La guerre et la destruction des capacités de production ont accru le rôle relatif des importations dans l’économie syrienne et entraîné une compétition et des tensions accrues entre hommes d’affaires proches du pouvoir.
Selon le Fonds monétaire international (FMI), les importations syriennes, hors pétrole, ont été presque divisées par deux entre 2010, l’année qui a précédé le début du soulèvement, et 2015. Elles seraient passées de 14,9 milliards de dollars à 7,9 milliards.
Ces chiffres ne correspondent pas à ceux du ministère de l’Économie pour qui, l’année dernière, les importations se chiffraient à 4,4 milliards de dollars, soit la moitié de l’estimation du FMI. Les chiffres pour l’année 2014 s’accordent cependant : 8,2 milliards selon le FMI et 8,4 milliards selon le gouvernement. Quoi qu’il en soit, la valeur des importations syriennes a donc baissé de manière significative depuis 2010.
Ces nombres sont cependant en partie trompeurs. En effet, toute massive qu’elle soit, la chute des importations reste relative. Le PIB, par exemple, a été divisé par trois alors que le chômage a été multiplié par cinq.
En conséquence, la part des importations est passée de 25 % du PIB en 2010 à 57 % l’année dernière. En d’autres termes, le poids des importations dans l’économie syrienne s’est accru au cours des cinq dernières années et elles jouent aujourd’hui un rôle primordial dans l’économie du pays.
Cette tendance s’explique par la chute de la production locale qui a entraîné une dépendance accrue aux importations de produits finis, en particulier dans le secteur alimentaire – les importations de produits pétroliers ne sont pas incluses dans ces chiffres.
Des enjeux multiples
À cause de l’importance de ce marché et des enjeux qu’il soulève, la gestion de ce commerce occupe une place de plus en plus importante dans la réflexion et dans les politiques du gouvernement.
L’un de ces enjeux est l’approvisionnement des marchés locaux en denrées. La chute de la production a entraîné une baisse de l’offre produite localement et une dépendance accrue envers les fournisseurs étrangers. S’assurer d’un flux régulier de produits importés est devenu essentiel pour éviter les pénuries et limiter l’inflation. La plus grande partie des produits importés est d’ailleurs composée de produits alimentaires, y compris le blé et le sucre, ainsi que d’autres produits de première nécessité.
Un autre enjeu est celui de la gestion des réserves en devises du gouvernement. Les deux principales sources de devises s’étant taries – le pays n’exporte plus de pétrole et n’accueille plus de touristes –, les réserves ont connu une chute vertigineuse, de 20 milliards de dollars en 2010 à moins d’un milliard à la fin 2015, soit l’équivalent de seulement quelques semaines d’importations.
Or économiser des devises implique de réduire les importations, ce qui est en contradiction avec l’objectif de garantir un flux ininterrompu de produits sur le marché.
Un troisième enjeu est le taux de change. La baisse ininterrompue de la livre syrienne depuis 2011 renchérit le coût des importations et entraîne une hausse de l’inflation. Le fait que les réserves de change, et donc l’offre en devises baisse, contribuent à affaiblir la livre syrienne. Or s’assurer du maintien du taux de la livre est essentiel pour limiter l’inflation, mais implique l’utilisation de réserves de change qui s’amenuisent.
Enfin, un dernier enjeu est celui du partage du marché et des marges de bénéfices des importateurs syriens. Les conditions d’achat de devises, les taux auxquels prêtent les banques, les licences d’importation accordées par le ministère de l’Économie, qui sont nécessaires pour toute transaction à l’import, sont autant d’éléments qui pèsent dans les décisions des autorités syriennes.
Une Gestion confuse
Le résultat de ces enjeux contradictoires est une politique gouvernementale confuse, peu lisible, qui prête le flanc aux accusations de corruption et de copinage.
En décembre 2015, le gouvernement a introduit une mesure censée limiter la sortie de devises et réorienter les importations sur les denrées essentielles. La décision 703 du ministère établissait deux listes de produits, ceux considérés essentiels et ceux qui ne le sont pas. Afin d’obtenir une licence d’importation, les commerçants souhaitant importer des produits de la première catégorie devaient déposer en banque l’équivalent en livres syriennes de 50 % de la valeur des devises qu’ils souhaitaient emprunter pour importer leurs produits alors que précédemment une facilité de paiement par la banque le permettait. Pour les produits de la seconde catégorie, le dépôt devait être équivalent à 100 % de la valeur de ces devises.
L’objectif de la décision était de renchérir le coût de transaction des importations et, par conséquent, de réduire leur attractivité. La mesure semble avoir cependant eu pour simple impact un transfert de ce surcoût vers les consommateurs et le gouvernement a donc changé de politique.
En juin, il a créé un comité chargé d’établir une liste des produits qui devaient être importés en priorité, rendant caduque la liste de décembre 2015. Puis, en juillet, le montant devant être déposé pour emprunter des devises a été baissé à 25 % pour les deux catégories de produits.
Début septembre, la décision 703 ainsi que l’exigence d’un dépôt ont été annulées, alors que le ministère établissait, non plus deux, mais quatre catégories de produits : les intrants agricoles et industriels, les produits de première nécessité y compris alimentaires, les autres produits autorisés à l’importation et les produits qui ne peuvent être introduits sur le marché. La liste des produits qui ne peuvent plus être importés comporte les voitures de tourisme.
À cette confusion s’ajoutait celle sur la vente de devises par la Banque centrale. Alors que son précédent gouverneur, Adib Mayaleh, fournissait des devises aux marchés presque exclusivement par l’entremise des bureaux de change, Doureid Dergham, qui a pris ses fonctions en juillet, a restreint aux banques la vente de devises à des fins commerciales, les bureaux de change ne vendant plus qu’aux particuliers.
De nombreux analystes accusaient Adib Mayaleh de favoriser les bureaux de change car, subissant moins de contraintes réglementaires que les banques, ils peuvent entretenir plus facilement des liens avec le marché noir, que le gouverneur était donc indirectement accusé de soutenir. Début juillet, Adib Mayaleh a été nommé ministre de l’Économie, un poste non moins stratégique à partir duquel il octroie les indispensables licences d’importations.
La rivalité entre hommes du pouvoir
Cette confusion apparente dans les décisions gouvernementales s’explique en partie par la compétition entre hommes d’affaires sur le marché de l’importation.
Depuis la libéralisation du commerce international dans les années 2000, l’importation est devenue l’un des trois secteurs les plus attractifs, avec l’investissement immobilier et les grands contrats du secteur public.
Aujourd’hui, la guerre ayant détruit l’immobilier et mis fin aux investissements publics, l’import est le seul secteur permettant encore aux grands entrepreneurs syriens de générer des bénéfices importants. Il s’en suit une rivalité acharnée qu’un média en ligne proche du régime a récemment mis en lumière.
Selon ce média, six hommes d’affaires se partageraient deux tiers de tout le marché à l’importation. Deux d’entre eux contrôlent 20 % chacun, deux autres contrôlent 10 % chacun et deux autres 5 et 3 % respectivement. Leur part disproportionnée est attribuée à leurs liens étroits avec des responsables gouvernementaux. Bien que l’article ne nomme pas ces entrepreneurs, les regards se dirigent en particulier vers Tarif al-Akhras, surnommé le roi du sucre, un homme d’affaires de Homs.
Bien qu’il n’y ait rien de surprenant dans le fait que les liens avec les hommes du régime soient une condition à la bonne conduite des affaires, ce qui l’est davantage c’est le fait que le sujet soit abordé par un média du régime.
Or cette anomalie ne s’explique que par la frustration de certains hommes d’affaires qui ne se satisfont pas de leur part du gâteau, en bonne partie définie par les licences qu’ils obtiennent du ministère de l’Économie. La détérioration continue des affaires et le rétrécissement progressif des opportunités sont propices à une compétition encore plus acharnée dans les mois à venir.
Ces chiffres ne correspondent pas à ceux du ministère de l’Économie pour qui, l’année dernière, les importations se chiffraient à 4,4 milliards de dollars, soit la moitié de l’estimation du FMI. Les chiffres pour l’année 2014 s’accordent cependant : 8,2 milliards selon le FMI et 8,4 milliards selon le gouvernement. Quoi qu’il en soit, la valeur des importations syriennes a donc baissé de manière significative depuis 2010.
Ces nombres sont cependant en partie trompeurs. En effet, toute massive qu’elle soit, la chute des importations reste relative. Le PIB, par exemple, a été divisé par trois alors que le chômage a été multiplié par cinq.
En conséquence, la part des importations est passée de 25 % du PIB en 2010 à 57 % l’année dernière. En d’autres termes, le poids des importations dans l’économie syrienne s’est accru au cours des cinq dernières années et elles jouent aujourd’hui un rôle primordial dans l’économie du pays.
Cette tendance s’explique par la chute de la production locale qui a entraîné une dépendance accrue aux importations de produits finis, en particulier dans le secteur alimentaire – les importations de produits pétroliers ne sont pas incluses dans ces chiffres.
Des enjeux multiples
À cause de l’importance de ce marché et des enjeux qu’il soulève, la gestion de ce commerce occupe une place de plus en plus importante dans la réflexion et dans les politiques du gouvernement.
L’un de ces enjeux est l’approvisionnement des marchés locaux en denrées. La chute de la production a entraîné une baisse de l’offre produite localement et une dépendance accrue envers les fournisseurs étrangers. S’assurer d’un flux régulier de produits importés est devenu essentiel pour éviter les pénuries et limiter l’inflation. La plus grande partie des produits importés est d’ailleurs composée de produits alimentaires, y compris le blé et le sucre, ainsi que d’autres produits de première nécessité.
Un autre enjeu est celui de la gestion des réserves en devises du gouvernement. Les deux principales sources de devises s’étant taries – le pays n’exporte plus de pétrole et n’accueille plus de touristes –, les réserves ont connu une chute vertigineuse, de 20 milliards de dollars en 2010 à moins d’un milliard à la fin 2015, soit l’équivalent de seulement quelques semaines d’importations.
Or économiser des devises implique de réduire les importations, ce qui est en contradiction avec l’objectif de garantir un flux ininterrompu de produits sur le marché.
Un troisième enjeu est le taux de change. La baisse ininterrompue de la livre syrienne depuis 2011 renchérit le coût des importations et entraîne une hausse de l’inflation. Le fait que les réserves de change, et donc l’offre en devises baisse, contribuent à affaiblir la livre syrienne. Or s’assurer du maintien du taux de la livre est essentiel pour limiter l’inflation, mais implique l’utilisation de réserves de change qui s’amenuisent.
Enfin, un dernier enjeu est celui du partage du marché et des marges de bénéfices des importateurs syriens. Les conditions d’achat de devises, les taux auxquels prêtent les banques, les licences d’importation accordées par le ministère de l’Économie, qui sont nécessaires pour toute transaction à l’import, sont autant d’éléments qui pèsent dans les décisions des autorités syriennes.
Une Gestion confuse
Le résultat de ces enjeux contradictoires est une politique gouvernementale confuse, peu lisible, qui prête le flanc aux accusations de corruption et de copinage.
En décembre 2015, le gouvernement a introduit une mesure censée limiter la sortie de devises et réorienter les importations sur les denrées essentielles. La décision 703 du ministère établissait deux listes de produits, ceux considérés essentiels et ceux qui ne le sont pas. Afin d’obtenir une licence d’importation, les commerçants souhaitant importer des produits de la première catégorie devaient déposer en banque l’équivalent en livres syriennes de 50 % de la valeur des devises qu’ils souhaitaient emprunter pour importer leurs produits alors que précédemment une facilité de paiement par la banque le permettait. Pour les produits de la seconde catégorie, le dépôt devait être équivalent à 100 % de la valeur de ces devises.
L’objectif de la décision était de renchérir le coût de transaction des importations et, par conséquent, de réduire leur attractivité. La mesure semble avoir cependant eu pour simple impact un transfert de ce surcoût vers les consommateurs et le gouvernement a donc changé de politique.
En juin, il a créé un comité chargé d’établir une liste des produits qui devaient être importés en priorité, rendant caduque la liste de décembre 2015. Puis, en juillet, le montant devant être déposé pour emprunter des devises a été baissé à 25 % pour les deux catégories de produits.
Début septembre, la décision 703 ainsi que l’exigence d’un dépôt ont été annulées, alors que le ministère établissait, non plus deux, mais quatre catégories de produits : les intrants agricoles et industriels, les produits de première nécessité y compris alimentaires, les autres produits autorisés à l’importation et les produits qui ne peuvent être introduits sur le marché. La liste des produits qui ne peuvent plus être importés comporte les voitures de tourisme.
À cette confusion s’ajoutait celle sur la vente de devises par la Banque centrale. Alors que son précédent gouverneur, Adib Mayaleh, fournissait des devises aux marchés presque exclusivement par l’entremise des bureaux de change, Doureid Dergham, qui a pris ses fonctions en juillet, a restreint aux banques la vente de devises à des fins commerciales, les bureaux de change ne vendant plus qu’aux particuliers.
De nombreux analystes accusaient Adib Mayaleh de favoriser les bureaux de change car, subissant moins de contraintes réglementaires que les banques, ils peuvent entretenir plus facilement des liens avec le marché noir, que le gouverneur était donc indirectement accusé de soutenir. Début juillet, Adib Mayaleh a été nommé ministre de l’Économie, un poste non moins stratégique à partir duquel il octroie les indispensables licences d’importations.
La rivalité entre hommes du pouvoir
Cette confusion apparente dans les décisions gouvernementales s’explique en partie par la compétition entre hommes d’affaires sur le marché de l’importation.
Depuis la libéralisation du commerce international dans les années 2000, l’importation est devenue l’un des trois secteurs les plus attractifs, avec l’investissement immobilier et les grands contrats du secteur public.
Aujourd’hui, la guerre ayant détruit l’immobilier et mis fin aux investissements publics, l’import est le seul secteur permettant encore aux grands entrepreneurs syriens de générer des bénéfices importants. Il s’en suit une rivalité acharnée qu’un média en ligne proche du régime a récemment mis en lumière.
Selon ce média, six hommes d’affaires se partageraient deux tiers de tout le marché à l’importation. Deux d’entre eux contrôlent 20 % chacun, deux autres contrôlent 10 % chacun et deux autres 5 et 3 % respectivement. Leur part disproportionnée est attribuée à leurs liens étroits avec des responsables gouvernementaux. Bien que l’article ne nomme pas ces entrepreneurs, les regards se dirigent en particulier vers Tarif al-Akhras, surnommé le roi du sucre, un homme d’affaires de Homs.
Bien qu’il n’y ait rien de surprenant dans le fait que les liens avec les hommes du régime soient une condition à la bonne conduite des affaires, ce qui l’est davantage c’est le fait que le sujet soit abordé par un média du régime.
Or cette anomalie ne s’explique que par la frustration de certains hommes d’affaires qui ne se satisfont pas de leur part du gâteau, en bonne partie définie par les licences qu’ils obtiennent du ministère de l’Économie. La détérioration continue des affaires et le rétrécissement progressif des opportunités sont propices à une compétition encore plus acharnée dans les mois à venir.