Un article du Dossier

Kfardebiane poursuit sa mue

En 2014, les ventes immobilières à Kfardebiane ont encore ralenti par rapport à celles de 2013. Pour la première fois, les promoteurs ont brisé la glace et affichent officiellement des baisses de prix de 10 à 15 %. Parallèlement, le marché poursuit une mutation entamée il y a deux ans, avec la commercialisation de superficies de plus en plus petites qui visent la classe moyenne.

L’arrivée des premiers flocons de neige en décembre a fait frémir le marché immobilier à Kfardebiane. « Le téléphone a de nouveau commencé à sonner, les clients s’informent. L’année dernière, les ventes de chalets ont été fortement pénalisées par une saison de ski quasiment inexistante », raconte le promoteur Bassam Chamoun. La fée météo suffira-t-elle pour autant à relancer un marché pratiquement à l’arrêt ? Rien n’est moins sûr. Plus de 750 chalets restent toujours invendus à Kfardebiane et Faraya, un stock à peu près identique à celui de l’année 2013. Près d’un tiers des 45 promoteurs interrogés par Le Commerce du Levant dans ces régions n’ont vendu aucune unité en 2014, et une dizaine de projets livrés en 2013 et 2014 n’ont toujours pas écoulé leurs chalets. « La clientèle a diminué de 80 % depuis l’année 2012 », explique le promoteur Gergi Chaghoury. « Nous avons reçu trois visites pendant toute l’année ! On est très loin de la demande des années 2011-2012, lorsque les clients appelaient chaque semaine en haute saison. Je pense arrêter la construction de chalets à Kfardebiane, qui n’est pas mon métier principal », explique Antoine Farah, un médecin qui achève les Villettes de Faqra et a bâti plusieurs projets dans la région depuis 2008. « Depuis quatre ans, nous lancions chaque année un nouveau projet, mais pour la première fois, ce ne sera pas le cas en 2015. Le marché fonctionne au ralenti », affirme pour sa part Antoine Cordahi, architecte et promoteur dans la région de Tilal el-Assal. Le secteur immobilier à Kfardebiane souffre peut-être encore plus qu’ailleurs au Liban, car il concerne très souvent l’achat d’une résidence secondaire, voire d’une troisième résidence. « Investir dans un chalet dans la région reste aujourd’hui un luxe. En période de crise politique, sécuritaire et économique, la priorité des acheteurs n’est plus de dépenser des centaines de milliers de dollars dans ce type de produit. C’est particulièrement vrai pour les Libanais expatriés dans le Golfe qui représentent une part importante de la clientèle », affirme le promoteur Abdo Madi.
La flambée des constructions depuis 2008 a attiré beaucoup d’acquéreurs dans la région ces dernières années, mais le réservoir de demande n’est pas non plus infini. « La plupart des familles qui souhaitaient acheter dans la région ont déjà investi et il faudra au moins attendre cinq ans pour espérer un renouvellement de la demande », assure Chahé Yérévanian, le PDG de Sayfco. L’offre de projets reste très largement supérieure à la demande, avec plus de 1 200 chalets en construction répartis sur une cinquantaine de projets. Les investisseurs, qui avaient l’habitude d’acheter des chalets pour les revendre ultérieurement avec des plus-values ou les mettre en location, ne se pressent pas non plus au portillon. « Un certain nombre d’investisseurs qui ont acheté des unités dans des gros projets en 2011-2012 réalisent même qu’ils risquent de faire des moins-values et cherchent même à résilier leurs contrats », affirme Jade Zoghaib, directeur associé du groupe JSK Real Estate.

Des budgets plus étriqués

Les chalets haut de gamme sont les premiers touchés, en particulier dans la tranche supérieure à 500 000 dollars, même s’ils sont situés à de beaux emplacements, à deux pas des pistes de Ouyoun el-Simane, ou à l’intérieur de Faqra Club. « Au-delà de 300 000 dollars, la clientèle se fait très rare. Ce segment de marché a disparu pour le moment », soutient Antoine Rizk, ancien directeur de Faqra Club. Le promoteur, qui avait débuté la construction de trois vastes villas de luxe à Kfardebiane, a dû stopper net il y a quelques mois les travaux, face à l’absence totale de demande. La plupart des projets de la région sont aujourd’hui affichés entre 300 000 et 500 000 dollars. Encore trop cher pour la majorité des acheteurs. Surtout que la plupart des nouveaux chalets lancés ces dernières années ne sont plus tout près des pistes, alors que les chalets restent davantage prisés en hiver. « Le budget moyen recherché par la clientèle oscille autour de 200 000 dollars. La plupart des acheteurs sont des familles avec des enfants en bas âge, qui sont intéressés par des 90 m² avec deux chambres à coucher. C’est une superficie suffisante pour passer des week-ends pendant l’hiver et quelques semaines l’été », soutient Jade Zoghaib. Depuis l’année dernière, les promoteurs ont lancé une demi-douzaine de projets pour répondre à une demande émergente avide de petites tailles. Ils proposent des unités en dessous de 100 m², dont les tarifs débutent à 110 000 dollars. C’est en particulier le cas d’un certain nombre d’unités dans les projets Sunset, les Roches, ou RedRock, dont le groupe Sayfco assure la promotion immobilière. « Dans les nouveaux projets, chaque espace est rationalisé, sur le modèle des stations européennes. De petits chalets consomment beaucoup moins d’électricité ou de mazout, ce qui est primordial pour des acheteurs qui souhaitent limiter leurs frais de copropriété. Pour un chalet de 80 m², les charges sont en moyenne de 1 500 dollars par an », précise Chahé Yérévanian. « Les jeunes couples mariés représentent la grande majorité de nos acheteurs et 20 % sont des célibataires qui recherchent un pied-à-terre à la montagne », poursuit le PDG de Sayfco.

Le boom des petites superficies

Afin de pouvoir lancer des projets aussi compétitifs, les promoteurs se sont éloignés de Ouyoun el-Simane et de Faqra Club, achetant de vastes parcelles à prix réduits et offrant souvent un coefficient de construction leur permettant de bâtir davantage. Zardman s’apprête ainsi à lancer au printemps 140 chalets dans le projet Chabroux, à proximité du barrage, et le groupe Global Properties vient, lui, de démarrer un projet de 48 unités au-dessus du village de Faraya. Autre exemple, la famille Mhanna, qui souhaite entamer début 2015 la construction de 60 “townhouses” à l’intérieur même du village de Kfardebiane. « Les promoteurs utilisent le label Kfardebiane pour mieux vendre, alors qu’ils sont en réalité situés très loin des pistes », estime le promoteur Joe Hobeika, qui achève les Sophia Peaks à Ouyoun el-Simane, près des remontées mécaniques. « Les nouveaux complexes résidentiels n’offrent pas la même qualité de matériaux, la même esthétique que des projets plus haut de gamme, qui sont davantage personnalisés », note pour sa part le promoteur Ghassan Doumit. L’arrivée de ces nouveaux projets a en tout cas obligé les acteurs déjà présents sur le marché à s’adapter. « Les acheteurs souhaitent désormais échelonner leurs paiements, comme ils peuvent le faire dans les complexes résidentiels qui se construisent sur trois ou quatre ans. Au lieu de payer 250 000 dollars en cash, ils préfèrent verser 30 000 dollars tous les trois mois. Cela représente une difficulté supplémentaire pour les plus petits promoteurs qui souhaitent construire des chalets en dix-huit mois », explique Antoine Farah. Les promoteurs ont également été obligés de revoir leurs grilles de prix à la baisse, face à une concurrence accrue. Pour la première fois, une quinzaine d’entre eux interviewés par Le Commerce du Levant affiche officiellement 10 à 15 % de réduction depuis l’année dernière. À cette correction des tarifs peut encore s’ajouter différentes ristournes lors de la phase de négociation. Plusieurs projets proposent même des unités à partir de 1 800 dollars le mètre carré. C’est à Tilal el-Assal – qui concentre le plus de projets – que les prix sont les moins élevés, de 1 900 à 2 500 dollars le mètre carré. On trouve une gamme intermédiaire de chalets – grosso modo de 2 500 à 3 500 dollars le mètre carré – le long de l’ancienne route de Faraya, entre  Kfardebiane et Faqra, et à Tilal Faqra.  Sans surprise, les pics de prix se retrouvent à Ouyoun el-Simane et Faqra Club, où les tarifs peuvent atteindre jusqu’à 5 200 dollars le mètre carré. Sauf quelques exceptions, les promoteurs n’ont pas augmenté leurs tarifs au cours de la construction, comme cela se fait habituellement. « Nous avons effectué nos premières transactions il y a trois ans à 2 500 dollars le mètre carré, dans l’optique de vendre à 3 000 dollars à la livraison, mais nous n’avons finalement pas pu majorer nos tarifs », explique le promoteur Bassam Chamoun. Même scénario dans le projet Edelweiss au cœur de Faqra Club, où les tarifs ont été bloqués cette année, alors qu’il était prévu de les augmenter de 250 dollars par mètre carré pour chaque lot de dix unités vendues. De bonnes nouvelles pour les acheteurs potentiels, qui vont bénéficier d’un large éventail de choix, avec une vingtaine de projets livrés d’ici à la fin du premier semestre 2015. Mais ceux-ci pourraient être aussi tentés d’aller voir ailleurs. « Deux nouveaux marchés vont faire concurrence à Kfardebiane dans les prochaines années : Laqlouq et Zaarour. Des centaines de chalets y seront construits à partir de l’année prochaine, à des tarifs très abordables », soutient Jade Zoghaib. Certains promoteurs, eux, continuent de parier sur la longévité de Kfardebiane. « Il y aura toujours une demande, car c’est là que se trouvent les seules véritables pistes de ski du Moyen-Orient. Il n’existe pas de sérieuse alternative », sourit Mansour Mhanna, promoteur et ancien maire de Kfardebiane.


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