L’importance des opportunités que créera la reconstruction syrienne fait oublier un peu vite les nombreux défis d’ordre politique et financier qui vont se poser.
La reconstruction de la Syrie aiguise tous les appétits, en particulier ceux des investisseurs de la région.
Les hommes d’affaires libanais espèrent être en première ligne grâce aux réseaux établis de longue date avec leurs homologues syriens, aux liens socioculturels des deux pays et à leur expérience dans le secteur de la construction et du bâtiment.
La Turquie, qui possède un secteur de la construction particulièrement développé, et dont les hommes d’affaires développent aussi des liens avec leurs homologues syriens installés sur leur territoire depuis le début du soulèvement – les Syriens sont, en nombre, les premiers investisseurs étrangers en Turquie – seront aussi très bien placés.
Confirmant cet intérêt, deux événements étaient, par exemple, organisés à Beyrouth la première semaine de juin : une table ronde dans le cadre de la foire commerciale Project Lebanon, et une conférence sur deux jours, Safer, organisée par la société de conseil libanaise HBC dirigée par Antoine Haddad, et l’événementiel Sigma et qui a aussi porté sur les implications de la crise des réfugiés sur le Liban.
Par ailleurs, l’affirmation récente par le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, selon laquelle le coût de la reconstruction pourrait se monter à près de 180 milliards de dollars ainsi que l’annonce par l’agence syrienne des investissements d’une liste prioritaire de 141 projets à développer dès le début de la reconstruction offrent des perspectives pour de nombreuses années à venir à des entreprises régionales qui continuent de subir le contrecoup des soulèvements arabes de 2011.
Malgré tout, et au-delà du fait que la guerre est encore très loin d’être terminée, l’optimisme de certains officiels et investisseurs semble déplacé au vu des très nombreux obstacles qui attendent le projet de reconstruction de la Syrie.
Contraintes financières
Beaucoup d’acteurs prennent pour acquis que l’octroi de financements ne sera pas un problème majeur et que l’argent coulera. Or, cet aspect, ainsi que beaucoup d’autres liés à la reconstruction, dépendra en bonne partie de l’évolution du conflit et des termes de la solution politique.
À supposer que la guerre se termine par la victoire du régime syrien et de ses alliés, ce sera à eux, c’est-à-dire principalement l’Iran et la Russie, d’assurer le financement. En effet, il est improbable que l’Arabie saoudite et les autres pays du Golfe, à savoir le Koweït, les Émirats arabes unis et le Qatar, acceptent de financer la reconstruction d’un pays dominé par le rival iranien.
Or ni l’Iran ni la Russie, qui se débattent dans des difficultés économiques sérieuses, ne semblent en mesure de fournir des financements.
Une victoire de l’opposition, qui apparaît peu probable à ce stade, ou un règlement négocié, qui, au vu des dernières déclarations du président syrien, ne semble pas plus avancé, serait en revanche davantage porteuse de financements.
Même si l’une de ses deux dernières hypothèses venait à se réaliser, Jim Yong Kim a récemment fait part de son scepticisme quant à la possibilité de lever des fonds en provenance du Golfe à cause « du prix bas du pétrole qui engendre des difficultés d’ordre budgétaire » dans ces pays. La Banque mondiale devra donc jouer un rôle important dans le financement à travers des levées de fonds auprès des marchés, a-t-il ainsi ajouté.
Un système politique nouveau qui reste à définir
Du système politique qu’adopteront les Syriens dépendra en grande partie la reconstruction. En fonction du niveau de décentralisation vers lequel se dirigera ou pas la Syrie, seront définies les institutions chargées de mener la reconstruction, d’attribuer les contrats et les bénéficiaires des projets.
L’argent de la reconstruction impliquera des enjeux énormes et créera des opportunités d’affaires pour de nombreux intermédiaires, d’où des perspectives de lutte et de tensions entre les différents centres de pouvoirs nés de la guerre et de la recomposition politique du pays.
Idéalement, un gouvernement central fort serait le plus approprié pour mener à bien une tâche aussi importante que celle qu’attendent les Syriens. Or beaucoup d’entre eux réclament aujourd’hui à une autonomie et des pouvoirs plus importants au niveau local.
L’allocation des ressources est un autre problème à relever en cas de décentralisation du pays. Les gouvernements syriens d’avant-2011 étaient largement tributaires des exportations de pétrole à la fois pour les recettes fiscales et les rentrées en devises. Or ni les Kurdes, qui contrôlent près de la moitié de ces réserves, ni les Arabes de la région de Deir ez-Zor, où se trouve l’autre moitié, ne sont disposés à laisser Damas remettre la main sur ces réserves, en tout cas pas dans les conditions en vigueur au début du soulèvement.
À ce stade, les Syriens sont de toute manière encore très loin de s’être mis d’accord sur les contours futurs du partage du pouvoir dans leurs pays, alors que les parrains des négociations internationales, la Russie et les États-Unis, ne semblent pas avoir la volonté politique de forcer une solution. Moscou, qui a récemment fait une proposition de nouvelle constitution encourageant une certaine décentralisation, s’est ainsi vu opposer une fin de non-recevoir de Damas, pourtant son allié politique.
Nous sommes donc très loin du scénario de la fin de la guerre libanaise qui s’est traduit par un accord régional syro-saoudien de résolution du conflit et l’entérinement du projet de reconstruction porté par Rafic Hariri.
Les sanctions internationales
Les sanctions occidentales imposées principalement par les États-Unis et l’Union européenne, mais aussi par l’Australie, le Canada, la Suisse et le Japon, et qui visent l’économie syrienne ainsi que de nombreuses personnalités liées au régime et des institutions étatiques vont également poser problème.
Il est en effet peu probable qu’une fin négociée du conflit mènera à une levée automatique des sanctions contre les nombreuses personnes et organisations accusées d’avoir commis ou soutenu des violations des droits de l’homme et des crimes de guerre.
La Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne mise en place par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’Onu en août 2011 enquête ainsi sur les crimes perpétrés par de nombreux officiels et hommes du régime, et semble avoir déjà accumulé de nombreux documents les impliquant. Bien qu’il est possible que ces derniers ne soient jamais inquiétés par la justice, il semble difficile d’envisager une levée des sanctions contre eux, en tout cas à court et moyen terme.
Or, étant donné l’imbrication des sphères politique, sécuritaire et économique en Syrie, il sera difficile pour tout homme d’affaires intéressé par le marché syrien d’éviter d’avoir à faire à l’un de ces individus et de se mettre donc en situation délicate par rapport à ces sanctions.
Le poids du politique
Bien qu’il soit légitime pour les entrepreneurs et décideurs de la région de se préparer très en amont, il est aussi irréaliste de s’attendre à la mise en place d’un projet de reconstruction fiable et de grande échelle avant une résolution globale du conflit syrien et l’adoption d’un nouveau pacte social qui définirait le nouveau partage du pouvoir et des ressources. Nous en sommes encore très loin.
Les hommes d’affaires libanais espèrent être en première ligne grâce aux réseaux établis de longue date avec leurs homologues syriens, aux liens socioculturels des deux pays et à leur expérience dans le secteur de la construction et du bâtiment.
La Turquie, qui possède un secteur de la construction particulièrement développé, et dont les hommes d’affaires développent aussi des liens avec leurs homologues syriens installés sur leur territoire depuis le début du soulèvement – les Syriens sont, en nombre, les premiers investisseurs étrangers en Turquie – seront aussi très bien placés.
Confirmant cet intérêt, deux événements étaient, par exemple, organisés à Beyrouth la première semaine de juin : une table ronde dans le cadre de la foire commerciale Project Lebanon, et une conférence sur deux jours, Safer, organisée par la société de conseil libanaise HBC dirigée par Antoine Haddad, et l’événementiel Sigma et qui a aussi porté sur les implications de la crise des réfugiés sur le Liban.
Par ailleurs, l’affirmation récente par le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, selon laquelle le coût de la reconstruction pourrait se monter à près de 180 milliards de dollars ainsi que l’annonce par l’agence syrienne des investissements d’une liste prioritaire de 141 projets à développer dès le début de la reconstruction offrent des perspectives pour de nombreuses années à venir à des entreprises régionales qui continuent de subir le contrecoup des soulèvements arabes de 2011.
Malgré tout, et au-delà du fait que la guerre est encore très loin d’être terminée, l’optimisme de certains officiels et investisseurs semble déplacé au vu des très nombreux obstacles qui attendent le projet de reconstruction de la Syrie.
Contraintes financières
Beaucoup d’acteurs prennent pour acquis que l’octroi de financements ne sera pas un problème majeur et que l’argent coulera. Or, cet aspect, ainsi que beaucoup d’autres liés à la reconstruction, dépendra en bonne partie de l’évolution du conflit et des termes de la solution politique.
À supposer que la guerre se termine par la victoire du régime syrien et de ses alliés, ce sera à eux, c’est-à-dire principalement l’Iran et la Russie, d’assurer le financement. En effet, il est improbable que l’Arabie saoudite et les autres pays du Golfe, à savoir le Koweït, les Émirats arabes unis et le Qatar, acceptent de financer la reconstruction d’un pays dominé par le rival iranien.
Or ni l’Iran ni la Russie, qui se débattent dans des difficultés économiques sérieuses, ne semblent en mesure de fournir des financements.
Une victoire de l’opposition, qui apparaît peu probable à ce stade, ou un règlement négocié, qui, au vu des dernières déclarations du président syrien, ne semble pas plus avancé, serait en revanche davantage porteuse de financements.
Même si l’une de ses deux dernières hypothèses venait à se réaliser, Jim Yong Kim a récemment fait part de son scepticisme quant à la possibilité de lever des fonds en provenance du Golfe à cause « du prix bas du pétrole qui engendre des difficultés d’ordre budgétaire » dans ces pays. La Banque mondiale devra donc jouer un rôle important dans le financement à travers des levées de fonds auprès des marchés, a-t-il ainsi ajouté.
Un système politique nouveau qui reste à définir
Du système politique qu’adopteront les Syriens dépendra en grande partie la reconstruction. En fonction du niveau de décentralisation vers lequel se dirigera ou pas la Syrie, seront définies les institutions chargées de mener la reconstruction, d’attribuer les contrats et les bénéficiaires des projets.
L’argent de la reconstruction impliquera des enjeux énormes et créera des opportunités d’affaires pour de nombreux intermédiaires, d’où des perspectives de lutte et de tensions entre les différents centres de pouvoirs nés de la guerre et de la recomposition politique du pays.
Idéalement, un gouvernement central fort serait le plus approprié pour mener à bien une tâche aussi importante que celle qu’attendent les Syriens. Or beaucoup d’entre eux réclament aujourd’hui à une autonomie et des pouvoirs plus importants au niveau local.
L’allocation des ressources est un autre problème à relever en cas de décentralisation du pays. Les gouvernements syriens d’avant-2011 étaient largement tributaires des exportations de pétrole à la fois pour les recettes fiscales et les rentrées en devises. Or ni les Kurdes, qui contrôlent près de la moitié de ces réserves, ni les Arabes de la région de Deir ez-Zor, où se trouve l’autre moitié, ne sont disposés à laisser Damas remettre la main sur ces réserves, en tout cas pas dans les conditions en vigueur au début du soulèvement.
À ce stade, les Syriens sont de toute manière encore très loin de s’être mis d’accord sur les contours futurs du partage du pouvoir dans leurs pays, alors que les parrains des négociations internationales, la Russie et les États-Unis, ne semblent pas avoir la volonté politique de forcer une solution. Moscou, qui a récemment fait une proposition de nouvelle constitution encourageant une certaine décentralisation, s’est ainsi vu opposer une fin de non-recevoir de Damas, pourtant son allié politique.
Nous sommes donc très loin du scénario de la fin de la guerre libanaise qui s’est traduit par un accord régional syro-saoudien de résolution du conflit et l’entérinement du projet de reconstruction porté par Rafic Hariri.
Les sanctions internationales
Les sanctions occidentales imposées principalement par les États-Unis et l’Union européenne, mais aussi par l’Australie, le Canada, la Suisse et le Japon, et qui visent l’économie syrienne ainsi que de nombreuses personnalités liées au régime et des institutions étatiques vont également poser problème.
Il est en effet peu probable qu’une fin négociée du conflit mènera à une levée automatique des sanctions contre les nombreuses personnes et organisations accusées d’avoir commis ou soutenu des violations des droits de l’homme et des crimes de guerre.
La Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne mise en place par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’Onu en août 2011 enquête ainsi sur les crimes perpétrés par de nombreux officiels et hommes du régime, et semble avoir déjà accumulé de nombreux documents les impliquant. Bien qu’il est possible que ces derniers ne soient jamais inquiétés par la justice, il semble difficile d’envisager une levée des sanctions contre eux, en tout cas à court et moyen terme.
Or, étant donné l’imbrication des sphères politique, sécuritaire et économique en Syrie, il sera difficile pour tout homme d’affaires intéressé par le marché syrien d’éviter d’avoir à faire à l’un de ces individus et de se mettre donc en situation délicate par rapport à ces sanctions.
Le poids du politique
Bien qu’il soit légitime pour les entrepreneurs et décideurs de la région de se préparer très en amont, il est aussi irréaliste de s’attendre à la mise en place d’un projet de reconstruction fiable et de grande échelle avant une résolution globale du conflit syrien et l’adoption d’un nouveau pacte social qui définirait le nouveau partage du pouvoir et des ressources. Nous en sommes encore très loin.