La carrière de Caroline Fattal-Fakhoury aurait-elle été différente si elle était née garçon ? Si la question lui était posée, celle qui est aujourd’hui membre du conseil d’administration du groupe Fattal, que son arrière-grand-père, Khalil Farès Fattal, fonda en 1897, répondrait sans doute par un “non” catégorique. Car rien ne semble jamais réfréner cette femme de pouvoir. Surtout pas une triviale question de genre.
Indépendante, obstinée, Caroline Fattal-Fakhoury a quitté le confort d’une vie française à 23 ans pour partir travailler en Argentine pour le compte du groupe Unilever chez qui elle travaillait déjà. « Pour être sûre d’obtenir le poste, j’ai proposé de travailler sous le statut de salarié local, car je savais avoir peu de chance avec un statut d’expatrié. » L’anecdote dit bien ce volontarisme à toute épreuve dont elle ne s’est guère départie. Depuis, elle se tient aux avant-postes du monde de l’entreprise et trace en pionnière un chemin pour les générations suivantes de “femmes décideurs”. « Oui, il y a eu de nombreuses “premières fois” dans ma carrière », concède-t-elle dans un sourire presque timide, dont on pourrait dire qu’il vient parfaire sa “force tranquille”. Parmi ses “premières fois”, sa nomination, à 27 ans, au poste de directrice des ventes d’Unilever Levant. « Jamais une femme n’avait accédé à une position similaire dans ce groupe. Pour moi, cela représentait un double challenge : être une femme dans un environnement masculin ; être de surcroît très jeune dans un milieu où mes pairs étaient largement plus âgés », se souvient-elle. Elle a également été la première des “héritières” Fattal à choisir de mettre délibérément les mains dans le cambouis, alors que son statut de “fille de…” la protégeait des aléas de la vie. « Je travaille parce que j’adore cela », écrit-elle ainsi dans un article de l’European Business Review, publié en 2016, et accessible sur la Toile.
En 2001, Caroline Fattal-Fakhoury rejoint le groupe familial, à la demande de son oncle, Bernard, alors PDG du groupe, décédé en 2009 dans un accident de voiture. Elle prend ses marques d’abord au sein de la division de produits alimentaires et boissons, puis assez vite devient directrice des fonctions support du groupe. Dans cette lente ascension, d’autres “premières fois” font date : elle est la première femme à siéger au conseil d’administration du groupe (une fonction qu’elle avait déjà exercée chez Unilever), un “cas d’école” quand les femmes ne représentent pas plus de 1,5 % des membres des conseils d’administration des entreprises du Levant, selon l’Organisation internationale du travail. Forbes Middle East ne s’y est d’ailleurs pas trompé : depuis 2014, le magazine la classe chaque année parmi les « 200 femmes les plus influentes de la région ».
Pourtant, malgré ces succès, la question du sexe – ce que les Anglais nomment du doux euphémisme de “gender issue” – reste posée : « Évoluer ou simplement survivre demande des efforts très importants aux femmes dans n’importe quel métier. » Un constat global qui se traduit, dans son cas particulier, par une question lancinante : comment exister et trouver sa place alors que tout concourt à vous reléguer au second rôle ? Car le destin d’une femme comme Caroline Fattal-Fakhoury se lit aussi comme la chronique des allers et retours d’une féministe aux prises avec la réalité d’un pays où les femmes brillent par leur absence dans le monde politique, social ou entrepreneurial. « J’ai été très tôt sensibilisée à la question, assure-t-elle. Je suis née et j’ai été élevée au Liban dans une famille de trois filles. À cette époque, la règle non écrite était encore celle de la primogéniture masculine. » Manière de dire que lorsqu’elle est venue au monde, sa société, son milieu, sa famille elle-même ne concevaient guère d’avenir professionnel sérieux à une “infante”. « J’ai cependant eu la chance d’avoir des parents qui m’ont toujours fait confiance, qui ont su m’écouter et m’encourager alors même que je faisais des choix qui, parfois, pour eux, n’avaient rien d’évident », ajoute-t-elle. Gageons que si son père avait vécu (il est mort en 1989 alors qu’elle avait 18 ans), il l’aurait également soutenue lorsqu’elle a pris en main la filiale irakienne du groupe Fattal en 2014. « Je me suis portée volontaire : c’était un mélange de challenge professionnel et de danger physique », se souvient-elle. Elle réussit alors que l’État islamique (EI) frappait aux portes d’Erbil, où Fattal s’était installé (et est toujours présent). « Pendant deux ans, j’ai arpenté les marchés du pays pour pouvoir réadapter notre réseau de distribution et nos offres produites aux réalités des consommateurs locaux. On a réussi ! La filiale fonctionne très bien, malgré les difficultés du marché irakien. Mais, en parallèle, nous avions mis en place un plan de restructuration à destination de notre personnel ainsi que de relocalisation de nos entrepôts afin d’être parés à toutes les éventualités. À un moment, quand l’EI n’était plus qu’à 20 kilomètres d’Erbil, nous réévaluions nos choix d’heure en heure. Nous avons tenu bon ! Et l’EI n’a pas pénétré dans la ville. »
Si déconvenues il y a eu dans sa carrière, Caroline Fattal n’en laisse rien paraître. Habituée à maîtriser ses émotions, on ne peut que les pressentir des combats qu’elle s’assigne. « J’ai une passion pour l’entrepreneuriat et je crois à l’égalité des chances. D’où mon implication en faveur du travail des femmes, et particulièrement en faveur de leur accès à de hautes fonctions. » En juillet dernier, elle a officiellement lancé la fondation Stand for Women, qu’on retrouve sur les réseaux sociaux : presque chaque jour, elle y poste des informations, certains chiffres-clés, quelques encouragements et parfois le portrait de femmes modèles, comme autant d’exemples à suivre. Le sien pourrait-il servir à d’autres ? Ce n’est pas dans ses manières de l’affirmer. Mais celle qui signa l’une de ses interventions publiques du célèbre “Tu seras un homme, mon fils” de Joseph Kipling a un autre violon d’Ingres : le coaching. L’éducation est une obsession chez elle : elle n’a jamais cessé d’apprendre et y voit un outil pour aider ses consœurs à affirmer leur leadership. « Pour accepter un poste, une femme, qui a une fâcheuse tendance à douter, aura besoin d’être sûre à 100 voire à 120 % de ses compétences ou de ses capacités ; un homme s’engagera s’il sent prêt à 60 % seulement. C’est une statistique bien connue. Cela doit changer grâce à une “prise de confiance” des femmes et une plus grande propension au risque ! »
Indépendante, obstinée, Caroline Fattal-Fakhoury a quitté le confort d’une vie française à 23 ans pour partir travailler en Argentine pour le compte du groupe Unilever chez qui elle travaillait déjà. « Pour être sûre d’obtenir le poste, j’ai proposé de travailler sous le statut de salarié local, car je savais avoir peu de chance avec un statut d’expatrié. » L’anecdote dit bien ce volontarisme à toute épreuve dont elle ne s’est guère départie. Depuis, elle se tient aux avant-postes du monde de l’entreprise et trace en pionnière un chemin pour les générations suivantes de “femmes décideurs”. « Oui, il y a eu de nombreuses “premières fois” dans ma carrière », concède-t-elle dans un sourire presque timide, dont on pourrait dire qu’il vient parfaire sa “force tranquille”. Parmi ses “premières fois”, sa nomination, à 27 ans, au poste de directrice des ventes d’Unilever Levant. « Jamais une femme n’avait accédé à une position similaire dans ce groupe. Pour moi, cela représentait un double challenge : être une femme dans un environnement masculin ; être de surcroît très jeune dans un milieu où mes pairs étaient largement plus âgés », se souvient-elle. Elle a également été la première des “héritières” Fattal à choisir de mettre délibérément les mains dans le cambouis, alors que son statut de “fille de…” la protégeait des aléas de la vie. « Je travaille parce que j’adore cela », écrit-elle ainsi dans un article de l’European Business Review, publié en 2016, et accessible sur la Toile.
En 2001, Caroline Fattal-Fakhoury rejoint le groupe familial, à la demande de son oncle, Bernard, alors PDG du groupe, décédé en 2009 dans un accident de voiture. Elle prend ses marques d’abord au sein de la division de produits alimentaires et boissons, puis assez vite devient directrice des fonctions support du groupe. Dans cette lente ascension, d’autres “premières fois” font date : elle est la première femme à siéger au conseil d’administration du groupe (une fonction qu’elle avait déjà exercée chez Unilever), un “cas d’école” quand les femmes ne représentent pas plus de 1,5 % des membres des conseils d’administration des entreprises du Levant, selon l’Organisation internationale du travail. Forbes Middle East ne s’y est d’ailleurs pas trompé : depuis 2014, le magazine la classe chaque année parmi les « 200 femmes les plus influentes de la région ».
Pourtant, malgré ces succès, la question du sexe – ce que les Anglais nomment du doux euphémisme de “gender issue” – reste posée : « Évoluer ou simplement survivre demande des efforts très importants aux femmes dans n’importe quel métier. » Un constat global qui se traduit, dans son cas particulier, par une question lancinante : comment exister et trouver sa place alors que tout concourt à vous reléguer au second rôle ? Car le destin d’une femme comme Caroline Fattal-Fakhoury se lit aussi comme la chronique des allers et retours d’une féministe aux prises avec la réalité d’un pays où les femmes brillent par leur absence dans le monde politique, social ou entrepreneurial. « J’ai été très tôt sensibilisée à la question, assure-t-elle. Je suis née et j’ai été élevée au Liban dans une famille de trois filles. À cette époque, la règle non écrite était encore celle de la primogéniture masculine. » Manière de dire que lorsqu’elle est venue au monde, sa société, son milieu, sa famille elle-même ne concevaient guère d’avenir professionnel sérieux à une “infante”. « J’ai cependant eu la chance d’avoir des parents qui m’ont toujours fait confiance, qui ont su m’écouter et m’encourager alors même que je faisais des choix qui, parfois, pour eux, n’avaient rien d’évident », ajoute-t-elle. Gageons que si son père avait vécu (il est mort en 1989 alors qu’elle avait 18 ans), il l’aurait également soutenue lorsqu’elle a pris en main la filiale irakienne du groupe Fattal en 2014. « Je me suis portée volontaire : c’était un mélange de challenge professionnel et de danger physique », se souvient-elle. Elle réussit alors que l’État islamique (EI) frappait aux portes d’Erbil, où Fattal s’était installé (et est toujours présent). « Pendant deux ans, j’ai arpenté les marchés du pays pour pouvoir réadapter notre réseau de distribution et nos offres produites aux réalités des consommateurs locaux. On a réussi ! La filiale fonctionne très bien, malgré les difficultés du marché irakien. Mais, en parallèle, nous avions mis en place un plan de restructuration à destination de notre personnel ainsi que de relocalisation de nos entrepôts afin d’être parés à toutes les éventualités. À un moment, quand l’EI n’était plus qu’à 20 kilomètres d’Erbil, nous réévaluions nos choix d’heure en heure. Nous avons tenu bon ! Et l’EI n’a pas pénétré dans la ville. »
Si déconvenues il y a eu dans sa carrière, Caroline Fattal n’en laisse rien paraître. Habituée à maîtriser ses émotions, on ne peut que les pressentir des combats qu’elle s’assigne. « J’ai une passion pour l’entrepreneuriat et je crois à l’égalité des chances. D’où mon implication en faveur du travail des femmes, et particulièrement en faveur de leur accès à de hautes fonctions. » En juillet dernier, elle a officiellement lancé la fondation Stand for Women, qu’on retrouve sur les réseaux sociaux : presque chaque jour, elle y poste des informations, certains chiffres-clés, quelques encouragements et parfois le portrait de femmes modèles, comme autant d’exemples à suivre. Le sien pourrait-il servir à d’autres ? Ce n’est pas dans ses manières de l’affirmer. Mais celle qui signa l’une de ses interventions publiques du célèbre “Tu seras un homme, mon fils” de Joseph Kipling a un autre violon d’Ingres : le coaching. L’éducation est une obsession chez elle : elle n’a jamais cessé d’apprendre et y voit un outil pour aider ses consœurs à affirmer leur leadership. « Pour accepter un poste, une femme, qui a une fâcheuse tendance à douter, aura besoin d’être sûre à 100 voire à 120 % de ses compétences ou de ses capacités ; un homme s’engagera s’il sent prêt à 60 % seulement. C’est une statistique bien connue. Cela doit changer grâce à une “prise de confiance” des femmes et une plus grande propension au risque ! »
Bio Mariée, 4 enfants. Diplômée de l’Université de Paris-Dauphine (gestion). Détentrice de certifications en gouvernance pour administrateur et en coaching pour exécutifs. 1993-2000 : Unilever France/Argentine/Levant. 2001–2015 : groupe Fattal dont directrice fonction support et directrice de l’Irak et de la division Unilever. Depuis 2003 : membre du conseil d’administration du groupe Fattal. Depuis 2009 : managing partner and executive coach à Praesta Middle East. |
I Stand for Women À en croire des études récentes, si les femmes participaient au marché du travail dans des pourcentages analogues aux hommes, le PIB régional pourrait augmenter de 47 % dans les dix prochaines années. Avec un impact économique de près de 600 millions de dollars annuels supplémentaires, assure une enquête de McKinsey, 2015. C’est cette potentialité qui a donné naissance à la fondation Stand for Women de Caroline Fattal-Fakhoury. Encore en cours d’enregistrement, le travail de cette structure se matérialise pour l’heure sur les réseaux sociaux. Son but ? Porter l’espoir des femmes d’accéder à plus de responsabilités professionnelles, en les aidant à percer ce fameux “plafond de verre” qui trop souvent les cantonne à des postes subalternes. Bourreau de travail, celle qui ne prend jamais un poste ou une mission sans minutieusement s’y préparer est convaincue que les femmes sauront démailloter le carcan patriarcal pour peu qu’elles bénéficient d’un léger coup de pouce. |