Sarah Beydoun, la fondatrice de Sarah’s Bag, est l’un des trois lauréats du “Oslo Business for Peace Award” 2016. Une récompense, diligentée par d’anciens Nobel de la paix, qui met l’accent sur le modèle économique de l’entreprise : depuis sa création, Sarah’s Bag donne une seconde chance à d’anciennes prisonnières incarcérées souvent pour prostitution.
Ce n’est pas rien ce qui arrive à Sarah Beydoun, cofondatrice de la marque Sarah’s Bag : le 3 mai à Oslo (Norvège), elle présentera l’histoire et la stratégie de sa marque de sacs faits main devant un parterre de VIP parmi lesquels les “maîtres du monde”, que sont Richard Branson, fondateur de Virgin, ou Paul Botman, président d’Unilever. Sa présence dans le gotha du capitalisme, elle le doit à la Fondation Business for Peace, qui regroupe d’anciens Nobel de la paix. En mars dernier, cette fondation, en relation avec les Nations unies, l’a récompensée du titre de “2016 Oslo Business for Peace Award”, en compagnie de deux autres lauréats sur plus de 80 entreprises sélectionnées. « Je n’avais rien demandé : ils sont venus me chercher », assure-t-elle, ravie tout de même d’avoir ainsi été “chassée”. Première libanaise à l’obtenir (côté homme, le banquier Adnan Kassar, patron de la Fransabank, en a été le lauréat en 2014), Sarah Beydoun peut aussi se targuer d’être le premier entrepreneur (tous sexes confondus cette fois) issu de l’univers de la mode et du design à recevoir cet honneur.
Besoin de s’impliquer
Si vous ne connaissez pas encore les sacs très pop art de la marque, cette distinction peut sans doute vous étonner. Mais derrière le côté “fashionista écervelée” de cette marque très “girly”, se cache un modèle économique mature : car Sarah’s Bag repose en fait sur une vision sociale et solidaire de l’entreprise. Ou, pour reprendre les termes du communiqué de presse de la fondation norvégienne : « Une entreprise éthique et responsable, créatrice de valeurs pour la société. »
Ces “valeurs” sont au cœur de l’histoire de l’entreprise, qui débute au tournant des années 2000. Étudiante en sociologie, la jeune femme, qui finalise sa thèse sur la prostitution, bosse comme bénévole dans une association d’entraide, Dar al-Amal. L’ONG lui demande d’animer des ateliers dans les prisons de femmes de Tripoli et de Baabda, où sont incarcérées nombre de prostituées. Elle choisit alors de leur faire réaliser des bracelets de perles. Le résultat, elle l’avoue elle-même, s’avère médiocre. Pourtant, ce premier essai, qu’elle apporte à un artisan pour lui demander son avis, lui donne une idée, la base de ce que sera Sarah’s Bag : dessiner les modèles de sacs ou de sacoches elle-même et les faire réaliser par les détenues, en échange de rémunération. Sarah Beydoun s’associe alors avec son amie d’enfance, Sarah Nahouli, qui s’est depuis retirée de l’affaire. « Je ne fais pas une œuvre charitable : Sarah’s Bag est une véritable entreprise, qui répond à des exigences économiques comme toutes les autres entreprises. D’ailleurs, si je n’étais que “charitable”, mes clientes auraient peut-être acheté une fois par “bonté d’âme”, mais elles ne nous seraient pas restées fidèles. Reste que la dimension sociale et éthique de mon entreprise est primordiale. C’est ce qui lui donne un sens : nous “impactons” la société dans laquelle nous vivons, nous la changeons… »
Démarrage fulgurant
Quinze ans après ses débuts, Sarah’s Bag est un nom reconnu au Liban bien sûr, dans le monde arabe aussi, voire internationalement. Si la marque ne communique pas son chiffre d’affaires, on sait cependant qu’elle produit jusqu’à 800 sacs par mois, qu’elle les écoule dans près d’une cinquantaine de points de vente, répartis dans 25 pays différents. Selon les modèles, les prix varient de 150 à 950 dollars ; la moyenne des achats se situant entre 250 et 350 dollars. « Les sacs les plus chers sont ceux qui font appel à des techniques d’artisanat de luxe, avec un travail de bois, de cuivre… » Le label est désormais listé sur le site MatchesFashion, l’un des plus importants vadistes de la planète, et vient de rejoindre Moda Operandi, la plate-forme de mode qui permet d’acquérir en avant-première des pièces des futures collections.
Pourtant, la recette n’a guère changé depuis le début : 200 ouvrières, la plupart des ex-détenues, travaillent aujourd’hui pour Sarah’s Bag (sans compter la petite dizaine d’employés du studio de création et de la boutique à Tabaris). Une cinquantaine d’entre elles sont encore incarcérées.
« J’assure toujours le programme de réinsertion dans les prisons de femmes de l’ONG Dar al-Amal. À leur sortie, les plus impliquées restent dans mon équipe : elles peuvent même créer des “ateliers” où travailleront d’autres femmes sous leur responsabilité. Ainsi, deviennent-elles des entrepreneuses au sein de leur propre communauté. Elles en sortent renforcées et peuvent mieux “effacer” leur passage en prison. » Sarah’s Bag les rétribue selon un prix fixé d’avance avec leur représentante
« selon la difficulté du travail à accomplir ».
Crises successives
N’allez pas cependant croire que tout n’a été qu’un long fleuve tranquille. Comme beaucoup, Sarah Beydoun a subi les répercussions d’un pays instable, à la situation économique sensible aux moindres aléas politiques. La première période de vaches maigres date de 2005 au moment de l’assassinat de Rafic Hariri et du retrait syrien. Auparavant, les riches clientes arabes lui assuraient presque toutes ses ventes.
« Une heure après l’ouverture de la boutique, il pouvait ne plus rien avoir à vendre tant elles avaient tout raflé. » Cet âge d’or prend fin subitement. Pour s’en sortir, Sarah Beydoun écume les foires ou les centres d’exposition des pays du Golfe afin de retrouver ses anciennes clientes. « Ça a été une bonne façon de débuter l’international. » C’est ensuite au tour de Paris, mais “la capitale de la mode” n’a que faire des “bons sentiments” et de l’histoire, un rien “causette”, d’une marque qui donne du travail à d’ex-péripatéticiennes. « On a dû très vite inverser notre stratégie. » Elle réoriente alors sa communication en insistant sur sa légitimité en tant que créatrice originale. « Au début, les éléments arabes, que nous avions inclus dans nos créations comme ces sacs où s’entrelaçait de la calligraphie arabe, ont fait notre succès. Mais il a fallu très vite se renouveler et parier sur des modèles moins connotés. Aujourd’hui, ce qui fait notre différence, c’est notre originalité et notre très bon rapport qualité/prix. » Le revirement est salutaire : les exportations représentent désormais 40 % de son chiffre d’affaires, avec comme marchés privilégiés le Japon et le continent asiatique où la marque semble avoir trouvé un nouvel Eden. En parallèle, la marque démarche le continent américain. Un premier indice de son éventuel succès chez les Yankees ? Léandra Médine, alias The Man Repeller, iconique blogueuse de la mode new-yorkaise, se pavane déjà sur Instagram avec l’une des créations de la gamme “Retail Therapy” celle qui met en scène les tablettes de sacs parodiant les tablettes de Xanak, de Prozac (et même Panadol, mais pas de Viagra). Pour asseoir sa réputation sur un continent qui ne la connaît pas encore, Sarah Beydoun a une carte maîtresse : une présence offensive sur les réseaux.
Outre un site Internet qu’elle vient de refondre entièrement, offrant même un service de création personnalisé avec paiement en ligne, elle investit sur les réseaux sociaux. « C’est une réponse au fait d’être une marque de mode, basée et fabriquée à Beyrouth, soit très loin de la majorité de la clientèle. J’essaie ainsi de m’en rapprocher et de maintenir un lien fort. » Avec 47,1 K “followers” sur le réseau de partage d’images, c’est encore une belle réussite à son actif. Sur ce point, elle pourrait même avoir beaucoup de choses à apprendre à l’aréopage d’hommes d’affaires qui se presseront à Oslo, pour écouter celle qui a su devenir compétitive sur le marché international, tout en restant fidèle à sa démarche sociale.
Besoin de s’impliquer
Si vous ne connaissez pas encore les sacs très pop art de la marque, cette distinction peut sans doute vous étonner. Mais derrière le côté “fashionista écervelée” de cette marque très “girly”, se cache un modèle économique mature : car Sarah’s Bag repose en fait sur une vision sociale et solidaire de l’entreprise. Ou, pour reprendre les termes du communiqué de presse de la fondation norvégienne : « Une entreprise éthique et responsable, créatrice de valeurs pour la société. »
Ces “valeurs” sont au cœur de l’histoire de l’entreprise, qui débute au tournant des années 2000. Étudiante en sociologie, la jeune femme, qui finalise sa thèse sur la prostitution, bosse comme bénévole dans une association d’entraide, Dar al-Amal. L’ONG lui demande d’animer des ateliers dans les prisons de femmes de Tripoli et de Baabda, où sont incarcérées nombre de prostituées. Elle choisit alors de leur faire réaliser des bracelets de perles. Le résultat, elle l’avoue elle-même, s’avère médiocre. Pourtant, ce premier essai, qu’elle apporte à un artisan pour lui demander son avis, lui donne une idée, la base de ce que sera Sarah’s Bag : dessiner les modèles de sacs ou de sacoches elle-même et les faire réaliser par les détenues, en échange de rémunération. Sarah Beydoun s’associe alors avec son amie d’enfance, Sarah Nahouli, qui s’est depuis retirée de l’affaire. « Je ne fais pas une œuvre charitable : Sarah’s Bag est une véritable entreprise, qui répond à des exigences économiques comme toutes les autres entreprises. D’ailleurs, si je n’étais que “charitable”, mes clientes auraient peut-être acheté une fois par “bonté d’âme”, mais elles ne nous seraient pas restées fidèles. Reste que la dimension sociale et éthique de mon entreprise est primordiale. C’est ce qui lui donne un sens : nous “impactons” la société dans laquelle nous vivons, nous la changeons… »
Démarrage fulgurant
Quinze ans après ses débuts, Sarah’s Bag est un nom reconnu au Liban bien sûr, dans le monde arabe aussi, voire internationalement. Si la marque ne communique pas son chiffre d’affaires, on sait cependant qu’elle produit jusqu’à 800 sacs par mois, qu’elle les écoule dans près d’une cinquantaine de points de vente, répartis dans 25 pays différents. Selon les modèles, les prix varient de 150 à 950 dollars ; la moyenne des achats se situant entre 250 et 350 dollars. « Les sacs les plus chers sont ceux qui font appel à des techniques d’artisanat de luxe, avec un travail de bois, de cuivre… » Le label est désormais listé sur le site MatchesFashion, l’un des plus importants vadistes de la planète, et vient de rejoindre Moda Operandi, la plate-forme de mode qui permet d’acquérir en avant-première des pièces des futures collections.
Pourtant, la recette n’a guère changé depuis le début : 200 ouvrières, la plupart des ex-détenues, travaillent aujourd’hui pour Sarah’s Bag (sans compter la petite dizaine d’employés du studio de création et de la boutique à Tabaris). Une cinquantaine d’entre elles sont encore incarcérées.
« J’assure toujours le programme de réinsertion dans les prisons de femmes de l’ONG Dar al-Amal. À leur sortie, les plus impliquées restent dans mon équipe : elles peuvent même créer des “ateliers” où travailleront d’autres femmes sous leur responsabilité. Ainsi, deviennent-elles des entrepreneuses au sein de leur propre communauté. Elles en sortent renforcées et peuvent mieux “effacer” leur passage en prison. » Sarah’s Bag les rétribue selon un prix fixé d’avance avec leur représentante
« selon la difficulté du travail à accomplir ».
Crises successives
N’allez pas cependant croire que tout n’a été qu’un long fleuve tranquille. Comme beaucoup, Sarah Beydoun a subi les répercussions d’un pays instable, à la situation économique sensible aux moindres aléas politiques. La première période de vaches maigres date de 2005 au moment de l’assassinat de Rafic Hariri et du retrait syrien. Auparavant, les riches clientes arabes lui assuraient presque toutes ses ventes.
« Une heure après l’ouverture de la boutique, il pouvait ne plus rien avoir à vendre tant elles avaient tout raflé. » Cet âge d’or prend fin subitement. Pour s’en sortir, Sarah Beydoun écume les foires ou les centres d’exposition des pays du Golfe afin de retrouver ses anciennes clientes. « Ça a été une bonne façon de débuter l’international. » C’est ensuite au tour de Paris, mais “la capitale de la mode” n’a que faire des “bons sentiments” et de l’histoire, un rien “causette”, d’une marque qui donne du travail à d’ex-péripatéticiennes. « On a dû très vite inverser notre stratégie. » Elle réoriente alors sa communication en insistant sur sa légitimité en tant que créatrice originale. « Au début, les éléments arabes, que nous avions inclus dans nos créations comme ces sacs où s’entrelaçait de la calligraphie arabe, ont fait notre succès. Mais il a fallu très vite se renouveler et parier sur des modèles moins connotés. Aujourd’hui, ce qui fait notre différence, c’est notre originalité et notre très bon rapport qualité/prix. » Le revirement est salutaire : les exportations représentent désormais 40 % de son chiffre d’affaires, avec comme marchés privilégiés le Japon et le continent asiatique où la marque semble avoir trouvé un nouvel Eden. En parallèle, la marque démarche le continent américain. Un premier indice de son éventuel succès chez les Yankees ? Léandra Médine, alias The Man Repeller, iconique blogueuse de la mode new-yorkaise, se pavane déjà sur Instagram avec l’une des créations de la gamme “Retail Therapy” celle qui met en scène les tablettes de sacs parodiant les tablettes de Xanak, de Prozac (et même Panadol, mais pas de Viagra). Pour asseoir sa réputation sur un continent qui ne la connaît pas encore, Sarah Beydoun a une carte maîtresse : une présence offensive sur les réseaux.
Outre un site Internet qu’elle vient de refondre entièrement, offrant même un service de création personnalisé avec paiement en ligne, elle investit sur les réseaux sociaux. « C’est une réponse au fait d’être une marque de mode, basée et fabriquée à Beyrouth, soit très loin de la majorité de la clientèle. J’essaie ainsi de m’en rapprocher et de maintenir un lien fort. » Avec 47,1 K “followers” sur le réseau de partage d’images, c’est encore une belle réussite à son actif. Sur ce point, elle pourrait même avoir beaucoup de choses à apprendre à l’aréopage d’hommes d’affaires qui se presseront à Oslo, pour écouter celle qui a su devenir compétitive sur le marché international, tout en restant fidèle à sa démarche sociale.
Qui est-elle ? - Née en 1973, mariée, deux enfants. - Diplômée (BA) de sociologie de l’Université américaine de Beyrouth ; master de l’Université Saint-Joseph. - Fondatrice et directrice de la création de Sarah’s Bag. |