Certains paysages sont si sombres qu’ils donnent l’impression d’être hantés. Surtout chez l’écrivain américain Ron Rash, qui dépeint dans ses romans les paysages de Caroline du Sud, sa région. Dans “Une terre d’ombre”, son nouveau roman, il choisit un vallon désolé sous une falaise d’ombre
comme « scène de crime ». C’est ici que vivent deux orphelins, Laurel et Hank, dans la ferme de leurs parents décédés. Et c’est ici que va se nouer leur destin. On peut croire que la guigne les accompagne depuis toujours. Au point que les autres habitants voient en eux des porteurs du “mauvais sort”. On peut croire aussi que c’est ce vallon, qui les enferme dans une forme de malédiction. Qu’importe : tous deux ont l’habitude d’être rejetés. Pourtant, quand ce roman débute, Hank songe à se marier et à quitter le vallon. Dans le même temps, Laurel débusque sur la crête de la montagne, un “étrange étranger” qui se révèle muet, musicien hors pair et dont elle s’éprend. Autour de ces deux couples, Ron Rash décrit l’atmosphère d’une petite communauté dans les derniers mois de la guerre de 14-18, qui, aux États-Unis aussi, divise les hommes. Il prolonge ainsi une réflexion, présente dans tous ses romans, sur la folie guerrière des hommes, la puissance de la nature mais également celle de l’éducation, capable de sortir les hommes de la sauvagerie. Dans le décor sinistre, le romancier installe une femme, une héroïne courageuse qui sait à la fois travailler dur à la ferme et rêver près de la rivière d’un destin meilleur. Un roman rugueux comme les paysages, un conte mélancolique, où un joueur de flûte vient secouer hommes et femmes, révéler leur vraie nature, pour s’éloigner finalement, laissant derrière lui la désolation.
Ron Rash, “Une terre d’ombre”, Seuil, 25 dollars.