Soyons honnêtes : Karoo – le personnage central du roman – est un sale type, antipathique, tant son égoïsme suinte à toutes les pages de ce roman. Mais Karoo est aussi une fiction époustouflante sur la descente aux enfers d’un “intello-alcoolo”, revenu de tout. Écrivain raté, Karoo s’est reconverti en script doctor (il reformate des films pour les faire coïncider avec les standards commerciaux). « Je garde l’œil sur l’histoire, sur l’intrigue, et j’élimine tout et tous ceux qui n’y contribuent pas. Je simplifie la condition humaine (…). Il m’arrive de me dire que cette approche a été mise en pratique dans la vraie vie, que des hommes comme Adolf Hitler, Joseph Staline, Pol Pot, Nicolae Ceausescu et d’autres ont intégré à leurs projets certaines techniques que j’utilise pour plier un scénario. Je pense parfois que tous les tyrans sont des écrivaillons glorifiés, des hommes qui réécrivent, comme moi. » L’histoire débute à New York dans les années 1980. Karoo assiste à la fête de fin d’année d’un riche couple en tentant de se “bourrer la gueule” pour mieux supporter l’ennui du moment. Mais l’homme est atteint d’un mal mystérieux, qui l’empêche d’atteindre l’ivresse. Un premier “dysfonctionnement” qu’il doit vivre, entre les assauts de son ex-épouse, une blonde platine affublée de robes ornées d’images d’espèces en voie de disparition, d’un fils adopté en manque d’affection et d’un “patron”, gros producteur hollywoodien. Dans ce roman, le scénariste et dramaturge Steve Tesich dézingue avec brio cette “société de spectacle” américaine. D’une ironie folle, d’un humour noir délectable, cette odyssée (600 pages tout de même) devient aussi « une histoire de rédemption impossible, une fable burlesque sur la lâcheté », comme l’écrit un critique des Inrocks. Une fois plongé dans ses méandres absurdes, vous ne pourrez plus le lâcher.
“Karoo”, de Steve Tesich, édition Monsieur Toussaint Louverture, 608 pages, 30 dollars.
“Karoo”, de Steve Tesich, édition Monsieur Toussaint Louverture, 608 pages, 30 dollars.