Parmi les autres ressources de ces régions figurent l’aide des organisations d’expatriés qui soutiennent le soulèvement syrien ainsi que celles en provenance des pays du Golfe qui vont aussi bien à l’effort militaire qu’à l’aide humanitaire.
Par ailleurs, les salaires de la plupart des fonctionnaires continuent à être versés d’une manière plus ou moins régulière. Si l’État syrien continue à payer ses fonctionnaires, c’est probablement parce que les autorités à Damas n’ont pas perdu tout espoir de reconquérir un jour l’ensemble du territoire national et qu’elles souhaitent garder dans les zones rebelles une emprise sur une partie de la population qui dépend d’autant plus de ces salaires que les autres sources potentielles de revenus sont quasi inexistantes.
La situation est-elle durable ?
L’expérience de l'Irak témoigne que les conditions économiques et sociales d’un pays peuvent se détériorer de manière significative sans avoir beaucoup d'impact sur la politique d’un régime très brutal et déterminé. En dépit de trois années de conflit, les autorités syriennes continuent de financer les besoins élémentaires d’une partie importante de leur population. Dans la mesure où elles maintiennent leur politique de réduction au strict minimum de leurs dépenses, et qu’elles continuent de recevoir à la fois l’aide de leurs alliés et des institutions internationales, les autorités syriennes parviendront sur le moyen terme à subvenir à la fois aux besoins humanitaires et à ceux requis par l’effort de guerre.
Le régime syrien a aussi réussi à forcer sa population à accepter une spirale à la baisse progressive de ses attentes, en blâmant l’opposition, la communauté internationale et les sanctions pour les difficultés économiques, et en imposant un contrôle strict sur la dissidence dans les régions sous son contrôle.
Cependant, il reste à voir si tous les indicateurs économiques et sociaux peuvent continuer à se détériorer sans à un moment donné mettre en danger le système. En outre, la dégradation continue des finances publiques affaiblit le régime dans ses relations avec ses alliés. Contrairement à l'Irak, les autorités syriennes n’ont pas de ressources pétrolières propres, comme celles qui ont permis à Saddam Hussein de maintenir son régime à flots, alors que l'Iran, dont le régime dépend de plus en plus, a ses propres difficultés économiques et financières.
Compte tenu des ravages qu’a subis le pays, de la forte baisse de l’activité économique, de la chute des réserves de change et de la destruction des infrastructures, le fait que l'économie syrienne apparaisse comme continuant à fonctionner plus ou moins normalement peut paraître surprenant.
Les facteurs de cette apparente normalité
Cette apparente normalité est due à plusieurs facteurs :
Premièrement, la baisse de l’activité économique et la pauvreté galopante ont entraîné une baisse drastique du pouvoir d’achat de la population et donc de la demande, ce qui a eu pour conséquence de faciliter la fourniture de biens et de services par le gouvernement. L’arrêt de milliers d’usines et la fermeture de nombreuses entreprises de services ont, par exemple, réduit la demande d’électricité alors que l’insécurité sur les routes a réduit la consommation d’essence. Il faut aussi ajouter comme facteur de baisse de la demande la chute d’environ 15 % de la population, à cause de l’exil ou des décès.
Deuxièmement, la Syrie reçoit des aides très importantes de la communauté internationale dont la plus grande partie est distribuée à l’intérieur de la Syrie et une partie minoritaire auprès des réfugiés à l’extérieur du pays. L’année dernière, environ un milliard de dollars ont été versés par les pays donateurs alors que pour 2014 environ 2,4 milliards de dollars sont attendus. Ces montants, alloués en partie à l’aide alimentaire et médicale, entrent dans le circuit économique syrien et permettent de dynamiser certains secteurs.
Troisièmement, dès 2011, le gouvernement a commencé à planifier et à réduire ses dépenses. En octobre 2011, une augmentation des tarifs douaniers sur l’importation de véhicules de tourisme a été adoptée dans l’objectif de réduire les sorties de devises. L’importation de voitures représentait l'une des principales dépenses en devises étrangères. Le gouvernement a de même rapidement réduit ses frais de fonctionnement et a demandé en décembre 2011 à son administration publique de réduire toutes ses dépenses courantes de 25 %, à l’exception des salaires. Les frais d’investissement tels que la construction de nouvelles écoles, d’hôpitaux, de routes ou de réseaux d'assainissement d'eau et qui représentaient en moyenne entre 30 et 40 % du total des dépenses budgétaires ont été suspendues à l’exception de quelques projets stratégiques, comme les usines de traitement de gaz.
Quatrièmement, le gouvernement a réussi à capitaliser sur la relative diversité de son économie et sa richesse en ressources naturelles. Pendant les trois premières années du soulèvement, le niveau des pluies a été important entraînant de bonnes récoltes agricoles qui ont permis d’assurer l'approvisionnement alimentaire des villes et de fournir des revenus stables aux agriculteurs et aux communautés rurales. Par ailleurs, les centrales électriques ont continué à tourner, car elles fonctionnent essentiellement au gaz naturel dont les champs se trouvent toujours sous le contrôle des autorités publiques.
Cinquièmement, la baisse de la valeur de la monnaie nationale – la livre syrienne a chuté de 47 livres pour un dollar en mars 2011 à 150 livres en janvier 2014 – a contribué à augmenter la valeur en livres syriennes des avoirs considérables en devises. La Banque centrale a dépensé une partie importante de ces réserves pour maintenir la valeur de sa monnaie face aux principales devises internationales. Ces réserves, qui se montaient à environ 20 milliards de dollars à la fin 2010, ont également servi au financement des importations et pour couvrir d'autres dépenses courantes.
Sixièmement, le gouvernement a pu compter sur des alliés internationaux solides et fiables, qui ont apporté une aide financière importante. La disponibilité de produits pétroliers sur le marché, par exemple, est en grande partie due à une facilité de crédit de 3,6 milliards de dollars octroyée par Téhéran à Damas en août 2013 et exclusivement dédiée à l’achat de produits pétroliers iraniens. Un autre prêt d’un milliard de dollars dédié au financement de diverses autres importations a aussi été accordé par l'Iran en janvier 2013. En décembre de l’année dernière, lors de l’émission d’un appel d’offres pour l’achat de sucre, de riz et d’autres denrées alimentaires par une entreprise publique syrienne, celle-ci annonçait que les entreprises candidates se feraient payer directement par des banques iraniennes. L’annonce symbolisait la dépendance grandissante de Damas vis-à-vis de son allié.
Une situation bien différente dans les zones de l’opposition
Dans les régions sous contrôle de l’opposition, qui représentent entre 30 et 40 % de la surface totale du pays, la situation est très différente.
Les services de l'État ne fonctionnent pas, l'activité économique formelle est presque entièrement à l'arrêt, le courant électrique n’est disponible que quelques heures par jour, les communications téléphoniques sont en grande partie à l’arrêt, beaucoup de produits de base, en particulier les médicaments, ne sont pas disponibles, les enfants ne sont pas scolarisés et souvent pas vaccinés, la pauvreté et la faim sont très répandues. Selon l’Escwa, un organisme affilié à l’Onu basé à Beyrouth, quelque 29 % de la population syrienne était privée d’accès à l'eau potable fin 2013.
Dans ces régions, qui sont au départ parmi les plus pauvres du pays, en particulier les régions rurales du nord du pays autour des villes d’Alep, de Raqqa et d’Idlib, la population limite sa consommation aux produits et services de base et ne mange, par exemple, quasiment plus de fruits et de légumes, sans parler de viande.
Les champs pétrolifères qui sont tombés aux mains de l’opposition constituent une rare source de revenus même si la production de ces champs s’est effondrée par rapport à son niveau d’avant le soulèvement.
Parmi les autres ressources de ces régions figurent l’aide des organisations d’expatriés qui soutiennent le soulèvement syrien ainsi que celles en provenance des pays du Golfe qui vont aussi bien à l’effort militaire qu’à l’aide humanitaire.
Par ailleurs, les salaires de la plupart des fonctionnaires continuent à être versés d’une manière plus ou moins régulière. Si l’État syrien continue à payer ses fonctionnaires, c’est probablement parce que les autorités à Damas n’ont pas perdu tout espoir de reconquérir un jour l’ensemble du territoire national et qu’elles souhaitent garder dans les zones rebelles une emprise sur une partie de la population qui dépend d’autant plus de ces salaires que les autres sources potentielles de revenus sont quasi inexistantes.
La situation est-elle durable ?
L’expérience de l'Irak témoigne que les conditions économiques et sociales d’un pays peuvent se détériorer de manière significative sans avoir beaucoup d'impact sur la politique d’un régime très brutal et déterminé. En dépit de trois années de conflit, les autorités syriennes continuent de financer les besoins élémentaires d’une partie importante de leur population. Dans la mesure où elles maintiennent leur politique de réduction au strict minimum de leurs dépenses, et qu’elles continuent de recevoir à la fois l’aide de leurs alliés et des institutions internationales, les autorités syriennes parviendront sur le moyen terme à subvenir à la fois aux besoins humanitaires et à ceux requis par l’effort de guerre.
Le régime syrien a aussi réussi à forcer sa population à accepter une spirale à la baisse progressive de ses attentes, en blâmant l’opposition, la communauté internationale et les sanctions pour les difficultés économiques, et en imposant un contrôle strict sur la dissidence dans les régions sous son contrôle.
Cependant, il reste à voir si tous les indicateurs économiques et sociaux peuvent continuer à se détériorer sans à un moment donné mettre en danger le système. En outre, la dégradation continue des finances publiques affaiblit le régime dans ses relations avec ses alliés. Contrairement à l'Irak, les autorités syriennes n’ont pas de ressources pétrolières propres, comme celles qui ont permis à Saddam Hussein de maintenir son régime à flots, alors que l'Iran, dont le régime dépend de plus en plus, a ses propres difficultés économiques et financières.