L’attaque éclair au début du mois de juin de l’État islamique en Irak et au Levant qui lui a permis de prendre plusieurs villes du nord-ouest irakien a mis en lumière la puissance et la richesse acquises par l’EIIL.
Cela fait des mois que cette organisation ainsi que d’autres groupes armés se battent pour contrôler les champs pétrolifères de l’est syrien, perdus par le régime au printemps 2013, pour avoir accès à une source de financement autonome et régulière.
Deux principales zones pétrolières
La Syrie a deux principales zones de gisements pétrolifères.
À l’Est, autour de la ville de Deir ez-Zor et jusqu’à la frontière irakienne, se trouvent plusieurs gisements découverts par Shell et Total au milieu des années 1980. La production de ces champs a atteint au milieu des années 1990 un pic de 400 000 barils par jour. Depuis, elle a graduellement diminué et était estimée à environ 125 000 barils par jour à la fin 2010, quelques semaines avant le début du soulèvement syrien.
La seconde grande zone pétrolifère syrienne se trouve dans le nord-est du pays, principalement au nord de la ville de Hassaké et à l’ouest de la ville de Qamishli, dans une région qui est aujourd’hui en grande partie sous le contrôle de la branche militaire du Parti de l’union démocratique (PUD), la filiale syrienne du PKK. Cette zone est celle du pétrole lourd syrien avec les gisements historiques qui ont été développés dès les années 1960, tels celui de Karatchok. Les champs de cette région sont principalement développés par la Syrian Petroleum Company, la société publique syrienne. À partir de 2004, le ministère du Pétrole a lancé plusieurs appels d’offres pour la recherche de nouveaux gisements mais aussi pour redévelopper les champs détenus par SPC. Ces efforts ont permis d’augmenter la production des champs du Nord qui se situait à environ 250 000 barils par jour à la veille du soulèvement.
Dans cette zone, de nombreuses compagnies indépendantes opéraient à la veille du soulèvement, y compris des entreprises chinoises mais aussi Gulfsands, une compagnie britannique dont le partenaire local est Rami Makhlouf, le cousin maternel du président syrien et l’un des hommes les plus riches de Syrie. La production de Gulfsands se situait à la fin 2010 à près de 27 000 barils/jour, soit autant que celle de Total.
La guerre bouleverse le secteur pétrolier
Le secteur pétrolier a été affecté de plusieurs manières par le conflit. À l’automne 2011, les sanctions occidentales, et en particulier européennes, ont interdit l’achat de pétrole brut syrien entraînant une suspension des exportations et une baisse conséquente de la production et des recettes en devises. Le pétrole syrien était à 90 % exporté vers l’Union européenne et représentait 90 % des recettes en devises générées par le secteur public.
Une autre série de sanctions a ensuite visé les entreprises publiques pétrolières, telles SPC mais aussi la General Petroleum Corporation, qui est le partenaire des entreprises étrangères. Ces sanctions ont poussé les entreprises occidentales à se déclarer en situation de force majeure et à se retirer les unes après les autres à la fin de 2011.
Le chaos et le contrôle jihadiste
Le contrôle de l’est du pays au printemps 2013 par les groupes rebelles a constitué un choc. Cet événement a eu deux conséquences majeures : d’une part, il a ôté au gouvernement l’accès à ses champs pétrolifères, le forçant à se retourner vers son allié iranien pour financer ses importations de produits pétroliers et donc à accroître la dépendance de Damas envers Téhéran ; d’autre part, il a déclenché une lutte sans merci pour le contrôle de ces ressources entre les groupes jihadistes pour financer leur effort de guerre.
Cette lutte pour les champs pétrolifères a particulièrement touché la région de Deir ez-Zor où se battent divers groupes jihadistes, tribus arabes et les brigades affiliées à l’Armée libre syrienne. Les champs changent régulièrement de main, passant d’un groupe à un autre, les plus grands champs étant l’objet de batailles particulièrement féroces.
Dans un rapport publié en avril dernier, l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), un organisme basé à Londres, a tenté d’établir une carte du contrôle de ces champs. D’après ce rapport, les plus grands bénéficiaires de la lutte pour le pétrole étaient les tribus locales, les groupes salafistes et le Front al-Nosra (JAN selon son acronyme anglais), le groupe formellement adoubé par el-Qaëda comme étant son représentant en Syrie. Le rapport de l’OSDH a été publié avant les avancées récentes de l’EIIL dans la région.
D’après l’OSDH, en avril le Front al-Nosra extrayait environ 10 000 barils par jour à partir du champ al-Omar qu’il contrôle directement. Il vendrait le baril à 40 dollars, ce qui lui rapporterait donc environ 400 000 dollars par jour. Par ailleurs du gaz est aussi extrait de ce champ et vendu sous forme de bonbonnes. Environ 1 000 bonbonnes seraient distribuées tous les jours et vendues à 3 dollars l’unité.
Des dizaines de tribus locales, certaines opérant de manière indépendante, d’autres étant affiliées à des organisations islamistes produiraient au total environ 40 000 barils par jour à partir de dizaines de champs répartis dans toute la région. Plusieurs de ces tribus sont affiliées à l’EIIL qui bénéficierait donc indirectement d’une rente assez importante même si les revenus en question restent difficiles à chiffrer.
Début juin, l’EIIL prenait selon certaines sources le contrôle du champ d’al-Taïm qui jouxte l’aéroport militaire de Deir ez-Zor. Le niveau de production du champ n’est cependant pas connu.
Les champs situés autour de Hassaké et Qamishli n’ont pas été le théâtre de batailles aussi féroces qu’autour de Deir ez-Zor. Les gisements les plus importants, en particulier celui de Rumeilan, sont contrôlés par les forces kurdes du PUD. Le niveau de production de ces champs n’est pas connu en l’état actuel, mais des sources locales confirment que la production est suffisante pour fournir la région du Nord-Est en produits pétroliers raffinés sur place de manière rudimentaire. Certains rapports font état d’une production d’environ 10 000 barils par jour.
Le régime, un client des groupes armés
Le pétrole syrien est vendu à la fois sur le marché local et à l’exportation. L’année dernière, un marché de vente et de distribution de pétrole s’était créé près de la ville de Manbij, à l’est d’Alep, dans lequel acheteurs et fournisseurs se retrouvaient pour échanger du pétrole brut et des produits raffinés.
Une partie du pétrole extrait serait également exportée vers la Turquie. Les statistiques douanières d’Ankara qui montrent une augmentation des exportations syriennes vers la Turquie à la fin 2013 et au début 2014, sans indiquer leur nature, confirmeraient potentiellement ces informations.
Pendant longtemps, le principal client des groupes rebelles a été… le régime syrien. L’existence d’un commerce de pétrole entre le Front al-Nosra et le régime est corroborée au moins depuis l’été 2013 par de nombreuses sources locales même s’il n’existe pas de traces écrites d’un arrangement. Depuis, le volume de ces échanges semble s’être réduit, en partie à cause de la difficulté de transporter le pétrole d’une région à une autre.
Pendant de nombreux mois, Jabhat al-Nosra aurait également capitalisé sur son contrôle de zones traversées par les oléoducs pour imposer des frais de transit, qui permettaient au pétrole d’atteindre les raffineries de Homs et Banias qui sont sous le contrôle du gouvernement.
Par ailleurs, début 2013, un document écrit faisant part d’un accord entre le PUD kurde et le gouvernement syrien semblait confirmer qu’un accord de vente de pétrole a bien été conclu entre les deux parties. Il est cependant probable que ces échanges ont maintenant cessé, à cause des difficultés de transport du brut.
L’information la plus significative du rapport de l’OSDH est celle qui a trait à l’usine de gaz Conoco, du nom de l’entreprise américaine qui l’a construite. Cette usine qui était sous le contrôle du Front al-Nosra fournirait du gaz à la fois à la station électrique de Jandar à Homs, qui est dans une région contrôlée par le régime, et à des centres de stockage contrôlés par l’EIIL, qui distribue environ 2 000 bonbonnes de gaz par jour vendues aussi à 3 dollars l’unité.
La vente de gaz par le Front al-Nosra à la fois à l’État syrien et à l’EIIL symbolise l’évolution du conflit syrien et le développement de dynamiques propres aux guerres civiles où des ennemis déclarés continuent d’entretenir des relations commerciales dont les deux bénéficient sans pour autant qu’ils arrêtent de se battre.
Depuis la publication de ce rapport, le contrôle de la région Est a graduellement basculé sous le contrôle accru de l’EIIL dont la dynamique d’expansion se fait aussi de l’autre côté de la frontière, en Irak, et dont l’accès aux ressources pétrolières syriennes se renforce.
Deux principales zones pétrolières
La Syrie a deux principales zones de gisements pétrolifères.
À l’Est, autour de la ville de Deir ez-Zor et jusqu’à la frontière irakienne, se trouvent plusieurs gisements découverts par Shell et Total au milieu des années 1980. La production de ces champs a atteint au milieu des années 1990 un pic de 400 000 barils par jour. Depuis, elle a graduellement diminué et était estimée à environ 125 000 barils par jour à la fin 2010, quelques semaines avant le début du soulèvement syrien.
La seconde grande zone pétrolifère syrienne se trouve dans le nord-est du pays, principalement au nord de la ville de Hassaké et à l’ouest de la ville de Qamishli, dans une région qui est aujourd’hui en grande partie sous le contrôle de la branche militaire du Parti de l’union démocratique (PUD), la filiale syrienne du PKK. Cette zone est celle du pétrole lourd syrien avec les gisements historiques qui ont été développés dès les années 1960, tels celui de Karatchok. Les champs de cette région sont principalement développés par la Syrian Petroleum Company, la société publique syrienne. À partir de 2004, le ministère du Pétrole a lancé plusieurs appels d’offres pour la recherche de nouveaux gisements mais aussi pour redévelopper les champs détenus par SPC. Ces efforts ont permis d’augmenter la production des champs du Nord qui se situait à environ 250 000 barils par jour à la veille du soulèvement.
Dans cette zone, de nombreuses compagnies indépendantes opéraient à la veille du soulèvement, y compris des entreprises chinoises mais aussi Gulfsands, une compagnie britannique dont le partenaire local est Rami Makhlouf, le cousin maternel du président syrien et l’un des hommes les plus riches de Syrie. La production de Gulfsands se situait à la fin 2010 à près de 27 000 barils/jour, soit autant que celle de Total.
La guerre bouleverse le secteur pétrolier
Le secteur pétrolier a été affecté de plusieurs manières par le conflit. À l’automne 2011, les sanctions occidentales, et en particulier européennes, ont interdit l’achat de pétrole brut syrien entraînant une suspension des exportations et une baisse conséquente de la production et des recettes en devises. Le pétrole syrien était à 90 % exporté vers l’Union européenne et représentait 90 % des recettes en devises générées par le secteur public.
Une autre série de sanctions a ensuite visé les entreprises publiques pétrolières, telles SPC mais aussi la General Petroleum Corporation, qui est le partenaire des entreprises étrangères. Ces sanctions ont poussé les entreprises occidentales à se déclarer en situation de force majeure et à se retirer les unes après les autres à la fin de 2011.
Le chaos et le contrôle jihadiste
Le contrôle de l’est du pays au printemps 2013 par les groupes rebelles a constitué un choc. Cet événement a eu deux conséquences majeures : d’une part, il a ôté au gouvernement l’accès à ses champs pétrolifères, le forçant à se retourner vers son allié iranien pour financer ses importations de produits pétroliers et donc à accroître la dépendance de Damas envers Téhéran ; d’autre part, il a déclenché une lutte sans merci pour le contrôle de ces ressources entre les groupes jihadistes pour financer leur effort de guerre.
Cette lutte pour les champs pétrolifères a particulièrement touché la région de Deir ez-Zor où se battent divers groupes jihadistes, tribus arabes et les brigades affiliées à l’Armée libre syrienne. Les champs changent régulièrement de main, passant d’un groupe à un autre, les plus grands champs étant l’objet de batailles particulièrement féroces.
Dans un rapport publié en avril dernier, l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), un organisme basé à Londres, a tenté d’établir une carte du contrôle de ces champs. D’après ce rapport, les plus grands bénéficiaires de la lutte pour le pétrole étaient les tribus locales, les groupes salafistes et le Front al-Nosra (JAN selon son acronyme anglais), le groupe formellement adoubé par el-Qaëda comme étant son représentant en Syrie. Le rapport de l’OSDH a été publié avant les avancées récentes de l’EIIL dans la région.
D’après l’OSDH, en avril le Front al-Nosra extrayait environ 10 000 barils par jour à partir du champ al-Omar qu’il contrôle directement. Il vendrait le baril à 40 dollars, ce qui lui rapporterait donc environ 400 000 dollars par jour. Par ailleurs du gaz est aussi extrait de ce champ et vendu sous forme de bonbonnes. Environ 1 000 bonbonnes seraient distribuées tous les jours et vendues à 3 dollars l’unité.
Des dizaines de tribus locales, certaines opérant de manière indépendante, d’autres étant affiliées à des organisations islamistes produiraient au total environ 40 000 barils par jour à partir de dizaines de champs répartis dans toute la région. Plusieurs de ces tribus sont affiliées à l’EIIL qui bénéficierait donc indirectement d’une rente assez importante même si les revenus en question restent difficiles à chiffrer.
Début juin, l’EIIL prenait selon certaines sources le contrôle du champ d’al-Taïm qui jouxte l’aéroport militaire de Deir ez-Zor. Le niveau de production du champ n’est cependant pas connu.
Les champs situés autour de Hassaké et Qamishli n’ont pas été le théâtre de batailles aussi féroces qu’autour de Deir ez-Zor. Les gisements les plus importants, en particulier celui de Rumeilan, sont contrôlés par les forces kurdes du PUD. Le niveau de production de ces champs n’est pas connu en l’état actuel, mais des sources locales confirment que la production est suffisante pour fournir la région du Nord-Est en produits pétroliers raffinés sur place de manière rudimentaire. Certains rapports font état d’une production d’environ 10 000 barils par jour.
Le régime, un client des groupes armés
Le pétrole syrien est vendu à la fois sur le marché local et à l’exportation. L’année dernière, un marché de vente et de distribution de pétrole s’était créé près de la ville de Manbij, à l’est d’Alep, dans lequel acheteurs et fournisseurs se retrouvaient pour échanger du pétrole brut et des produits raffinés.
Une partie du pétrole extrait serait également exportée vers la Turquie. Les statistiques douanières d’Ankara qui montrent une augmentation des exportations syriennes vers la Turquie à la fin 2013 et au début 2014, sans indiquer leur nature, confirmeraient potentiellement ces informations.
Pendant longtemps, le principal client des groupes rebelles a été… le régime syrien. L’existence d’un commerce de pétrole entre le Front al-Nosra et le régime est corroborée au moins depuis l’été 2013 par de nombreuses sources locales même s’il n’existe pas de traces écrites d’un arrangement. Depuis, le volume de ces échanges semble s’être réduit, en partie à cause de la difficulté de transporter le pétrole d’une région à une autre.
Pendant de nombreux mois, Jabhat al-Nosra aurait également capitalisé sur son contrôle de zones traversées par les oléoducs pour imposer des frais de transit, qui permettaient au pétrole d’atteindre les raffineries de Homs et Banias qui sont sous le contrôle du gouvernement.
Par ailleurs, début 2013, un document écrit faisant part d’un accord entre le PUD kurde et le gouvernement syrien semblait confirmer qu’un accord de vente de pétrole a bien été conclu entre les deux parties. Il est cependant probable que ces échanges ont maintenant cessé, à cause des difficultés de transport du brut.
L’information la plus significative du rapport de l’OSDH est celle qui a trait à l’usine de gaz Conoco, du nom de l’entreprise américaine qui l’a construite. Cette usine qui était sous le contrôle du Front al-Nosra fournirait du gaz à la fois à la station électrique de Jandar à Homs, qui est dans une région contrôlée par le régime, et à des centres de stockage contrôlés par l’EIIL, qui distribue environ 2 000 bonbonnes de gaz par jour vendues aussi à 3 dollars l’unité.
La vente de gaz par le Front al-Nosra à la fois à l’État syrien et à l’EIIL symbolise l’évolution du conflit syrien et le développement de dynamiques propres aux guerres civiles où des ennemis déclarés continuent d’entretenir des relations commerciales dont les deux bénéficient sans pour autant qu’ils arrêtent de se battre.
Depuis la publication de ce rapport, le contrôle de la région Est a graduellement basculé sous le contrôle accru de l’EIIL dont la dynamique d’expansion se fait aussi de l’autre côté de la frontière, en Irak, et dont l’accès aux ressources pétrolières syriennes se renforce.