Le gouverneur de la Banque centrale Riad Salamé continue de se féliciter de l’impact positif pour le Liban de l’ingénierie financière conçue en mai et achevée en novembre. Son objectif affiché était de renforcer la stabilité monétaire du pays. Elle a permis à la balance des paiements de dégager un excédent exceptionnel de « 555 millions de dollars en septembre, contre un déficit de 1,7 milliard en mai », s’est-il réjoui début novembre, ajoutant que les banques avaient également
« renforcé leurs bilans », ce qui leur permet d’« augmenter leur portefeuille de crédits libellés en livres ».
L’impact sur le bilan de la Banque du Liban est flagrant : ses actifs ont augmenté de 14 % depuis le début de l’année à 103,7 milliards de dollars fin octobre 2016, dont 40,6 milliards de dollars de réserves en devises (en hausse de 9 %). Depuis les années 1990, le montant de ces réserves brutes en devises est l’un des principaux instruments de la politique de stabilité du taux de change suivie par la Banque du Liban (qui ne publie pas le chiffre de ses réserves nettes). Et lors d’une conférence de l’Union des banques arabes, fin novembre, le gouverneur a redit que l’objectif principal de l’ingénierie était de préserver la stabilité de la livre libanaise et des taux d’intérêt, ainsi que la capacité des banques à financer l’économie. « Les taux d’intérêt sur le marché libanais restent inférieurs à ceux des pays voisins, à l’exception des pays producteurs de pétrole », a-t-il souligné, citant la moyenne de 10 % versée sur la livre turque et de 15 % sur la livre égyptienne, contre 7 % sur la livre libanaise.
Cette ingénierie financière a déjà fait couler beaucoup d’encre (voir Le Commerce du Levant d’octobre 2016), principalement en raison de son coût indirect pour le contribuable dont le corollaire est un “cadeau” estimé à environ deux milliards de dollars aux banques : pour cent dollars que ces dernières ont ramenés de l’étranger pour les placer à la Banque centrale, elles ont perçu le même montant en livres libanaises, augmenté d’une forte prime. Le gouverneur assume ouvertement ce transfert de richesses, son objectif étant de « renforcer le bilan des banques », afin que ces dernières affectent notamment ces bénéfices au respect des nouvelles normes comptables internationales IFRS9, à partir de 2018. Ces dernières visent à renforcer la solidité du système financier mondial, notamment en augmentant les exigences en termes de fonds propres destinés à couvrir les pertes liées au risque de crédit.
Selon un rapport publié le 20 novembre par Arqaam Capital, une banque d’investissement spécialisée sur les marchés émergents qui dispose d’un bureau à Beyrouth, la Bank Audi est le « grand gagnant » de cette ingénierie financière, puisqu’elle a, selon les estimations de ses auteurs, engrangé un bénéfice net de 993 millions de dollars au troisième trimestre, représentant 38 % de sa capitalisation boursière. « Ce montant a ensuite été affecté à hauteur de 218 millions de dollars en diminution des écarts d’acquisition, à un renforcement substantiel des provisions (461,8 millions) et à des dépréciations d’activités improductives (219,9 millions – notamment au Soudan et en Syrie NDLR) », expliquent les analystes, auteurs du rapport.
Certaines banques ont également fait bénéficier leurs clients détenteurs de devises à l’étranger des rendements très attractifs de l’ingénierie de la Banque centrale. Une politique qui a suscité une vive polémique dans les milieux financiers. Plusieurs patrons de banques, clients fortunés, banquiers privés ou intermédiaires financiers, sous couvert d’anonymat, ont fait part au Commerce du Levant de leur désapprobation du niveau très élevé du rendement ainsi offert.
Selon plusieurs sources informées concordantes, les clients les plus fortunés de la Bank Audi ont bénéficié d’un bonus immédiat en livres libanaises de 20 % pour tout apport minimum de 20 millions de dollars en devises. Ce dépôt à terme sur un an est en outre rémunéré à hauteur de 5 %.
« Enrichir les banques n’est pas un problème en soi si l’objectif est de renforcer leur bilan, commente l’un des banquiers interrogés. Ce qui me choque, c’est la façon dont ces bénéfices se sont transformés en cadeau à une certaine catégorie de personnes : les clients les plus riches. »
Au-delà de l’appréciation de l’opportunité de la stratégie commerciale du groupe Audi, qui a la banque privée la plus importante de la place, avec plus de 10 milliards de dollars d’actifs sous gestion, et a été imité à divers degrés par d’autres banques, tandis que certaines, parmi les plus grandes, ont expressément refusé de suivre ; c’est son impact psychologique qui a suscité des interrogations. « La première réaction de l’un de mes clients a été de se demander s’il ne fallait pas qu’il retire son argent du Liban : car si une banque en arrive à offrir un tel rendement, le premier réflexe est de se demander si le risque-pays s’est accru d’autant », témoigne un autre banquier. Des réactions individuelles sans conséquence globale, si l’on en croit le solde des flux de capitaux vers le Liban, nettement positif. « Il ne faut pas confondre la clientèle concernée avec le grand public », estime toutefois un autre banquier, selon qui « il s’agit de personnes qualifiées pour comprendre les risques et la façon précise de les mesurer ».
Mais des questions se posent à terme, souligne un analyste. « On peut comprendre que l’intérêt de ce type d’opération a été pour les banques concernées de partager avec de gros déposants une partie des risques, en réduisant la part de leurs fonds propres mobilisés pour le swap ; ce qui s’est traduit par un partage des bénéfices. Mais que se passera-t-il à l’échéance, dans un an ? Comment garder au Liban des fonds attirés par une rémunération aussi attractive ? » interroge un banquier. Une partie de l’épargne en devises mobilisée pour ces produits à haut rendement serait passée de banques libanaises vers d’autres banques libanaises, à en croire plusieurs témoignages concordants, mais la majorité est venue de l’étranger. « Des prêts sur portefeuille ont été contractés dans des banques suisses ou luxembourgeoises pour placer des devises au Liban sur un an et profiter de ces rendements exceptionnels. »
« renforcé leurs bilans », ce qui leur permet d’« augmenter leur portefeuille de crédits libellés en livres ».
L’impact sur le bilan de la Banque du Liban est flagrant : ses actifs ont augmenté de 14 % depuis le début de l’année à 103,7 milliards de dollars fin octobre 2016, dont 40,6 milliards de dollars de réserves en devises (en hausse de 9 %). Depuis les années 1990, le montant de ces réserves brutes en devises est l’un des principaux instruments de la politique de stabilité du taux de change suivie par la Banque du Liban (qui ne publie pas le chiffre de ses réserves nettes). Et lors d’une conférence de l’Union des banques arabes, fin novembre, le gouverneur a redit que l’objectif principal de l’ingénierie était de préserver la stabilité de la livre libanaise et des taux d’intérêt, ainsi que la capacité des banques à financer l’économie. « Les taux d’intérêt sur le marché libanais restent inférieurs à ceux des pays voisins, à l’exception des pays producteurs de pétrole », a-t-il souligné, citant la moyenne de 10 % versée sur la livre turque et de 15 % sur la livre égyptienne, contre 7 % sur la livre libanaise.
Cette ingénierie financière a déjà fait couler beaucoup d’encre (voir Le Commerce du Levant d’octobre 2016), principalement en raison de son coût indirect pour le contribuable dont le corollaire est un “cadeau” estimé à environ deux milliards de dollars aux banques : pour cent dollars que ces dernières ont ramenés de l’étranger pour les placer à la Banque centrale, elles ont perçu le même montant en livres libanaises, augmenté d’une forte prime. Le gouverneur assume ouvertement ce transfert de richesses, son objectif étant de « renforcer le bilan des banques », afin que ces dernières affectent notamment ces bénéfices au respect des nouvelles normes comptables internationales IFRS9, à partir de 2018. Ces dernières visent à renforcer la solidité du système financier mondial, notamment en augmentant les exigences en termes de fonds propres destinés à couvrir les pertes liées au risque de crédit.
Selon un rapport publié le 20 novembre par Arqaam Capital, une banque d’investissement spécialisée sur les marchés émergents qui dispose d’un bureau à Beyrouth, la Bank Audi est le « grand gagnant » de cette ingénierie financière, puisqu’elle a, selon les estimations de ses auteurs, engrangé un bénéfice net de 993 millions de dollars au troisième trimestre, représentant 38 % de sa capitalisation boursière. « Ce montant a ensuite été affecté à hauteur de 218 millions de dollars en diminution des écarts d’acquisition, à un renforcement substantiel des provisions (461,8 millions) et à des dépréciations d’activités improductives (219,9 millions – notamment au Soudan et en Syrie NDLR) », expliquent les analystes, auteurs du rapport.
Certaines banques ont également fait bénéficier leurs clients détenteurs de devises à l’étranger des rendements très attractifs de l’ingénierie de la Banque centrale. Une politique qui a suscité une vive polémique dans les milieux financiers. Plusieurs patrons de banques, clients fortunés, banquiers privés ou intermédiaires financiers, sous couvert d’anonymat, ont fait part au Commerce du Levant de leur désapprobation du niveau très élevé du rendement ainsi offert.
Selon plusieurs sources informées concordantes, les clients les plus fortunés de la Bank Audi ont bénéficié d’un bonus immédiat en livres libanaises de 20 % pour tout apport minimum de 20 millions de dollars en devises. Ce dépôt à terme sur un an est en outre rémunéré à hauteur de 5 %.
« Enrichir les banques n’est pas un problème en soi si l’objectif est de renforcer leur bilan, commente l’un des banquiers interrogés. Ce qui me choque, c’est la façon dont ces bénéfices se sont transformés en cadeau à une certaine catégorie de personnes : les clients les plus riches. »
Au-delà de l’appréciation de l’opportunité de la stratégie commerciale du groupe Audi, qui a la banque privée la plus importante de la place, avec plus de 10 milliards de dollars d’actifs sous gestion, et a été imité à divers degrés par d’autres banques, tandis que certaines, parmi les plus grandes, ont expressément refusé de suivre ; c’est son impact psychologique qui a suscité des interrogations. « La première réaction de l’un de mes clients a été de se demander s’il ne fallait pas qu’il retire son argent du Liban : car si une banque en arrive à offrir un tel rendement, le premier réflexe est de se demander si le risque-pays s’est accru d’autant », témoigne un autre banquier. Des réactions individuelles sans conséquence globale, si l’on en croit le solde des flux de capitaux vers le Liban, nettement positif. « Il ne faut pas confondre la clientèle concernée avec le grand public », estime toutefois un autre banquier, selon qui « il s’agit de personnes qualifiées pour comprendre les risques et la façon précise de les mesurer ».
Mais des questions se posent à terme, souligne un analyste. « On peut comprendre que l’intérêt de ce type d’opération a été pour les banques concernées de partager avec de gros déposants une partie des risques, en réduisant la part de leurs fonds propres mobilisés pour le swap ; ce qui s’est traduit par un partage des bénéfices. Mais que se passera-t-il à l’échéance, dans un an ? Comment garder au Liban des fonds attirés par une rémunération aussi attractive ? » interroge un banquier. Une partie de l’épargne en devises mobilisée pour ces produits à haut rendement serait passée de banques libanaises vers d’autres banques libanaises, à en croire plusieurs témoignages concordants, mais la majorité est venue de l’étranger. « Des prêts sur portefeuille ont été contractés dans des banques suisses ou luxembourgeoises pour placer des devises au Liban sur un an et profiter de ces rendements exceptionnels. »