Le dollar a gagné plus de 50 % sur le marché des changes syriens depuis le début de l’année. À court de solutions, la Banque centrale semble incapable de remédier à cette chute qui paraît sans fin.
La chute de la livre sur le marché des changes syriens s’est accélérée durant les premiers jours du mois de mai.
À Damas, le dollar a dépassé le seuil des 600 livres quelques semaines seulement après être monté au-dessus de la barre des 500. Depuis le début de l’année, la valeur de la devise américaine a augmenté de 50 % – elle s’échangeait à 400 livres au 1er janvier.
En dehors de la capitale, le dollar s’échange à des taux plus élevés encore. À Raqqa, qui est sous le contrôle de l’État islamique, le différentiel est de près de 4 %. Le 12 mai 2016, par exemple, le dollar s’échangeait à 645 livres à Damas et 670 à Raqqa.
Bien que la livre syrienne perde de sa valeur de manière quasi inexorable depuis le début du soulèvement en mars 2011, c’est la première fois que sa chute est aussi brutale sur une aussi longue période et il semble de plus en plus difficile d’imaginer comment les autorités syriennes peuvent enclencher un renversement même partiel de cette tendance.
La monnaie nationale syrienne souffre de plusieurs maux structurels et en particulier de la destruction massive des capacités de production qui a mené à une chute brutale des exportations et donc des recettes en devises. Le pétrole, le tourisme et les exportations manufacturières vers l’Irak représentaient les trois principales sources de devises. Or ces trois secteurs sont soit sinistrés, soit largement détruits.
Cette destruction de l’économie a par ailleurs entraîné un recours aux importations (blé, produits pétroliers) qui augmente la demande de devises et pousse donc la monnaie à la baisse. En 2015, les exportations turques vers la Syrie ont ainsi retrouvé leur niveau record de 2010.
D’autres facteurs conjoncturels expliquent cependant les dernières pressions à la baisse.
Des revers politiques et militaires
Le régime a enregistré plusieurs revers sur les plans politique et militaire entre la fin du mois d’avril et début mai.
L’État islamique a pris le contrôle de l’important champ gazier de Shaer et est passé à l’offensive sur plusieurs autres champs pétrolifères et gaziers dans la région de Palmyre, alors qu’il y a encore quelques semaines ses troupes battaient en retraite sous les coups de boutoir de l’armée de l’air russe et de l’armée syrienne.
Par ailleurs, le Hezbollah et les milices chiites régionales alliées au régime (iraniennes, irakiennes et afghanes) ont perdu du terrain au sud d’Alep, autour de la ville de Khan Touman, dans des combats qui ont vu aussi la mort et la capture d’au moins deux douzaines de gardes révolutionnaires iraniens – dans cette région les troupes gouvernementales syriennes ne jouent qu’un rôle de supplétifs.
Plus sérieusement, l’échec du régime à encercler la ville d’Alep, alors que début avril beaucoup d’analystes estimaient encore que ce ne serait qu’une question de jours, a beaucoup contribué à renforcer les doutes sur la capacité du régime à conclure la guerre à son bénéfice.
Le plus inquiétant est que cet échec ainsi que la perte de la ville de Khan Touman sont dus au refus de la Russie de fournir une couverture aérienne, ce qui serait l’une des nombreuses indications de tensions croissantes entre Damas et Moscou – la récente déclaration de Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères russe, selon qui, bien que son pays soutienne Bachar el-Assad dans la lutte contre le terrorisme, celui-ci « n’est pas un allié de la Russie dans le sens où la Turquie est une alliée des États-Unis », n’a pas moins contribué à créer des doutes sur la solidité de la relation entre les deux partenaires.
La chute brutale des réserves en devises
Le niveau des réserves en devises de la Banque centrale au début du soulèvement, environ 20 milliards de dollars, a pendant longtemps permis à la banque de ralentir la chute de sa monnaie.
Or en avril, dans un rapport intitulé “Syria, Reconstruction for Peace”, la Banque mondiale a estimé que ces réserves étaient tombées à 700 millions de dollars, soit l’équivalent de seulement 3,5 % de leur niveau de 2011.
La publication de cette estimation a eu deux impacts psychologiques importants.
D’abord, en étant la première estimation à être fournie par un organisme international depuis près de cinq ans, elle a mis fin à l’opacité entretenue par la Banque centrale et le gouvernement – non seulement aucun chiffre officiel sur le niveau des réserves n’est disponible depuis début 2012, mais aucun chiffre n’a non plus été fourni sur la balance commerciale, la balance des paiements ou même le produit intérieur brut. La Banque centrale ne peut donc plus profiter du bénéfice du doute que lui octroyait son manque de transparence, et ses déclarations sur le fait que les réserves étaient suffisantes pour subvenir aux besoins du marché, qui avaient fini par convaincre beaucoup de monde, la décrédibilisent aujourd’hui.
Par ailleurs, l’estimation de la Banque mondiale signale une situation bien plus alarmante qu’estimée par la plupart des analystes et une couverture des importations qui ne dépasse pas quelques semaines.
Bien que le gouverneur de la Banque centrale, Adib Mayaleh, soit immédiatement monté au créneau pour dénoncer ce rapport, ses déclarations maladroites – il a affirmé, sans apporter de preuves, que les réserves en devises étaient en augmentation constante et a accusé “les ennemis de la Syrie” et “les médias sociaux” d’œuvrer contre la livre – n’ont fait que renforcer les doutes et confirmer la perte de contrôle graduelle de la Banque sur le marché des devises.
Les politiques économiques et commerciales
Les politiques économiques et commerciales déficientes du gouvernement syrien n’ont pas peu contribué non plus à réduire l’attractivité de la livre syrienne.
Depuis la mi-2014, en particulier, le gouvernement a conduit une politique de réduction des subventions sur de nombreux produits et services, y compris le pain, l’électricité, les télécommunications, l’eau et les produits pétroliers avec l’objectif de réduire la pression fiscale sur le gouvernement. Or, en plus de détruire le pouvoir d’achat des ménages et d’augmenter les coûts de production, la réduction des subventions a eu un effet inflationniste important qui a entraîné une perte du pouvoir d’achat de la monnaie syrienne et donc de son attractivité relative par rapport à d’autres devises.
La Banque centrale à court de solutions
Le 10 mai, et après plusieurs semaines durant lesquelles la Banque centrale était restée largement absente du marché, ce qui n’avait pas peu contribué à la perte de confiance en la livre, Adib Mayaleh a annoncé une série de mesures pour mettre fin aux pressions sur la livre.
La principale implique l’injection de plusieurs millions de dollars sur le marché à un taux proche de celui du marché noir ainsi qu’un relèvement des taux de change officiels avec l’objectif de réduire le différentiel avec le marché noir et donc son attractivité.
Étant sous très forte pression des marchés, Adib Mayaleh se devait d’agir et d’essayer de convaincre qu’il garde encore la main, mais ces mesures, qui ressemblent à toutes celles que la Banque a prises chaque fois que la livre était victime d’un fort accès de faiblesse, semblent incapables d’avoir un quelconque effet significatif.
À moins d’un événement dramatique, tel un afflux important et régulier de devises ou un changement majeur dans la situation politique et militaire, il est probable que dans les semaines qui viennent la livre syrienne va continuer de dégringoler.
À Damas, le dollar a dépassé le seuil des 600 livres quelques semaines seulement après être monté au-dessus de la barre des 500. Depuis le début de l’année, la valeur de la devise américaine a augmenté de 50 % – elle s’échangeait à 400 livres au 1er janvier.
En dehors de la capitale, le dollar s’échange à des taux plus élevés encore. À Raqqa, qui est sous le contrôle de l’État islamique, le différentiel est de près de 4 %. Le 12 mai 2016, par exemple, le dollar s’échangeait à 645 livres à Damas et 670 à Raqqa.
Bien que la livre syrienne perde de sa valeur de manière quasi inexorable depuis le début du soulèvement en mars 2011, c’est la première fois que sa chute est aussi brutale sur une aussi longue période et il semble de plus en plus difficile d’imaginer comment les autorités syriennes peuvent enclencher un renversement même partiel de cette tendance.
La monnaie nationale syrienne souffre de plusieurs maux structurels et en particulier de la destruction massive des capacités de production qui a mené à une chute brutale des exportations et donc des recettes en devises. Le pétrole, le tourisme et les exportations manufacturières vers l’Irak représentaient les trois principales sources de devises. Or ces trois secteurs sont soit sinistrés, soit largement détruits.
Cette destruction de l’économie a par ailleurs entraîné un recours aux importations (blé, produits pétroliers) qui augmente la demande de devises et pousse donc la monnaie à la baisse. En 2015, les exportations turques vers la Syrie ont ainsi retrouvé leur niveau record de 2010.
D’autres facteurs conjoncturels expliquent cependant les dernières pressions à la baisse.
Des revers politiques et militaires
Le régime a enregistré plusieurs revers sur les plans politique et militaire entre la fin du mois d’avril et début mai.
L’État islamique a pris le contrôle de l’important champ gazier de Shaer et est passé à l’offensive sur plusieurs autres champs pétrolifères et gaziers dans la région de Palmyre, alors qu’il y a encore quelques semaines ses troupes battaient en retraite sous les coups de boutoir de l’armée de l’air russe et de l’armée syrienne.
Par ailleurs, le Hezbollah et les milices chiites régionales alliées au régime (iraniennes, irakiennes et afghanes) ont perdu du terrain au sud d’Alep, autour de la ville de Khan Touman, dans des combats qui ont vu aussi la mort et la capture d’au moins deux douzaines de gardes révolutionnaires iraniens – dans cette région les troupes gouvernementales syriennes ne jouent qu’un rôle de supplétifs.
Plus sérieusement, l’échec du régime à encercler la ville d’Alep, alors que début avril beaucoup d’analystes estimaient encore que ce ne serait qu’une question de jours, a beaucoup contribué à renforcer les doutes sur la capacité du régime à conclure la guerre à son bénéfice.
Le plus inquiétant est que cet échec ainsi que la perte de la ville de Khan Touman sont dus au refus de la Russie de fournir une couverture aérienne, ce qui serait l’une des nombreuses indications de tensions croissantes entre Damas et Moscou – la récente déclaration de Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères russe, selon qui, bien que son pays soutienne Bachar el-Assad dans la lutte contre le terrorisme, celui-ci « n’est pas un allié de la Russie dans le sens où la Turquie est une alliée des États-Unis », n’a pas moins contribué à créer des doutes sur la solidité de la relation entre les deux partenaires.
La chute brutale des réserves en devises
Le niveau des réserves en devises de la Banque centrale au début du soulèvement, environ 20 milliards de dollars, a pendant longtemps permis à la banque de ralentir la chute de sa monnaie.
Or en avril, dans un rapport intitulé “Syria, Reconstruction for Peace”, la Banque mondiale a estimé que ces réserves étaient tombées à 700 millions de dollars, soit l’équivalent de seulement 3,5 % de leur niveau de 2011.
La publication de cette estimation a eu deux impacts psychologiques importants.
D’abord, en étant la première estimation à être fournie par un organisme international depuis près de cinq ans, elle a mis fin à l’opacité entretenue par la Banque centrale et le gouvernement – non seulement aucun chiffre officiel sur le niveau des réserves n’est disponible depuis début 2012, mais aucun chiffre n’a non plus été fourni sur la balance commerciale, la balance des paiements ou même le produit intérieur brut. La Banque centrale ne peut donc plus profiter du bénéfice du doute que lui octroyait son manque de transparence, et ses déclarations sur le fait que les réserves étaient suffisantes pour subvenir aux besoins du marché, qui avaient fini par convaincre beaucoup de monde, la décrédibilisent aujourd’hui.
Par ailleurs, l’estimation de la Banque mondiale signale une situation bien plus alarmante qu’estimée par la plupart des analystes et une couverture des importations qui ne dépasse pas quelques semaines.
Bien que le gouverneur de la Banque centrale, Adib Mayaleh, soit immédiatement monté au créneau pour dénoncer ce rapport, ses déclarations maladroites – il a affirmé, sans apporter de preuves, que les réserves en devises étaient en augmentation constante et a accusé “les ennemis de la Syrie” et “les médias sociaux” d’œuvrer contre la livre – n’ont fait que renforcer les doutes et confirmer la perte de contrôle graduelle de la Banque sur le marché des devises.
Les politiques économiques et commerciales
Les politiques économiques et commerciales déficientes du gouvernement syrien n’ont pas peu contribué non plus à réduire l’attractivité de la livre syrienne.
Depuis la mi-2014, en particulier, le gouvernement a conduit une politique de réduction des subventions sur de nombreux produits et services, y compris le pain, l’électricité, les télécommunications, l’eau et les produits pétroliers avec l’objectif de réduire la pression fiscale sur le gouvernement. Or, en plus de détruire le pouvoir d’achat des ménages et d’augmenter les coûts de production, la réduction des subventions a eu un effet inflationniste important qui a entraîné une perte du pouvoir d’achat de la monnaie syrienne et donc de son attractivité relative par rapport à d’autres devises.
La Banque centrale à court de solutions
Le 10 mai, et après plusieurs semaines durant lesquelles la Banque centrale était restée largement absente du marché, ce qui n’avait pas peu contribué à la perte de confiance en la livre, Adib Mayaleh a annoncé une série de mesures pour mettre fin aux pressions sur la livre.
La principale implique l’injection de plusieurs millions de dollars sur le marché à un taux proche de celui du marché noir ainsi qu’un relèvement des taux de change officiels avec l’objectif de réduire le différentiel avec le marché noir et donc son attractivité.
Étant sous très forte pression des marchés, Adib Mayaleh se devait d’agir et d’essayer de convaincre qu’il garde encore la main, mais ces mesures, qui ressemblent à toutes celles que la Banque a prises chaque fois que la livre était victime d’un fort accès de faiblesse, semblent incapables d’avoir un quelconque effet significatif.
À moins d’un événement dramatique, tel un afflux important et régulier de devises ou un changement majeur dans la situation politique et militaire, il est probable que dans les semaines qui viennent la livre syrienne va continuer de dégringoler.