Depuis quelques années, le monde bancaire multiplie les effets d’annonce en matière de responsabilité sociale. L’une annonce son soutien à un grand événement culturel quand une autre affiche sa volonté de reboiser des régions entières du Liban. Mais au-delà de ce mécénat d’entreprise, les banques se posent-elles la question de leur responsabilité vis-à-vis de la société dans laquelle elles évoluent ? Au Liban, ils ne sont encore que quelques groupes pionniers à placer ce thème au cœur de leur stratégie de développement.
Le concept de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) est dans l’air du temps depuis quelques dizaines d’années. En particulier en Europe où les multinationales s’y convertissent progressivement sous l’impulsion de législations de plus en plus contraignantes. Mais au Liban, la RSE reste un concept flou. Les entreprises sont peu nombreuses encore à s’engager sur cette voie. Seulement 49 entités libanaises (dont de nombreuses associations) ont signé à ce jour le “Pacte mondial” des Nations unies (plus connu sous sa dénomination anglaise de “Global Compact”), un ensemble de dix principes visant à inciter les entreprises à adopter une attitude “socialement responsable”, en s’engageant à intégrer et promouvoir dix principes relatifs aux droits de l’homme, aux normes internationales du travail et à la lutte contre la corruption… Parmi ces entreprises pionnières, six établissements bancaires : la Bank Audi, la Blom Bank, la Banque libano-française, la BLC Bank, le Crédit libanais et la Fransabank.
« Ces entreprises s’engagent à suivre les principes du Pacte mondial et à présenter un rapport plus ou moins élaboré sur les actions menées en termes de RSE dans l’entreprise et pour mettre leur établissement aux normes », fait valoir Dima Jamali, professeure de management à l’Université américaine de Beyrouth (AUB) et responsable du bureau libanais du Pacte mondial des Nations unies, ouvert depuis septembre 2015.
Des groupes pionniers
Si on y ajoute les “services financiers”, que le Pacte mondial traite à part, cela fait du secteur “banques & finance” le plus en pointe en matière de RSE au Liban, devant la construction et l’immobilier. Un joli satisfecit pour le métier, qui reste encore cependant un peu léger au regard de la soixantaine de banques que compte le pays. « La RSE reste le fait de quelques groupes pionniers : à l’origine de leur engagement, il y a souvent la volonté ou les convictions personnelles de leurs dirigeants », explique Youmna Ziadé, responsable du comité de pilotage de la RSE au sein de la BLC Bank. « Comme souvent, au Liban, il y a ensuite eu un “effet de mode” », ajoute-t-elle.
Les plus avancés, c’est-à-dire ceux qui ont déjà publié des rapports dans lesquels ils analysent leur performance sociale, sociétale ou environnementale, se comptent sur les doigts d’une main : Bank Audi, dont le premier audit sociétal remonte à 2012 ; Fransabank, dont le président Adnan Kassar a participé à l’élaboration des règles de RSE prônées par les Nations unies (voir page 42) entre 1999 et 2000.
À la décharge des autres, le Liban n’a pas de cadre législatif propre à la RSE, contrairement à d’autres pays comme la France où la loi dite de Grenelle II (2012) impose, par exemple, aux entreprises de plus de 500 salariés de publier certaines informations sur leur performance sociale, environnementale et sociétale. « C’est la société qui nous oblige à nous réguler en faisant de la responsabilité sociale une de ses préoccupations centrales », fait valoir Tania Rizk, qui dirige le service communication de la Banque libano-française. Le secteur bancaire libanais n’a pas non plus de stipulations particulières, qui imposeraient au secteur un minimum en matière notamment de reporting de RSE.
« Différentes circulaires de la Banque du Liban favorisent toutefois des initiatives en matière de RSE ou exigent la publication de certaines informations financières. Outre ce qui touche à la gouvernance d’entreprise, à la lutte contre le blanchiment d’argent, la circulaire 331, qui incite les banques à investir dans les nouvelles start-up, s’inscrit typiquement dans une démarche de responsabilité sociale envers l’emploi et les jeunes entrepreneurs », fait valoir Dania Kassar, de la Fransabank.
Un mouvement mondial
Si le concept de responsabilité sociale est dans l’air du temps un peu partout dans le monde, dans le secteur bancaire en particulier, la crise économique de 2008 a accéléré le besoin de transparence et de garde-fous : « Cette crise financière a gravement dégradé l’image et le climat de confiance du secteur bancaire auprès de l’opinion publique des pays concernés », rappelle Dania Kassar. Le Liban a certes été épargné par le scandale des subprimes. Mais le pays pouvait difficilement se tenir à l’écart d’un mouvement global. Américains et Européens ont ainsi imposé des lois pour renforcer la maîtrise des risques et améliorer la transparence des établissements financiers : le Dodd-Frank Wall Street Reform Act, le Consumer Protection Act, Bâle III, la mise en place du système de supervision bancaire européen, sans compter sur des lois bancaires dans plusieurs pays comme la France ou l’Allemagne… S’ajoute à cela tout l’arsenal législatif américain propre à la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent, que les banques libanaises sont tenues d’appliquer si elles veulent maintenir leurs relations avec leurs correspondants étrangers. « Toute la partie relative à la “gouvernance d’entreprise” est déjà incluse dans nos rapports financiers annuels. La RSE se veut un outil supplémentaire, que la banque instaure par elle-même, dans le but de reconquérir la confiance et prouver qu’elle intègre bien le respect de valeurs éthiques dans sa stratégie et dans sa gestion des risques », ajoute la responsable de la Fransabank.
Le mécénat comme politique de RSE
Pour comprendre les enjeux de la RSE, il faut revenir à sa définition initiale, communément admise. « Le développement durable est un mode de développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. » Cette définition est à l’origine du concept de responsabilité sociale, apparue dans le courant des années 1990 : face à un monde en mutation, secoué par d’innombrables crises, on postule que les entreprises ne peuvent plus exister sans tenir compte de l’impact de leur décision sur les sociétés au sein desquelles elles s’intègrent. Comprise dans une acception limitée, la RSE promeut des actions plus ou moins philanthropiques à destination de la communauté. « L’implication des banques est déjà très ancienne sur ce créneau », assure Hasmig Khoury, responsable RSE du groupe Bank Audi. Mécénat ou sponsoring leur permet de valoriser leur image de marque, d’“humaniser” l’institution en associant son nom à des “projets positifs”. « Au-delà du soutien culturel, ces partenariats servent aussi à générer d’autres rapports avec les clients, comme auprès des actionnaires et des salariés. Au sein de la Bank Audi nous incitons d’ailleurs nos employés à s’impliquer dans le tissu associatif via notre programme de volontariats », ajoute-t-elle. C’est ce qu’on appelle désormais un mécénat de compétences : la banque prête ses salariés, qui aident l’ONG à mieux assurer ses objectifs.
Soutien de projets solidaires ou associatifs, promotion d’actions culturelles ou de partenariats sportifs…, les banques figurent parmi les principaux contributeurs du secteur non lucratif au Liban, même s’il est impossible d’en estimer les volumes financiers. « La philanthropie dans la région est ancienne, cela fait longtemps que les banques assurent des actions de mécénat, avant même que le concept de RSE n’existe », précise Dima Jamali, de l’AUB. Pourtant, le mécénat ne va pas sans poser problème. En l’absence de cadre, « on assiste à des dérives notables : de l’argent octroyé pour soutenir le festival d’un homme politique dans sa région, pour l’ONG du cousin de l’un des actionnaires… », déplore un expert qui appelle à de meilleurs contrôles pour en améliorer l’efficacité.
De plus en plus souvent toutefois, les sociétés choisissent de suivre une définition plus ambitieuse de la RSE, qui induit une vraie remise en cause de leurs pratiques et de leur organisation. Pour la Commission européenne, une compagnie est considérée comme socialement responsable « lorsqu’elle se donne, dans le cadre de ses activités quotidiennes, des objectifs sociaux et environnementaux plus ambitieux que ceux prévus par la loi ». Une manière de les inciter à dépasser leur seul objectif de profitabilité, souvent source d’abus : non-respect des normes antipollution et environnemental, travail des enfants, rémunération excessive des dirigeants, conditions de travail des employés inappropriées... Face à ces dérives, la RSE apporte une forme d’autorégulation. « Je vois la RSE comme un changement profond de paradigme, dont la prise de conscience commence à peine. Nous sommes passés d’une société industrielle à une “société globale”, qui suppose un nouveau modèle de développement. La RSE amène à s’interroger sur la recherche du profit et les moyens de l’accompagner pour un développement durable et juste. Il ne s’agit pas de renier la recherche de profit, mais de savoir pour qui, comment et pourquoi nous réalisons nos objectifs financiers », assure Isabelle Naoum, responsable de la communication, en charge de la RSE, au sein de la Blom Bank.
Sur ce créneau cependant, les banques libanaises paraissent beaucoup moins impliquées. Pour le vérifier, il suffit d’analyser l’importance hiérarchique du département RSE au sein des banques. À l’exception de Bank Audi (où une équipe de trois salariés chapeaute l’ensemble de la RSE), aucune des institutions libanaises n’a créé de véritable division indépendante. Dans beaucoup d’établissements, la responsabilité sociale demeure sous la houlette du département de communication ou de marketing, preuve que le “développement durable” est envisagé comme un outil de communication et non comme une partie de la stratégie de développement économique de l’entreprise.
Amélioration de la rentabilité
Pourtant, la RSE participe bien au développement économique. Ne serait-ce que dans la meilleure maîtrise des coûts qu’elle induit. « En limitant sa consommation de ressources naturelles non renouvelables, en réduisant sa production de déchets et en améliorant l’efficacité avec laquelle elle utilise les ressources, l’entreprise pourrait réaliser des économies substantielles », lit-on dans un rapport (2003) de l’Observatoire de la responsabilité sociale des entreprises (France). Certaines banques ont ainsi entamé des chantiers de remise aux normes : la BLC Bank, par exemple, a décidé de la rénovation énergétique de son siège social à Adlié. Meilleure isolation, lampes LED, gestion économique des impressions papier… « Il nous semblait difficile de mener une politique de RSE à l’extérieur de la banque sans au préalable améliorer nos propres performances », fait valoir Youmna Ziadé. La banque a même remporté le prix Arz bronze pour cette rénovation éco-énergétique. « Réduire la consommation de papier est en général une des premières décisions prises pour améliorer sa performance environnementale. Mais ce geste écologique se double d’un enjeu économique : en limitant l’impression, en favorisant le recto-verso ou en recyclant les documents utilisés, on fait des économies », fait valoir Hasmig Khoury. Cette économie peut s’avérer importante : dans son rapport RSE, Audi note avoir sauvé l’équivalent de 1 763 arbres en 2014 (contre 1 102 en 2012) et recycler 103 722 tonnes de papier (contre 51 770 en 2012). Désormais, l’établissement se penche sur son impact en matière d’émission de CO2 : en 2014 chaque employé du groupe était “responsable” d’un peu plus de sept kilos de CO2 par m2 (contre huit kilos en 2012). « Malgré la croissance du réseau, nous avons réussi à réduire notre empreinte carbone de 5 % depuis 2012 », assure Hasmig Khoury. « Pour le salarié, ces indicateurs disent qu’il fait “bon vivre” chez nous. Du coup, cela nous aide à conserver nos talents dans notre groupe. Pour nos actionnaires, cela traduit aussi un “sens des responsabilités” qui peut les rassurer sur notre conduite interne… Pour le public, cela montre notre implication de tous les instants », ajoute la responsable. Dans ce registre, quelques banques ont d’ores et déjà choisi d’implémenter un système de management environnemental et social (SMES), qui permet, entre autres, à la banque d’analyser son portefeuille de crédits au regard des risques sociétaux ou environnementaux. « Nous analysons l’incidence environnementale d’un projet avant l’octroi de prêts à des entreprises et nous en tenons compte dans notre décision de financement », assure Youmna Ziadé.
« Ces entreprises s’engagent à suivre les principes du Pacte mondial et à présenter un rapport plus ou moins élaboré sur les actions menées en termes de RSE dans l’entreprise et pour mettre leur établissement aux normes », fait valoir Dima Jamali, professeure de management à l’Université américaine de Beyrouth (AUB) et responsable du bureau libanais du Pacte mondial des Nations unies, ouvert depuis septembre 2015.
Des groupes pionniers
Si on y ajoute les “services financiers”, que le Pacte mondial traite à part, cela fait du secteur “banques & finance” le plus en pointe en matière de RSE au Liban, devant la construction et l’immobilier. Un joli satisfecit pour le métier, qui reste encore cependant un peu léger au regard de la soixantaine de banques que compte le pays. « La RSE reste le fait de quelques groupes pionniers : à l’origine de leur engagement, il y a souvent la volonté ou les convictions personnelles de leurs dirigeants », explique Youmna Ziadé, responsable du comité de pilotage de la RSE au sein de la BLC Bank. « Comme souvent, au Liban, il y a ensuite eu un “effet de mode” », ajoute-t-elle.
Les plus avancés, c’est-à-dire ceux qui ont déjà publié des rapports dans lesquels ils analysent leur performance sociale, sociétale ou environnementale, se comptent sur les doigts d’une main : Bank Audi, dont le premier audit sociétal remonte à 2012 ; Fransabank, dont le président Adnan Kassar a participé à l’élaboration des règles de RSE prônées par les Nations unies (voir page 42) entre 1999 et 2000.
À la décharge des autres, le Liban n’a pas de cadre législatif propre à la RSE, contrairement à d’autres pays comme la France où la loi dite de Grenelle II (2012) impose, par exemple, aux entreprises de plus de 500 salariés de publier certaines informations sur leur performance sociale, environnementale et sociétale. « C’est la société qui nous oblige à nous réguler en faisant de la responsabilité sociale une de ses préoccupations centrales », fait valoir Tania Rizk, qui dirige le service communication de la Banque libano-française. Le secteur bancaire libanais n’a pas non plus de stipulations particulières, qui imposeraient au secteur un minimum en matière notamment de reporting de RSE.
« Différentes circulaires de la Banque du Liban favorisent toutefois des initiatives en matière de RSE ou exigent la publication de certaines informations financières. Outre ce qui touche à la gouvernance d’entreprise, à la lutte contre le blanchiment d’argent, la circulaire 331, qui incite les banques à investir dans les nouvelles start-up, s’inscrit typiquement dans une démarche de responsabilité sociale envers l’emploi et les jeunes entrepreneurs », fait valoir Dania Kassar, de la Fransabank.
Un mouvement mondial
Si le concept de responsabilité sociale est dans l’air du temps un peu partout dans le monde, dans le secteur bancaire en particulier, la crise économique de 2008 a accéléré le besoin de transparence et de garde-fous : « Cette crise financière a gravement dégradé l’image et le climat de confiance du secteur bancaire auprès de l’opinion publique des pays concernés », rappelle Dania Kassar. Le Liban a certes été épargné par le scandale des subprimes. Mais le pays pouvait difficilement se tenir à l’écart d’un mouvement global. Américains et Européens ont ainsi imposé des lois pour renforcer la maîtrise des risques et améliorer la transparence des établissements financiers : le Dodd-Frank Wall Street Reform Act, le Consumer Protection Act, Bâle III, la mise en place du système de supervision bancaire européen, sans compter sur des lois bancaires dans plusieurs pays comme la France ou l’Allemagne… S’ajoute à cela tout l’arsenal législatif américain propre à la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent, que les banques libanaises sont tenues d’appliquer si elles veulent maintenir leurs relations avec leurs correspondants étrangers. « Toute la partie relative à la “gouvernance d’entreprise” est déjà incluse dans nos rapports financiers annuels. La RSE se veut un outil supplémentaire, que la banque instaure par elle-même, dans le but de reconquérir la confiance et prouver qu’elle intègre bien le respect de valeurs éthiques dans sa stratégie et dans sa gestion des risques », ajoute la responsable de la Fransabank.
Le mécénat comme politique de RSE
Pour comprendre les enjeux de la RSE, il faut revenir à sa définition initiale, communément admise. « Le développement durable est un mode de développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. » Cette définition est à l’origine du concept de responsabilité sociale, apparue dans le courant des années 1990 : face à un monde en mutation, secoué par d’innombrables crises, on postule que les entreprises ne peuvent plus exister sans tenir compte de l’impact de leur décision sur les sociétés au sein desquelles elles s’intègrent. Comprise dans une acception limitée, la RSE promeut des actions plus ou moins philanthropiques à destination de la communauté. « L’implication des banques est déjà très ancienne sur ce créneau », assure Hasmig Khoury, responsable RSE du groupe Bank Audi. Mécénat ou sponsoring leur permet de valoriser leur image de marque, d’“humaniser” l’institution en associant son nom à des “projets positifs”. « Au-delà du soutien culturel, ces partenariats servent aussi à générer d’autres rapports avec les clients, comme auprès des actionnaires et des salariés. Au sein de la Bank Audi nous incitons d’ailleurs nos employés à s’impliquer dans le tissu associatif via notre programme de volontariats », ajoute-t-elle. C’est ce qu’on appelle désormais un mécénat de compétences : la banque prête ses salariés, qui aident l’ONG à mieux assurer ses objectifs.
Soutien de projets solidaires ou associatifs, promotion d’actions culturelles ou de partenariats sportifs…, les banques figurent parmi les principaux contributeurs du secteur non lucratif au Liban, même s’il est impossible d’en estimer les volumes financiers. « La philanthropie dans la région est ancienne, cela fait longtemps que les banques assurent des actions de mécénat, avant même que le concept de RSE n’existe », précise Dima Jamali, de l’AUB. Pourtant, le mécénat ne va pas sans poser problème. En l’absence de cadre, « on assiste à des dérives notables : de l’argent octroyé pour soutenir le festival d’un homme politique dans sa région, pour l’ONG du cousin de l’un des actionnaires… », déplore un expert qui appelle à de meilleurs contrôles pour en améliorer l’efficacité.
De plus en plus souvent toutefois, les sociétés choisissent de suivre une définition plus ambitieuse de la RSE, qui induit une vraie remise en cause de leurs pratiques et de leur organisation. Pour la Commission européenne, une compagnie est considérée comme socialement responsable « lorsqu’elle se donne, dans le cadre de ses activités quotidiennes, des objectifs sociaux et environnementaux plus ambitieux que ceux prévus par la loi ». Une manière de les inciter à dépasser leur seul objectif de profitabilité, souvent source d’abus : non-respect des normes antipollution et environnemental, travail des enfants, rémunération excessive des dirigeants, conditions de travail des employés inappropriées... Face à ces dérives, la RSE apporte une forme d’autorégulation. « Je vois la RSE comme un changement profond de paradigme, dont la prise de conscience commence à peine. Nous sommes passés d’une société industrielle à une “société globale”, qui suppose un nouveau modèle de développement. La RSE amène à s’interroger sur la recherche du profit et les moyens de l’accompagner pour un développement durable et juste. Il ne s’agit pas de renier la recherche de profit, mais de savoir pour qui, comment et pourquoi nous réalisons nos objectifs financiers », assure Isabelle Naoum, responsable de la communication, en charge de la RSE, au sein de la Blom Bank.
Sur ce créneau cependant, les banques libanaises paraissent beaucoup moins impliquées. Pour le vérifier, il suffit d’analyser l’importance hiérarchique du département RSE au sein des banques. À l’exception de Bank Audi (où une équipe de trois salariés chapeaute l’ensemble de la RSE), aucune des institutions libanaises n’a créé de véritable division indépendante. Dans beaucoup d’établissements, la responsabilité sociale demeure sous la houlette du département de communication ou de marketing, preuve que le “développement durable” est envisagé comme un outil de communication et non comme une partie de la stratégie de développement économique de l’entreprise.
Amélioration de la rentabilité
Pourtant, la RSE participe bien au développement économique. Ne serait-ce que dans la meilleure maîtrise des coûts qu’elle induit. « En limitant sa consommation de ressources naturelles non renouvelables, en réduisant sa production de déchets et en améliorant l’efficacité avec laquelle elle utilise les ressources, l’entreprise pourrait réaliser des économies substantielles », lit-on dans un rapport (2003) de l’Observatoire de la responsabilité sociale des entreprises (France). Certaines banques ont ainsi entamé des chantiers de remise aux normes : la BLC Bank, par exemple, a décidé de la rénovation énergétique de son siège social à Adlié. Meilleure isolation, lampes LED, gestion économique des impressions papier… « Il nous semblait difficile de mener une politique de RSE à l’extérieur de la banque sans au préalable améliorer nos propres performances », fait valoir Youmna Ziadé. La banque a même remporté le prix Arz bronze pour cette rénovation éco-énergétique. « Réduire la consommation de papier est en général une des premières décisions prises pour améliorer sa performance environnementale. Mais ce geste écologique se double d’un enjeu économique : en limitant l’impression, en favorisant le recto-verso ou en recyclant les documents utilisés, on fait des économies », fait valoir Hasmig Khoury. Cette économie peut s’avérer importante : dans son rapport RSE, Audi note avoir sauvé l’équivalent de 1 763 arbres en 2014 (contre 1 102 en 2012) et recycler 103 722 tonnes de papier (contre 51 770 en 2012). Désormais, l’établissement se penche sur son impact en matière d’émission de CO2 : en 2014 chaque employé du groupe était “responsable” d’un peu plus de sept kilos de CO2 par m2 (contre huit kilos en 2012). « Malgré la croissance du réseau, nous avons réussi à réduire notre empreinte carbone de 5 % depuis 2012 », assure Hasmig Khoury. « Pour le salarié, ces indicateurs disent qu’il fait “bon vivre” chez nous. Du coup, cela nous aide à conserver nos talents dans notre groupe. Pour nos actionnaires, cela traduit aussi un “sens des responsabilités” qui peut les rassurer sur notre conduite interne… Pour le public, cela montre notre implication de tous les instants », ajoute la responsable. Dans ce registre, quelques banques ont d’ores et déjà choisi d’implémenter un système de management environnemental et social (SMES), qui permet, entre autres, à la banque d’analyser son portefeuille de crédits au regard des risques sociétaux ou environnementaux. « Nous analysons l’incidence environnementale d’un projet avant l’octroi de prêts à des entreprises et nous en tenons compte dans notre décision de financement », assure Youmna Ziadé.
La RSE, vecteur de croissance L’amélioration de la gestion des risques n’est pas le seul avantage concurrentiel de la mise en place d’une stratégie de RSE. Des chercheurs ont démontré que les entreprises les plus rentables sont celles qui témoignent du plus haut degré d’engagement à l’égard du développement durable. « Lorsque les entreprises renforcent leur engagement à l’égard du développement durable ou de la RSE, leur rentabilité commence dans un premier temps par diminuer – ce qui les place dans le “creux” de la courbe en U. Les coûts augmentent tandis que les parties prenantes peuvent encore penser que l’entreprise se contente de faire de l’“écoblanchiment” (ou “greenwahsing”, soit la mise en place d’une communication vantant les mérites environnementaux, sociaux de l’entreprise sans une implication réelle, NDLR). Avec le temps, les parties prenantes commencent à reconnaître et à apprécier les efforts de l’entreprise, qui commence à en retirer les bénéfices : baisse des frais de transaction, augmentation des prix, etc. Lorsque la confiance des actionnaires atteint un sommet, la performance financière de l’entreprise peut dépasser le niveau atteint avant qu’elle ne mette en œuvre des initiatives de RSE », lit-on sur le site nbs.com. |