La détérioration des indicateurs macroéconomiques et l’enlisement du conflit syrien ont accéléré les pressions à la baisse sur la livre syrienne qui ne semble plus capable de se relever.
La Banque centrale de Syrie a de plus en plus de mal à freiner la chute de sa monnaie et les craintes d’un décrochage de la livre syrienne augmentent à Damas.
D’août 2014 à début de février 2015, la monnaie nationale syrienne est en effet tombée de 165 livres pour un dollar, la devise de référence sur le marché local, à 245.
Ce n’est pas la première fois que la livre tombe aussi bas puisqu’elle avait atteint les 300 livres pour un dollar en juillet 2013 avant de rebondir, mais cette fois sa chute se fait de manière beaucoup plus graduelle, ce qui donne un sentiment inquiétant d’inexorabilité.
Le dollar est ainsi passé à 180 livres fin août, à 190 en septembre, à 200 livres en novembre, à 210 en décembre et à 220 livres en janvier.
Avant le début du soulèvement en mars 2011, la livre s’était maintenue à un taux proche de 50 livres pour un dollar pendant près de deux décennies. La non-convertibilité de la livre, une balance des paiements positive, des réserves de change importantes faisaient partie des facteurs qui avaient permis la bonne tenue de la monnaie nationale.
Avec l’extension du printemps arabe à la Syrie, la livre a naturellement perdu du terrain. Le soulèvement populaire suivi d’une guerre d’une violence inouïe a en effet eu un impact dévastateur sur les capacités de production du pays et les rentrées de devises. À quoi se sont ajoutées les sanctions occidentales sur le secteur pétrolier qui ont mis fin à l’exportation de brut dont les revenus représentaient une grande majorité des recettes en devises du gouvernement. La fuite des touristes, une autre source importante de devises, dès le début du soulèvement avait également eu un impact important.
Malgré tout, jusqu’à l’été dernier beaucoup d’analystes avaient salué les capacités de résistance de la livre qui avait perdu moins de terrain que prévu, et ce pour plusieurs raisons.
D’abord les réserves importantes détenues par la Banque centrale, qui se montaient à 20 milliards de dollars au début 2011, ont permis pendant longtemps de faire face à la demande croissante en devises du marché que ce soit pour financer les importations ou parer aux pressions engendrées par la fuite des capitaux. La baisse du niveau de l’activité économique et le frein mis par le gouvernement à ses dépenses et ses investissements ont également aidé à faire baisser la demande pour les devises étrangères.
Par ailleurs, avec la guerre, de nouvelles sources de recettes ont vu le jour. L’une d’elles est l’aide apportée aux différents partis du conflit par leurs parrains et alliés régionaux et internationaux. Le gouvernement a bénéficié d’aides conséquentes de ses alliés iraniens et russes – 4,6 milliards de dollars en 2013 et 2014 rien que de la part de Téhéran – alors que les zones détenues par l’opposition ont bénéficié de diverses sources d’aides, soit pour financer l’effort de guerre, soit pour financer les conseils civils locaux créés suite au retrait des troupes du régime, à la fois de la part des pays occidentaux et du Golfe. À cela s’ajoute l’aide humanitaire internationale principalement fournie à travers les agences des Nations unies.
Dans tous les cas ces montants en devises sont rentrés dans le même circuit économique et monétaire syrien et ont donc permis de ralentir la chute de la livre syrienne.
Pourquoi une accélération de la chute depuis l’été dernier
Depuis l’été dernier, cependant, d’autres facteurs se sont conjugués pour accélérer le déclin de la monnaie nationale, principalement l’enlisement du conflit et la détérioration des indicateurs économiques et financiers.
Alors que le président syrien, se basant sur plusieurs victoires de ses troupes, avait promis lors de sa réélection en juillet une fin rapide du conflit, il a été démenti dans les faits à peine quelques semaines plus tard avec la perte de plusieurs bases militaires dans le nord-est et l’avancée de l’opposition dans le sud du pays.
Il est dorénavant clair que, d’une part, ni le régime ni l’opposition ne sont capables de l’emporter sur le terrain et, d’autre part, qu’il n’y a pas de volonté politique internationale pour mettre fin au conflit. D’où la pérennisation de la guerre, la fin de tout espoir d’une reconstruction proche du pays et une fuite renouvelée des capitaux.
Les réserves épuisées
C’est cependant la détérioration des indicateurs macroéconomiques qui pèse le plus lourd.
Depuis des mois maintenant, les décideurs syriens se plaignent de la faiblesse de leurs recettes fiscales. Avec la baisse de l’activité économique l’argent ne rentre plus dans les caisses alors que les réserves sont épuisées et les besoins de l’effort de guerre toujours aussi importants. Sans exportation de pétrole, avec une récolte catastrophique due à un hiver 2013/2014 très sec qui a obligé le gouvernement à importer des volumes importants de céréales, une chute de la production locale, qui oblige à maintenir les importations à un niveau élevé pour faire face à la demande en produits de la population, et la baisse de l’aide internationale due à une lassitude généralisée de tous les parrains et acteurs internationaux, le marché fait face à un déséquilibre structurel sur le marché des devises.
La Banque centrale ne publie plus depuis longtemps l’état de ses réserves rendant difficile toute estimation de sa capacité de financement, mais de l’avis de tous les analystes ces dernières sont au plus bas, potentiellement en dessous de deux milliards de dollars.
En octobre, le gouvernement a bien tenté de demander à son allié russe un prêt d’un milliard de dollars auquel il a répondu par la négative, craignant de ne jamais se faire rembourser, de la même façon que Moscou n’avait pas réussi à se faire rembourser par Damas la dette de 12 milliards de dollars octroyés par l’URSS durant la guerre froide.
Le seul espoir réside aujourd’hui dans l’Iran qui a récemment vu plusieurs délégations syriennes se succéder pour demander de nouvelles lignes de crédit qui permettraient de renflouer les réserves mais Téhéran, qui fait aussi face à des difficultés économiques, semble traîner des pieds.
Les autorités impuissantes
La Banque centrale tente de parer à ces pressions de plusieurs façons. D’abord et surtout en continuant à injecter des devises sur le marché en puisant dans ce qui lui reste de réserves. Le niveau de cette intervention est difficile à estimer en l’absence de données publiques, mais durant la dernière semaine de janvier le gouverneur de la Banque, Adib Mayaleh, avait affirmé que 65 millions de dollars seraient consacrés jusqu’à fin février pour soutenir la monnaie.
La Banque centrale déprécie de même régulièrement le taux de change officiel dans le but de réduire le décalage avec le taux du marché et donc l’attractivité de ce dernier.
Les autorités se sont également lancées dans une campagne de répression et d’arrestation de changeurs au noir dans l’espoir d’obliger tous les intervenants sur le marché à vendre au prix officiel fixé par la Banque centrale. L’administrateur d’une page Facebook qui publiait heure par heure le taux au marché noir de la livre et dont le nombre de “followers” se montait à plusieurs dizaines de milliers s’est même fait arrêter, accusé de diffuser des “rumeurs trompeuses” sur le marché des devises.
Dans une déclaration qui a fait le tour des médias, M. Mayaleh a annoncé que son institution s’apprêtait à intervenir sur le marché des changes libanais où se trouveraient des volumes importants de devises. Les modalités de cette intervention ainsi que son impact sont encore difficiles à évaluer.
Finalement début février le gouvernement annonçait qu’il allait réduire le nombre de licences d’importation qu’il accordait aux importateurs afin de réduire la demande de devises.
Toutes ces mesures semblent être jusque-là largement inefficaces ou en tout cas n’ont pas un impact suffisant pour contrer les pressions baissières sur la livre.
Au vu de la situation économique et politique, il apparaît que la livre syrienne ne peut que continuer à chuter sur le court et moyen terme, seul un dénouement du conflit couplé à une reprise de l’activité économique étant à même de mettre fin à cette baisse.
L’accès à de nouveaux financements, par exemple en provenance d’Iran, ferait gagner aux autorités un peu de temps. Ce ne serait cependant que pour une période limitée et avec de sérieuses implications politiques.
D’août 2014 à début de février 2015, la monnaie nationale syrienne est en effet tombée de 165 livres pour un dollar, la devise de référence sur le marché local, à 245.
Ce n’est pas la première fois que la livre tombe aussi bas puisqu’elle avait atteint les 300 livres pour un dollar en juillet 2013 avant de rebondir, mais cette fois sa chute se fait de manière beaucoup plus graduelle, ce qui donne un sentiment inquiétant d’inexorabilité.
Le dollar est ainsi passé à 180 livres fin août, à 190 en septembre, à 200 livres en novembre, à 210 en décembre et à 220 livres en janvier.
Avant le début du soulèvement en mars 2011, la livre s’était maintenue à un taux proche de 50 livres pour un dollar pendant près de deux décennies. La non-convertibilité de la livre, une balance des paiements positive, des réserves de change importantes faisaient partie des facteurs qui avaient permis la bonne tenue de la monnaie nationale.
Avec l’extension du printemps arabe à la Syrie, la livre a naturellement perdu du terrain. Le soulèvement populaire suivi d’une guerre d’une violence inouïe a en effet eu un impact dévastateur sur les capacités de production du pays et les rentrées de devises. À quoi se sont ajoutées les sanctions occidentales sur le secteur pétrolier qui ont mis fin à l’exportation de brut dont les revenus représentaient une grande majorité des recettes en devises du gouvernement. La fuite des touristes, une autre source importante de devises, dès le début du soulèvement avait également eu un impact important.
Malgré tout, jusqu’à l’été dernier beaucoup d’analystes avaient salué les capacités de résistance de la livre qui avait perdu moins de terrain que prévu, et ce pour plusieurs raisons.
D’abord les réserves importantes détenues par la Banque centrale, qui se montaient à 20 milliards de dollars au début 2011, ont permis pendant longtemps de faire face à la demande croissante en devises du marché que ce soit pour financer les importations ou parer aux pressions engendrées par la fuite des capitaux. La baisse du niveau de l’activité économique et le frein mis par le gouvernement à ses dépenses et ses investissements ont également aidé à faire baisser la demande pour les devises étrangères.
Par ailleurs, avec la guerre, de nouvelles sources de recettes ont vu le jour. L’une d’elles est l’aide apportée aux différents partis du conflit par leurs parrains et alliés régionaux et internationaux. Le gouvernement a bénéficié d’aides conséquentes de ses alliés iraniens et russes – 4,6 milliards de dollars en 2013 et 2014 rien que de la part de Téhéran – alors que les zones détenues par l’opposition ont bénéficié de diverses sources d’aides, soit pour financer l’effort de guerre, soit pour financer les conseils civils locaux créés suite au retrait des troupes du régime, à la fois de la part des pays occidentaux et du Golfe. À cela s’ajoute l’aide humanitaire internationale principalement fournie à travers les agences des Nations unies.
Dans tous les cas ces montants en devises sont rentrés dans le même circuit économique et monétaire syrien et ont donc permis de ralentir la chute de la livre syrienne.
Pourquoi une accélération de la chute depuis l’été dernier
Depuis l’été dernier, cependant, d’autres facteurs se sont conjugués pour accélérer le déclin de la monnaie nationale, principalement l’enlisement du conflit et la détérioration des indicateurs économiques et financiers.
Alors que le président syrien, se basant sur plusieurs victoires de ses troupes, avait promis lors de sa réélection en juillet une fin rapide du conflit, il a été démenti dans les faits à peine quelques semaines plus tard avec la perte de plusieurs bases militaires dans le nord-est et l’avancée de l’opposition dans le sud du pays.
Il est dorénavant clair que, d’une part, ni le régime ni l’opposition ne sont capables de l’emporter sur le terrain et, d’autre part, qu’il n’y a pas de volonté politique internationale pour mettre fin au conflit. D’où la pérennisation de la guerre, la fin de tout espoir d’une reconstruction proche du pays et une fuite renouvelée des capitaux.
Les réserves épuisées
C’est cependant la détérioration des indicateurs macroéconomiques qui pèse le plus lourd.
Depuis des mois maintenant, les décideurs syriens se plaignent de la faiblesse de leurs recettes fiscales. Avec la baisse de l’activité économique l’argent ne rentre plus dans les caisses alors que les réserves sont épuisées et les besoins de l’effort de guerre toujours aussi importants. Sans exportation de pétrole, avec une récolte catastrophique due à un hiver 2013/2014 très sec qui a obligé le gouvernement à importer des volumes importants de céréales, une chute de la production locale, qui oblige à maintenir les importations à un niveau élevé pour faire face à la demande en produits de la population, et la baisse de l’aide internationale due à une lassitude généralisée de tous les parrains et acteurs internationaux, le marché fait face à un déséquilibre structurel sur le marché des devises.
La Banque centrale ne publie plus depuis longtemps l’état de ses réserves rendant difficile toute estimation de sa capacité de financement, mais de l’avis de tous les analystes ces dernières sont au plus bas, potentiellement en dessous de deux milliards de dollars.
En octobre, le gouvernement a bien tenté de demander à son allié russe un prêt d’un milliard de dollars auquel il a répondu par la négative, craignant de ne jamais se faire rembourser, de la même façon que Moscou n’avait pas réussi à se faire rembourser par Damas la dette de 12 milliards de dollars octroyés par l’URSS durant la guerre froide.
Le seul espoir réside aujourd’hui dans l’Iran qui a récemment vu plusieurs délégations syriennes se succéder pour demander de nouvelles lignes de crédit qui permettraient de renflouer les réserves mais Téhéran, qui fait aussi face à des difficultés économiques, semble traîner des pieds.
Les autorités impuissantes
La Banque centrale tente de parer à ces pressions de plusieurs façons. D’abord et surtout en continuant à injecter des devises sur le marché en puisant dans ce qui lui reste de réserves. Le niveau de cette intervention est difficile à estimer en l’absence de données publiques, mais durant la dernière semaine de janvier le gouverneur de la Banque, Adib Mayaleh, avait affirmé que 65 millions de dollars seraient consacrés jusqu’à fin février pour soutenir la monnaie.
La Banque centrale déprécie de même régulièrement le taux de change officiel dans le but de réduire le décalage avec le taux du marché et donc l’attractivité de ce dernier.
Les autorités se sont également lancées dans une campagne de répression et d’arrestation de changeurs au noir dans l’espoir d’obliger tous les intervenants sur le marché à vendre au prix officiel fixé par la Banque centrale. L’administrateur d’une page Facebook qui publiait heure par heure le taux au marché noir de la livre et dont le nombre de “followers” se montait à plusieurs dizaines de milliers s’est même fait arrêter, accusé de diffuser des “rumeurs trompeuses” sur le marché des devises.
Dans une déclaration qui a fait le tour des médias, M. Mayaleh a annoncé que son institution s’apprêtait à intervenir sur le marché des changes libanais où se trouveraient des volumes importants de devises. Les modalités de cette intervention ainsi que son impact sont encore difficiles à évaluer.
Finalement début février le gouvernement annonçait qu’il allait réduire le nombre de licences d’importation qu’il accordait aux importateurs afin de réduire la demande de devises.
Toutes ces mesures semblent être jusque-là largement inefficaces ou en tout cas n’ont pas un impact suffisant pour contrer les pressions baissières sur la livre.
Au vu de la situation économique et politique, il apparaît que la livre syrienne ne peut que continuer à chuter sur le court et moyen terme, seul un dénouement du conflit couplé à une reprise de l’activité économique étant à même de mettre fin à cette baisse.
L’accès à de nouveaux financements, par exemple en provenance d’Iran, ferait gagner aux autorités un peu de temps. Ce ne serait cependant que pour une période limitée et avec de sérieuses implications politiques.