Depuis deux ans la Syrie menace de mettre en place un boycott des entreprises turques. Même s’il venait à être imposé, les relations à la fois proches et complexes entre les deux pays limiteraient son impact.
Le ministère syrien de l’Économie a annoncé en avril son intention de mettre en place un boycott des entreprises et des produits turcs.
Conçu à l’instar du bureau de boycott des produits israéliens, imposé depuis plusieurs décennies par la Ligue arabe, un nouvel organisme sera créé avec l’objectif de « punir les entreprises turques complices de la destruction de l’économie syrienne », selon les dires d’un officiel.
Contrairement au boycott israélien donc, le boycott contre la Turquie ne viserait que les entreprises identifiées comme ayant volontairement nui à l’économie syrienne. Une liste noire de ces entreprises serait publiée avec interdiction pour les acteurs économiques syriens d’entretenir des rapports et de commercer avec elles.
Ce n’est pas la première fois que Damas menace de boycotter des entreprises turques, plusieurs annonces précédentes durant les deux dernières années n’ayant pas été suivies d’effet. Le ministère affirme cependant que cette fois il sera imposé sans faute et à très courte échéance.
Damas présente cette mesure comme une réaction au soutien affiché de la Turquie à l’opposition syrienne. En plus d’accueillir les principaux groupes politiques de l’opposition, la Turquie sert aussi de base arrière à l’Armée syrienne libre (ASL) et aux nombreux groupes armés qui y lui sont affiliés en plus de servir de porte d’accès à la livraison d’armes, d’équipements et de denrées pour tout le nord syrien qui échappe toujours au contrôle du régime.
Plus particulièrement dans le cas de ce boycott, les officiels syriens accusent les autorités turques d’avoir facilité le pillage de centaines d’usines alépines en permettant la revente sur leur territoire des équipements, machines et stocks volés au lendemain de l’assaut de l’opposition syrienne sur la grande ville du Nord à l’été 2012. La destruction de la base industrielle de la ville d’Alep, qui jusqu’à l’été 2012 avait été largement épargnée par le conflit, est considérée comme l’un des principaux coups portés à l’économie syrienne.
La Turquie est également accusée de contribuer au pillage de la Syrie en autorisant l’exportation à travers son territoire de pétrole extrait par les groupes rebelles.
Le président de la Fédération syrienne des Chambres d’industrie, Farès Chéhabi, un Alépin, est à la pointe des accusations de soutien aux pillages lancées contre les autorités turques. Il a même réclamé que le boycott concerne les entreprises qui ont financé la campagne électorale du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan. Les accusations du régime syrien ont été jusque-là largement ignorées par les officiels turcs.
Ce boycott, qui placerait la Turquie au même rang qu’Israël, l’ennemi historique de la Syrie, symbolise la détérioration dramatique des relations entre Damas et Ankara.
L’idylle des années 2000
Durant les années 2000, les deux pays avaient réussi à nouer des relations politique et économique stratégiques. Les échanges commerciaux avaient été libéralisés après la mise en place d’une zone de libre-échange en 2007, la levée des visas et des réunions communes des gouvernements des deux pays avaient été organisées.
La construction conjointe d’un barrage sur l’Oronte, à la frontière du Sandjak d’Alexandrette, un territoire turc officiel réclamé par la Syrie, symbolisait la force de ces relations qui se basaient aussi sur des rapports personnels étroits entre les présidents Assad et Erdogan.
Dans les années qui ont suivi la mise en place de la zone de libre-échange, les échanges économiques ont explosé et les produits turcs ont inondé le marché syrien. En 2010, le commerce bilatéral a atteint un pic de 2,3 milliards de dollars – contre seulement 700 millions de dollars quatre ans plus tôt –, largement en faveur des exportateurs turcs.
Des banques turques ont annoncé l’ouverture de bureaux de représentation à Damas ; une chaîne hôtelière, Dedeman Hotels, a signé des contrats pour la gestion de trois hôtels propriété de l’État, dont un dans la capitale syrienne ; une cimenterie turque a vu le jour dans le nord du pays.
Pour Ankara, l’idylle avec la Syrie a symbolisé le succès de sa politique du « zéro problème avec les voisins » et a permis de reprendre pied dans ce qui faisait autrefois parti de l’Empire ottoman. Pour la Syrie, c’était l’espoir d’attirer à terme des investisseurs qui voudraient profiter de l’accès au marché turc que leur offrait l’accord de libre-échange ainsi que de développer le secteur des services.
Sans surprise, les relations entre les deux pays ont basculé après le soulèvement populaire de mars 2011 qu’Ankara a clairement soutenu au grand dam de Bachar el-Assad. Les échanges économiques ont pâti de cette hostilité nouvelle entre les deux pays ainsi que de la tournure violente du soulèvement à partir de l’automne 2011. En 2012, le volume des échanges a ainsi chuté à 564 millions, soit environ le quart du niveau de 2010 ; l’accord de libre-échange a été suspendu ; alors que le contrat de gestion hôtelière confiée à Dedeman, par exemple, a été annulé.
Ankara s’adapte et limite la casse
Depuis l’année dernière, la situation s’est cependant partiellement retournée. La destruction de larges pans de l’économie syrienne, en particulier dans le Nord, a créé une baisse de l’offre et ouvert de nouvelles opportunités pour les entreprises turques.
En conséquent, en 2013, les échanges bilatéraux, en particulier les exportations turques, ont à nouveau augmenté. Selon l’office turc des statistiques, le total des échanges bilatéraux a atteint 1,1 milliard de dollars, dont un milliard de dollars d’exportations turques, soit bien en dessous du niveau d’avant le conflit, mais le double de l’année précédente quand les exportations turques avaient atteint 497 millions.
Les produits exportés de Turquie, souvent par des commerçants syriens qui s’y sont installés après avoir été forcés de quitter leur pays, permettent de pallier la demande de la population habitant le nord du pays.
Les données indiquent que le commerce bilatéral s’est accéléré à la fin de l’année dernière et que cette tendance s’est confirmée au début de 2014. Les exportations syriennes, bien que nettement moins importantes, augmentent également. En janvier et février 2014, les exportations syriennes avaient doublé par rapport à la même période de 2013.
Les statistiques turques ne fournissent pas de détails sur la nature des produits échangés, mais il est probable que la croissance des exportations syriennes constatée à la fin 2013 et au début 2014 est le résultat de la vente de pétrole
extrait des champs de l’est et du nord du pays. À part le pétrole et quelques produits agricoles il ne reste en effet pas grand-chose à exporter de ces régions.
L’économie turque a également bénéficié de l’afflux d’investisseurs syriens ayant fui leur pays.
Selon l’Union des Chambres de commerce turques, les Syriens étaient les investisseurs étrangers les plus nombreux en 2013. Sur les 3 875 entreprises ayant des actionnaires étrangers établies l’année dernière en Turquie, 489, soit 12,6 % du total, avaient au moins un Syrien parmi leurs actionnaires. Les Syriens étaient suivis par les Allemands avec 394 entreprises et les Iraniens avec 280. Ces chiffres confirment qu’une bonne partie de la communauté syrienne établie en Turquie est relativement aisée mais aussi qu’elle s’est rendu compte que le conflit allait durer et qu’en conséquent elle planifie de s’installer durablement dans son pays d’accueil.
Des relations proches et complexes
L’ajournement à plusieurs reprises par le régime syrien de l’application d’un boycott commercial contre la Turquie reflète la nature à la fois proche et complexe des relations entre les deux pays. Alors que, par exemple, le boycott d’Israël est une conséquence de son occupation de la Palestine et de la négation du droit des Palestiniens sur leur terre, dans le cas de la Turquie, des relations bien plus anciennes lient les deux sociétés.
D’ailleurs, alors qu’il n’existe aucune sorte de relation entre la Syrie et l’État hébreu, les autorités syriennes ont fait l’effort depuis le début de la brouille avec Ankara de préciser que c’était avec le gouvernement turc, non le peuple, qu’ils étaient en conflit. Certains segments de la population turque, en particulier la communauté alévie, religieusement proche des alaouites, ainsi qu’une partie de la mouvance ultranationaliste et laïque, soutiennent le régime syrien, qui doit s’assurer que le boycott n’est pas perçu comme les visant.
Sans compter que, même s’il est imposé, tout boycott n’aura aujourd’hui qu’un impact limité. Les marchandises turques transitent par les postes-frontières de la frontière nord, que Damas ne contrôle plus depuis bien longtemps.
Conçu à l’instar du bureau de boycott des produits israéliens, imposé depuis plusieurs décennies par la Ligue arabe, un nouvel organisme sera créé avec l’objectif de « punir les entreprises turques complices de la destruction de l’économie syrienne », selon les dires d’un officiel.
Contrairement au boycott israélien donc, le boycott contre la Turquie ne viserait que les entreprises identifiées comme ayant volontairement nui à l’économie syrienne. Une liste noire de ces entreprises serait publiée avec interdiction pour les acteurs économiques syriens d’entretenir des rapports et de commercer avec elles.
Ce n’est pas la première fois que Damas menace de boycotter des entreprises turques, plusieurs annonces précédentes durant les deux dernières années n’ayant pas été suivies d’effet. Le ministère affirme cependant que cette fois il sera imposé sans faute et à très courte échéance.
Damas présente cette mesure comme une réaction au soutien affiché de la Turquie à l’opposition syrienne. En plus d’accueillir les principaux groupes politiques de l’opposition, la Turquie sert aussi de base arrière à l’Armée syrienne libre (ASL) et aux nombreux groupes armés qui y lui sont affiliés en plus de servir de porte d’accès à la livraison d’armes, d’équipements et de denrées pour tout le nord syrien qui échappe toujours au contrôle du régime.
Plus particulièrement dans le cas de ce boycott, les officiels syriens accusent les autorités turques d’avoir facilité le pillage de centaines d’usines alépines en permettant la revente sur leur territoire des équipements, machines et stocks volés au lendemain de l’assaut de l’opposition syrienne sur la grande ville du Nord à l’été 2012. La destruction de la base industrielle de la ville d’Alep, qui jusqu’à l’été 2012 avait été largement épargnée par le conflit, est considérée comme l’un des principaux coups portés à l’économie syrienne.
La Turquie est également accusée de contribuer au pillage de la Syrie en autorisant l’exportation à travers son territoire de pétrole extrait par les groupes rebelles.
Le président de la Fédération syrienne des Chambres d’industrie, Farès Chéhabi, un Alépin, est à la pointe des accusations de soutien aux pillages lancées contre les autorités turques. Il a même réclamé que le boycott concerne les entreprises qui ont financé la campagne électorale du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan. Les accusations du régime syrien ont été jusque-là largement ignorées par les officiels turcs.
Ce boycott, qui placerait la Turquie au même rang qu’Israël, l’ennemi historique de la Syrie, symbolise la détérioration dramatique des relations entre Damas et Ankara.
L’idylle des années 2000
Durant les années 2000, les deux pays avaient réussi à nouer des relations politique et économique stratégiques. Les échanges commerciaux avaient été libéralisés après la mise en place d’une zone de libre-échange en 2007, la levée des visas et des réunions communes des gouvernements des deux pays avaient été organisées.
La construction conjointe d’un barrage sur l’Oronte, à la frontière du Sandjak d’Alexandrette, un territoire turc officiel réclamé par la Syrie, symbolisait la force de ces relations qui se basaient aussi sur des rapports personnels étroits entre les présidents Assad et Erdogan.
Dans les années qui ont suivi la mise en place de la zone de libre-échange, les échanges économiques ont explosé et les produits turcs ont inondé le marché syrien. En 2010, le commerce bilatéral a atteint un pic de 2,3 milliards de dollars – contre seulement 700 millions de dollars quatre ans plus tôt –, largement en faveur des exportateurs turcs.
Des banques turques ont annoncé l’ouverture de bureaux de représentation à Damas ; une chaîne hôtelière, Dedeman Hotels, a signé des contrats pour la gestion de trois hôtels propriété de l’État, dont un dans la capitale syrienne ; une cimenterie turque a vu le jour dans le nord du pays.
Pour Ankara, l’idylle avec la Syrie a symbolisé le succès de sa politique du « zéro problème avec les voisins » et a permis de reprendre pied dans ce qui faisait autrefois parti de l’Empire ottoman. Pour la Syrie, c’était l’espoir d’attirer à terme des investisseurs qui voudraient profiter de l’accès au marché turc que leur offrait l’accord de libre-échange ainsi que de développer le secteur des services.
Sans surprise, les relations entre les deux pays ont basculé après le soulèvement populaire de mars 2011 qu’Ankara a clairement soutenu au grand dam de Bachar el-Assad. Les échanges économiques ont pâti de cette hostilité nouvelle entre les deux pays ainsi que de la tournure violente du soulèvement à partir de l’automne 2011. En 2012, le volume des échanges a ainsi chuté à 564 millions, soit environ le quart du niveau de 2010 ; l’accord de libre-échange a été suspendu ; alors que le contrat de gestion hôtelière confiée à Dedeman, par exemple, a été annulé.
Ankara s’adapte et limite la casse
Depuis l’année dernière, la situation s’est cependant partiellement retournée. La destruction de larges pans de l’économie syrienne, en particulier dans le Nord, a créé une baisse de l’offre et ouvert de nouvelles opportunités pour les entreprises turques.
En conséquent, en 2013, les échanges bilatéraux, en particulier les exportations turques, ont à nouveau augmenté. Selon l’office turc des statistiques, le total des échanges bilatéraux a atteint 1,1 milliard de dollars, dont un milliard de dollars d’exportations turques, soit bien en dessous du niveau d’avant le conflit, mais le double de l’année précédente quand les exportations turques avaient atteint 497 millions.
Les produits exportés de Turquie, souvent par des commerçants syriens qui s’y sont installés après avoir été forcés de quitter leur pays, permettent de pallier la demande de la population habitant le nord du pays.
Les données indiquent que le commerce bilatéral s’est accéléré à la fin de l’année dernière et que cette tendance s’est confirmée au début de 2014. Les exportations syriennes, bien que nettement moins importantes, augmentent également. En janvier et février 2014, les exportations syriennes avaient doublé par rapport à la même période de 2013.
Les statistiques turques ne fournissent pas de détails sur la nature des produits échangés, mais il est probable que la croissance des exportations syriennes constatée à la fin 2013 et au début 2014 est le résultat de la vente de pétrole
extrait des champs de l’est et du nord du pays. À part le pétrole et quelques produits agricoles il ne reste en effet pas grand-chose à exporter de ces régions.
L’économie turque a également bénéficié de l’afflux d’investisseurs syriens ayant fui leur pays.
Selon l’Union des Chambres de commerce turques, les Syriens étaient les investisseurs étrangers les plus nombreux en 2013. Sur les 3 875 entreprises ayant des actionnaires étrangers établies l’année dernière en Turquie, 489, soit 12,6 % du total, avaient au moins un Syrien parmi leurs actionnaires. Les Syriens étaient suivis par les Allemands avec 394 entreprises et les Iraniens avec 280. Ces chiffres confirment qu’une bonne partie de la communauté syrienne établie en Turquie est relativement aisée mais aussi qu’elle s’est rendu compte que le conflit allait durer et qu’en conséquent elle planifie de s’installer durablement dans son pays d’accueil.
Des relations proches et complexes
L’ajournement à plusieurs reprises par le régime syrien de l’application d’un boycott commercial contre la Turquie reflète la nature à la fois proche et complexe des relations entre les deux pays. Alors que, par exemple, le boycott d’Israël est une conséquence de son occupation de la Palestine et de la négation du droit des Palestiniens sur leur terre, dans le cas de la Turquie, des relations bien plus anciennes lient les deux sociétés.
D’ailleurs, alors qu’il n’existe aucune sorte de relation entre la Syrie et l’État hébreu, les autorités syriennes ont fait l’effort depuis le début de la brouille avec Ankara de préciser que c’était avec le gouvernement turc, non le peuple, qu’ils étaient en conflit. Certains segments de la population turque, en particulier la communauté alévie, religieusement proche des alaouites, ainsi qu’une partie de la mouvance ultranationaliste et laïque, soutiennent le régime syrien, qui doit s’assurer que le boycott n’est pas perçu comme les visant.
Sans compter que, même s’il est imposé, tout boycott n’aura aujourd’hui qu’un impact limité. Les marchandises turques transitent par les postes-frontières de la frontière nord, que Damas ne contrôle plus depuis bien longtemps.