Entretien avec Riad Salamé, gouverneur de la Banque du Liban, qui annonce un nouveau mécanisme d’aide aux entreprises libanaises débitrices en difficulté financière, en raison de la détérioration de l’activité économique, qui ne menace toutefois pas la stabilité financière, assure-t-il.

Comment évaluez-vous la situation globale du secteur bancaire libanais à la lumière de la conjoncture difficile que traverse le pays ?
Il se porte bien et n’a pas été atteint par le ralentissement économique que subit le Liban cette année. Trois critères permettent d’établir ce diagnostic. D’abord celui de la solvabilité. En application des principes de Bâle 3, nous allons atteindre l’objectif fixé à 12 % cette année. Ensuite celui de la liquidité qui doit être d’au moins 30 % des actifs consolidés. Les banques respectent ce ratio. Enfin, celui de la profitabilité. Elle démontre la santé du secteur. En la matière, même si les profits des banques libanaises n’augmentent pas beaucoup, ils restent suffisants pour augmenter leurs fonds propres.

Le ralentissement économique ne se traduit-il pas par une détérioration de la qualité des créances sur le secteur privé ?
Les créances douteuses restent stables à 3,6 % des créances. Mais comme la croissance est presque à zéro, nous n’excluons pas un risque de détérioration et avons décidé d’agir par anticipation : la BDL s’apprête à émettre une circulaire pour permettre aux banques de conclure des accords de réaménagement des dettes de leurs clients en difficulté sans que ces derniers ne soient signalés comme insolvables. La condition est que de tels accords soient économiquement justifiés. Nous avions déjà mis en place un dispositif semblable il y a une dizaine d’années.
Vous venez d’annoncer le troisième plan de relance de la BDL à travers un mécanisme de subventionnement des crédits au secteur privé, en particulier l’immobilier. Dans quelle mesure ces plans ont-ils été profitables pour le secteur bancaire et l’économie ? N’accentuent-ils pas les risques de surendettement ?
Ces plans n’ont pas été conçus pour être profitables aux banques qui continuent de prendre le risque de crédit, mais pour soutenir l’activité économique. Sans ces incitations au crédit, le ralentissement aurait été beaucoup plus prononcé. L’objectif est de renforcer la demande interne pour couvrir le recul de la demande externe. L’impact est cependant moins fort en 2015, car l’économie va globalement plus mal. Quant au risque de surendettement, il est maîtrisé. Il n’y a pas de bulles latentes. Là où le risque devenait important, c’est-à-dire sur le segment des crédits à la consommation, la circulaire adoptée l’année dernière pour encadrer leurs conditions d’octroi a fait son effet. La charge financière de l’endettement des ménages s’est ainsi stabilisée aux alentours de 50 % de leurs revenus.

Quelles seront les conséquences pour le Liban de la prochaine hausse des taux américains : va-t-elle améliorer la profitabilité des banques à travers l’amélioration de leurs avoirs extérieurs ou seront-elles obligées de la répercuter sur la rémunération de leurs ressources pour maintenir leur attractivité, au risque d’accentuer encore le poids de l’endettement de l’économie libanaise ?
La hausse des taux d’intérêt aux États-Unis – qui devrait s’établir à un quart voire un demi-point de pourcentage – ne devrait pas avoir d’influence sur le comportement des déposants. Le secteur bancaire libanais continue de jouir de la confiance de la diaspora libanaise qui apprécie le service rendu. Cela dit, le différentiel de taux entre le Liban et l’étranger reste tributaire des risques politiques et sécuritaires, ainsi que des risques liés aux finances publiques. Ces derniers ne se réduiront pas tant qu’il n’y aura pas de réformes au niveau des finances publiques avec une diminution des déficits et une relance de l’économie.

L’attractivité du secteur bancaire libanais s’explique-t-elle aussi par le fait qu’un certain nombre d’expatriés fortunés y placent des capitaux pour des raisons fiscales ?
Le principal facteur d’attractivité est la confiance. Un expatrié libanais ne placerait pas son argent au Liban s’il percevait un risque de perte de son capital. Je ne crois pas que le Liban représente une solution de facilité : l’environnement réglementaire est similaire à celui des grandes places internationales. Même sur le plan fiscal, la BDL a pris les devants en demandant aux banques de se soumettre à la réglementation Fatca, dans le cadre des lois libanaises, pour les contribuables américains. Nous sommes aussi favorables à la mise en conformité avec la nouvelle réglementation de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Si les lois ne sont pas adoptées, ce n’est pas dû à de la mauvaise volonté, mais à la difficulté de réunir le Parlement pour les voter. Le Liban a jusqu’en 2017 pour le faire.
En attendant, la Commission spéciale chargée de la lutte contre le blanchiment suit des dossiers relevant de l’évasion fiscale et coopère avec les autorités internationales. De même, l’Autorité des marchés de capitaux a conclu un accord avec son homologue française pour échanger des informations sur les délits d’initiés et elle est en train de travailler au renforcement de la transparence et de la gouvernance dans le secteur. Un changement culturel est en cours.

La mise en conformité du Liban avec les nouvelles règles internationales en matière de fiscalité permet de lever le secret bancaire au profit des administrations fiscales étrangères. À terme, faudra-t-il aussi lever le secret bancaire au regard du fisc libanais ?
Je suis partisan du maintien du secret bancaire. Ce n’est pas parce qu’une minorité commet des délits d’évasion fiscale ou de blanchiment qu’il faut autoriser le fait d’exposer la vie privée des gens. Dans un pays multiconfessionnel comme le Liban, il faut faire attention à l’usage qui peut être fait des informations sur les avoirs de ses ressortissants. Elles peuvent être exploitées sur la place publique pour des raisons qui ne correspondent pas forcément à des infractions.
Ceci dit, le secret bancaire n’entrave pas le travail du ministère des Finances, car il n’y a pas d’impôt sur la fortune au Liban, mais un impôt sur le revenu. Si une entreprise n’est pas transparente, elle a mille moyens de cacher ses revenus, indépendamment du secret bancaire. Il faut aussi savoir que les banques libanaises sont tenues de pouvoir qualifier l’origine des ressources des clients. Si ces dernières ne correspondent pas à la taille des affaires de ces derniers, elles doivent le signaler à la Commission spéciale d’investigation sur le blanchiment.

Le coût des efforts consentis par les banques pour se mettre en conformité avec les nouvelles réglementations internationales est plus difficile à supporter pour les petits établissements. Cela pourrait-il se traduire par une reprise de la consolidation du secteur bancaire libanais ?
Il est vrai que les coûts opérationnels des banques augmentent et que les plus petites sont les plus touchées ; c’est un phénomène mondial, comme le prouve la vague de fermeture des petites banques suisses. La BDL reste favorable à une consolidation du secteur bancaire libanais, mais nous laissons le marché en décider. Aujourd’hui, il y a beaucoup moins d’appétit qu’il y a quelques années pour ces fusions, car même les petites banques sont profitables. 
En revanche, je reste opposé à des fusions parmi les 11 premières banques du pays pour éviter la création d’un établissement “too big to fail” dont une faillite éventuelle serait trop coûteuse pour le pays. Lors de la crise de 2008, les États occidentaux ont dû allouer d’importants fonds publics au sauvetage des banques.

Le Fonds monétaire international souligne la vulnérabilité du système bancaire en raison des besoins de financement croissants de l’État libanais qui reposent sur des entrées de capitaux placés à court terme et, de plus en plus, sur l’intermédiation de la BDL elle-même qui détient 30 % de la dette publique. Qu’y répondez-vous ?
Notre position est constante sur ce point. L’important est de maintenir la stabilité monétaire et d’utiliser tous les moyens possibles pour le faire, conformément à l’article 70 du code de la monnaie et du crédit. Cette stabilité repose sur la solvabilité de l’État. La BDL intervient quand il le faut pour l’assurer en étant présente sur tous les marchés afin de maintenir la confiance nécessaire à l’attraction des capitaux. Et cela fonctionne jusqu’à présent. Les banques centrales ne sont pas tenues par une orthodoxie idéologique quand il s’agit de crise. La Fed a acheté par milliards des obligations de l’État américain. La Banque centrale européenne aussi. Il est vrai que la situation de crise perdure chez nous depuis des années, mais ce n’est ni la faute des banques, ni celle de la BDL. Il faut des réformes pour réduire les déficits qui ne relèvent pas de nos prérogatives.

À propos de réformes, comment réagissez-vous aux manifestations de protestation populaires contre le pouvoir en place ? 
Je préfère ne pas faire de commentaire.

Une nouvelle plate-forme électronique d’échange de titres libanais
La Banque centrale va attribuer « dans les prochains mois », selon son gouverneur Riad Salamé, une licence pour la gestion d’une plate-forme électronique d’échange de titres libanais. « Nous sommes en train de finaliser le cahier des charges pour lancer un appel d’offres. Cette plate-forme permettra de traiter tout genre de titres financiers. Des actions de start-up, des titres non cotés à la Bourse de Beyrouth, des produits dérivés adossés à des crédits, des instruments de dette pour de petites entreprises, etc. Elle sera très liquide, car tous les agents financiers pourront y réaliser des transactions, que ce soit des banques, des sociétés de courtage ou des sociétés financières. Étant électronique, elle sera connectée au monde entier, ce qui permettra aux Libanais de la diaspora d’investir au Liban par l’intermédiaire de cet outil transparent et bien supervisé. »