C’est une micro-niche, mais une micro-niche qui a le vent en poupe. Les single malts représentaient seulement 5 000 caisses (de 9 litres) au Liban si on en croit l’étude annuelle de l’International Wine and Spirit Research (2015). Quasi rien donc, au regard des whiskies blends, lesquels affichent une consommation d’un peu plus 400 000 caisses (de 9 litres) en 2015, tous segments confondus.
« Les single malts comptent pour 1 % de la consommation annuelle totale de whisky au Liban», explique Ziad Chami, responsable marketing pour la région chez Diageo. Pour autant, cette « micro-niche » n’en est pas moins très alléchante : car elle connaît une croissance annuelle de 23%, en volume et de 15 % en valeur, sur les deux premiers semestres de 2016, selon les chiffres de l’étude Nielsen 2016.
Les single malts représentent 1% du marché
Anthony Massoud, qui dirige les Établissements Antoine Massoud (EAM), estime même que la progression des single malts au Liban pourrait aller jusqu’à prendre 10 % du marché des whiskies d’ici à dix ans. Ce n’est pas un pur fantasme : aux États-Unis, ce segment représente déjà plus de 20 % des ventes de scotch en volume et 35 % en valeur. « Les single malt représentent ces dernières cinq années la catégorie la plus dynamique et la plus rentable du marché des spiritueux au Liban », fait valoir Mirna Beydoun, en charge du développement du portefeuille de single malts chez Fawaz.
Parmi les marques présentes à Beyrouth, le numéro un mondial (aussi bien que local) est la marque Glenfiddich. Distribuée par le groupe Bocti, elle totalise près de 47 % des parts de marché localement. Propriété du groupe William Grant & Sons, elle laisse loin derrière ses adversaires : Macallan, par exemple, (groupe Vincenti & Sons) compte pour moins de 4 % du total des ventes. Et les autres sont à l’avenant.
Partout, dans le monde, la demande explose. Entre 2011 et 2015, les volumes de single malts vendus ont ainsi augmenté globalement de 6 % et les ventes en valeurs de 11,3 %. Le phénomène s’explique par la relative désaffection du public pour les whiskies blends : depuis 2014, leurs ventes déclinent doucement. Au Liban, le whisky, qui est l’alcool national, loin devant l’arak, se maintient avec +3 % en volume et +5 % en valeur les deux premiers semestres 2016, selon l’étude Nielsen. « Partout, cependant, on assiste au même phénomène : la “premiumisation” du marché du whisky. Concrètement, ce phénomène se traduit par un intérêt croissant pour les single malts que le public considère comme le haut de gamme des whiskies. Les single malts sont aujourd’hui considérés comme des “whiskies de dégustation” et deviennent chaque année davantage prisés », explique Anthony Massoud d’EAM.
Le marché se sophistique
Sans surprise, l’engouement du public se traduit par une sophistication du marché avec, en particulier, des extensions de marques : outre les différents vieillissement possibles (8, 10, 12, 15 ans…), les labels proposent des coffrets spéciaux voire des éditions limitées de type “triple woods” ou “rare cask”. « Très clairement, la clientèle des single malts appartient à la catégorie des 40 ans et plus. Elle est plutôt masculine et à fort pouvoir d’achat », ajoute, de son côté, Ziad Chami de Diageo. « Les single malts sont considérés de plus en plus comme un pilier sûr du marché des spiritueux (…) Le prix unitaire de certains de ces produits peut se chiffrer en milliers de dollars, et les transactions récentes ont prouvé qu’il y avait de grands connaisseurs au Liban », précise encore Christian el-Khoury du groupe Vincenti & Sons.
Pas étonnant, dans ce cas, à ce qu’on assiste au Liban à toute une série de mouvements que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier de « guerre ouverte ». En pleine recomposition, la plupart des distributeurs cherchent à étoffer leur portefeuille. Certains n’hésitant pas à aller démarcher des marques déjà représentées, par des acteurs de moindre carrure, qui ne peuvent offrir la « couverture » des grands groupes de distribution. Mais d’autres aussi élargissent leur offre à des marques jusque-là inconnues du marché libanais. Fattal, par exemple, devrait prendre la distribution des single malts du groupe français Remy Cointreau ainsi que de l’américain Brown Forman Group. « 2016 sera pour nous l’année des single malts. Nous allons faire une entrée massive », ajoute Tony Mazloum directeur de la compagnie Neocomet, spécialisée dans la commercialisation des spiritueux, au sein du groupe Fattal. De même, Vincenti & Sons, est lui aussi en pleine consolidation avec la signature ces trois dernières années de plusieurs contrats avec des marques de renom. « Nous avons gagné récemment la représentation exclusive et la distribution au Liban de diverses marques internationales de spiritueux dont bon nombre sont des single malts en provenance du Japon d’Irlande et plusieurs nouveaux écossais. » Dans son portefeuille désormais, des marques aux tempérament marqués, comme Laphroaig.
Culture du single malt
Cette recomposition s’accompagne de la mise en place d’un écosystème. Différents distributeurs ont ainsi fait le pari du retail afin de se trouver en prise plus directe avec la clientèle, qu’ils entendent en partie aussi « éduquer » à la culture des single malts. « C’est une nécessité, estime Ziad Chami de Diageo, si on veut élargir la base de nos consommateurs. » Le premier, le groupe EAM a ouvert en 2014 une boutique spécialisée The Malt Gallery, positionnée sur les singles malts et les spiritueux rares. En 2016, c’est au tour de Vincenti & Sons de lancer un concept identique The Cask & Barrel à Sin el-Fil. « Il s’agit de démocratiser la culture autour des grands whiskies et des grands malts », assure Élie Abou Khalil qui la dirige. Il s’agit aussi de faire vivre une « expérience » aux consommateurs, « en les positionnant dans un environnement agréable et unique » afin de mieux les fidéliser. « Il y a une vraie curiosité », assure Wadih Riachi qui dirige le caviste Vintage. Les labels qui n’ont pas pignon sur rue y gagnent un contact direct avec ces derniers sans le filtre de la grande distribution. Car, autre élément de différenciation, si les blends se vendent majoritairement dans les grandes surfaces selon une ancienne étude Nielson (2009) ; les singles malts, eux, restent encore l’apanage des boutiques et des magasins spécialisés. En matière d’éducation, un nouveau pas vient d’être franchi avec le lancement de Whisky Live à Beyrouth. Whisky Live, dont EAM a pris la franchise pour le Liban, représente l’un des plus grands salons au monde dédié à cet alcool et aux spiritueux (groupe Maison du Whisky). À Beyrouth, pour la première édition (2016), une trentaine de marques sont présents, tandis qu’environ 3 000 visiteurs payants sont attendus. Une grand-messe qui devrait sonner l’entrée du Liban dans le monde des grands amateurs de single malts.