Après avoir travaillé dans le domaine de la biotechnologie, du médical et des sciences du vivant à Boston, aux États-Unis, Hoda Abou Jamra a lancé en 2008 à Dubaï un fonds d’investissement spécialisé dans le secteur médical des marchés émergents. Aujourd’hui, c’est sur l’Asie du Sud que mise la cofondatrice de TVM Capital Healthcare Partners, en tirant les leçons de la crise sanitaire.
Beyrouth, Paris, Boston, Dubaï, Singapour… le parcours de Hoda Abou Jamra a ce goût de l’international typique des success stories de la diaspora libanaise. « Je ne sais plus vraiment d’où je viens », s’amuse la cofondatrice du fonds d’investissement TVM Capital Healthcare Partners. Il y a pourtant une caractéristique qu’elle dit admirer chez les Libanais et qui pourrait à elle seule résumer sa carrière : la détermination face à l’adversité.
« Il y a toujours des opportunités qui naissent des périodes difficiles, il faut rester ouvert, persistant et résolu à les saisir », dit celle qui a réussi à lever 55 millions de dollars en pleine crise financière, en 2008, déjouant les pronostics. Aujourd’hui, alors que le monde s’apprête, à nouveau, à affronter un recul économique d’ampleur provoqué par l’épidémie du coronavirus, elle affiche sa combativité. « Dans ces moments j’essaie de me souvenir des difficultés surmontées : c’était dur, mais on y est arrivés », sourit-elle.
Débuts dans l'industrie pharmaceutique
Née au Liban, elle est encore adolescente lorsque la guerre civile pousse sa famille à émigrer à Paris. Ses études de pharmacie la mènent à l’université Northeastern de Boston, aux États-Unis, où elle débute sa carrière dans l’industrie pharmaceutique, et se focalise sur le développement des activités, avant de passer, quelques années plus tard, du côté de l’investissement. Elle prend ainsi la tête de Boston BioCapital, un cabinet de conseils pour entreprises, investisseurs et gouvernements, spécialisé dans le domaine de la santé.
En 2006, Hoda Abou Jamra s’installe à Dubaï pour développer la biotechnologie dans la région et participer à la diffusion de l’innovation dans le monde arabe. Mais au bout de deux ans, elle se rend compte que le marché régional n’est pas encore prêt. « Les économies émergentes n’étaient pas assez mûres pour la biotechnologie. Avant de se lancer dans l’innovation, il fallait déjà investir dans le renforcement des infrastructures médicales », explique-t-elle.
Basculement dans l'investissement
Loin de la décourager, ce constat la pousse à créer son propre fonds d’investissement. Mais pas toute seule : elle contacte Helmut Schühsler, partenaire de TVM Capital Life Science, un fonds d’investissement basé à Munich et Montréal spécialisé dans le financement des innovations de la biotechnologie et des sciences de la vie. En pleine crise des subprimes, Hoda Abou Jamra le convainc de lancer une franchise spécialisée dans les infrastructures médicales pour les pays émergents.
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Le modèle d’investissement de TVM Capital Healthcare table sur le développement des soins spécialisés en dehors des hôpitaux, que ce soit les cliniques de fertilité, les soins de rééducation ou encore ceux de longue durée… L’avantage d’une telle architecture hospitalière est qu’il permet de limiter les risques d’infections nosocomiales en segmentant et en spécialisant l’offre médicale. Mais la tâche est loin d’être aisée.« Dans les pays émergents, l’évolution du modèle traditionnel de santé, où l’hôpital assure tous les types de soins, est très lente et nécessite une coopération rapprochée avec les gouvernements afin d’adapter le cadre réglementaire, souvent déficient », explique-t-elle.
Là encore, la financière y voit une opportunité : «À un stade précoce de développement, tout est possible, et ni les idées ni l’investissement ne manquent. » TVM Capital Healthcare Partners investit ainsi dans deux cliniques aux Émirats arabes unis, une autre en Arabie saoudite et un fabricant d'équipements médicaux en Égypte. « Nous avons développé des modèles commerciaux durables et assuré des rendements intéressants à nos investisseurs tout en améliorant les infrastructures de santé », affirme Hoda Abou Jamra, en se félicitant d’avoir réussi à « combiner performances financières et impact social ». « C’est très motivant », ajoute-t-elle.
Mais Hoda Abou Jamra n’est pas du genre à se reposer sur ses lauriers. Il y a un an et demi, elle se lance un nouveau challenge : développer TVM Capital Healthcare Partners en Asie du Sud, où les marchés sont plus matures, même si les obstacles restent sensiblement les mêmes. Armée de son expérience au Moyen-Orient, elle met le cap sur Singapour.
Le défi du Covid-19
À peine le temps de s’installer dans la petite cité-État que la pandémie du Covid-19 frappe, constituant une épreuve supplémentaire pour l’investisseuse. Loin d’être la première crise à gérer, elle l’affronte avec résilience, y voyant une opportunité de changement pour le secteur. « Le Covid-19 a permis d’accélérer la transition du secteur médical vers le numérique, de la médecine à distance jusqu’à l’utilisation de l’intelligence artificielle, en passant par les objets connectés de santé utilisables chez soi. L’urgence a aussi poussé les gouvernements à s’adapter, en instaurant par exemple dans certains cas le remboursement des consultations en ligne », analyse-t-elle.
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Autre transformation notable, l’essor des cliniques spécialisées et le recentrement des hôpitaux sur les soins de courte durée. « Les hôpitaux ont été largement évités durant la pandémie, les patients hors Covid-19 craignant le risque de contamination », explique-t-elle. La tendance confirme ainsi les modèles économiques plébiscités par TVM Capital Healthcare Partners. « Nos entreprises partenaires restent d’ailleurs épargnées par la crise de l’épidémie du coronavirus », note-t-elle. Une résilience qui place sous de bons auspices les développements du fonds en Asie du Sud. « Nous sommes en train d’étudier plusieurs entreprises et les premiers investissements sont pour bientôt », assure-t-elle.